La récession au coin de la rue ?

En plus des résultats trimestriels calamiteux de la plupart des banques occidentales, les investisseurs n’ont désormais plus qu’un mot en tête : récession. Il faut dire qu’Alan Greespan en personne est venu annoncer que cette dernière était désormais présente aux Etats-Unis. A l’évidence, après avoir été l’un des meilleurs banquiers centraux que la planète ait connus, l’ex-Magic Greenspan risque de tout gâcher, et en particulier son image, à force de vouloir continuer à faire bouger les marchés par le simple mouvement de ses lèvres, savonnant par là même la planche à son successeur.

Dès lors, tant que les marchés n’auront pas tourné la page Greenspan, Ben Bernanke ne pourra s’imposer et gagner en crédibilité, déstabilisant de fait la confiance et l’évolution des marchés. Nous le vivons d’ailleurs dans le cas précis puisque les déclarations d’Alan Greenspan sur l’avènement de la récession outre-Atlantique ont plus de poids et d’influence que celles de Ben Bernanke sur sa volonté d’assouplir encore sa politique monétaire et d’éviter ainsi une récession forte et durable de l’économie américaine.

Car, au-delà du mot, l’enjeu véritable n’est pas de savoir si les Etats-Unis entreront ou non en récession mais de savoir si, le cas échéant, cette dernière sera limitée tant en ampleur qu’en durée. Plus que de se disputer sur la sémantique, c’est bien à cette question que les économistes et intervenants des marchés doivent tenter de répondre.

Tout d’abord, rappelons que, techniquement, la récession est présente si le PIB de l’économie concernée recule pendant deux trimestres consécutifs. Or, cette perspective est loin d’être assurée. Certes, l’indice ISM des directeurs d’achat dans l’industrie manufacturière est passé sous la barre des 50 (censée représenter la frontière entre le recul et la progression de l’activité) en décembre, à 47,7 précisément, un plus bas depuis avril 2003. De même, les ventes au détail ont baissé de 0,4 % en décembre, ce qui a d’ailleurs particulièrement inquiété les marchés cette semaine. Enfin, il est clair que le dégonflement de la bulle immobilière n’est pas encore terminé et que, par là même, l’investissement logement des ménages continuera de reculer pendant encore quelques trimestres.

Néanmoins, ces trois arguments qui sont généralement avancés pour justifier l’imminence d’une récession outre-Atlantique doivent être relativisés. Primo, il faut souligner que l’industrie manufacturière ne représente plus que 13 % du PIB américain. D’ailleurs, en avril 2003, la croissance des Etats-Unis était encore de 1,5 %. Autrement dit, un indice ISM manufacturier sous la barre des 50 n’est aucunement synonyme d’une récession de l’ensemble de l’économie américaine. En outre, l’indice ISM dans les services reste encore très élevé, à 53,9 en décembre, niveau généralement compatible avec une croissance globale d’environ 2,5 %.

Secundo, sur le front de la baisse de ventes au détail en décembre, n’oublions pas que celles-ci avaient progressé de 1 % le mois précédent et que les biens manufacturés ne représentent qu’environ 30 % de la consommation totale telle qu’elle est mesurée dans les comptes nationaux. Autrement dit, l’heure de l’effondrement de la consommation des ménages n’a toujours pas sonné. Et ce, d’autant que les salaires demeurent appréciables.

Tertio, si l’investissement logement a et va encore reculer, il faut se souvenir qu’il ne représente que 4,5 % du PIB. Mais surtout, cette carence est plus que compensée par la résistance de l’investissement des entreprises, notamment dans les NTIC et les industries de pointe au sens large (bio- et nano-technologies notamment, sans oublier les NTE, les Nouvelles Technologies de l’Energie). Dans ce cadre, le cercle vertueux de croissance investissement-emploi-revenu-consommation a de quoi traverser l’actuelle tempête sans trop de dégâts.

Ainsi, s’il est clair que la croissance américaine sera inférieure à 0,5 % (i.e. 2 % en rythme annualisé) au quatrième trimestre 2007 et au premier de 2008, la succession de deux trimestres consécutifs de baisse du PIB ne nous paraît pas d’actualité. En outre, même dans le cas extrême où une petite baisse du PIB serait enregistrée sur un trimestre, elle ne sera que temporaire pour la simple raison que toutes les armes de politique économique sont déjà en marche outre-Atlantique et/ou seront même dynamisées dans les prochains mois. Ainsi, déjà en action depuis 2002 et revigoré depuis 2006, le dollar faible a déjà commencé à tirer les exportations américaines à la hausse et à augmenter les investissements directs étrangers vers les Etats-Unis.

Ensuite, même s’il a été enclenché avec retard (c’est-à-dire seulement lors de l’été dernier), l’assouplissement monétaire de la Réserve fédérale a déjà permis de faire baisser les taux longs et va commencer à agir sur l’activité. Mieux, le taux objectif des federal funds sera abaissé de 50 points de base le 30 janvier et ira jusqu’à 3,25 % dès le printemps. Ce qui ne manquera évidemment pas de soutenir la croissance. Enfin, avec un déficit public de 1,2 %, l’arme budgétaire va pouvoir également être enclenchée, soutenant principalement la consommation des ménages, via un gel des intérêts d’emprunt à taux variable et une réduction de la pression fiscale.

Autrement dit, après un trou d’air fin 2007 et début 2008, l’économie américaine devrait non seulement éviter la récession, mais surtout redémarrer nettement à partir de l’été prochain, ce qui se traduira par une croissance proche de 2,7 % sur l’ensemble de cette année. Non, l’écroulement des Etats-Unis n’est ni pour aujourd’hui, ni pour demain…

Marc Touati