Croissance, Fed, BCE, euro : 2008, l’année de tous les dangers ? (E&S n° 25)

L’humeur :

2008, l’année de tous les dangers ?

Comme chaque début d’année, les analystes, prévisionnistes et autres « devins » se livrent à l’exercice difficile d’établir des prévisions économiques et financières pour l’année qui commence. Dans cet exercice, il y a les pessimistes invétérés, les optimistes idéalistes, ceux qui veulent simplement se faire remarquer en annonçant les scénarii les plus extrêmes possibles et puis ceux, dont nous essayons de faire partie depuis des années, qui tentent de réaliser des prévisions les plus justes possibles. Avec évidemment des satisfactions et des déceptions.

Ainsi, il y a un an, nous annoncions une baisse conséquente du taux objectif des federal funds, un taux refi à 4 % à partir du printemps 2007, un ralentissement économique des deux côtés de l’Atlantique, une croissance française à 1,8 %, des taux longs durablement faibles et des pays émergents, Chine en tête, qui resteraient sur le chemin de la croissance forte. En revanche, nous n’avions pas anticipé un euro à 1,48 dollar et si nous prévoyions que le baril allait rester cher, nous n’anticipions pas qu’il allait atteindre les 100 dollars. Quant au Cac 40, nous l’annoncions à 5800, niveau qui a certes été atteint et même dépassé courant 2007 mais qui n’est malheureusement plus celui qui prévaut aujourd’hui.

S’il ne sert pas à grande chose de s’appesantir sur le passé, cet exercice de bilan des prévisions est cependant indispensable en termes de crédibilité, d’humilité et de transparence. Le pratiquant depuis une dizaine d’années et étant parmi les seuls à le faire sur la place de Paris, il nous permet également de savoir que les prévisions ne doivent pas être aussi volatiles que les marchés et surtout ne doivent pas obéir à une volonté de suivre le consensus ou, à l’inverse, de dire absolument l’inverse de ce dernier.

Seules trois règles priment donc en matière de prévision : l’indépendance, la précision de l’engagement et la fiabilité de l’argumentaire.

Pourtant, aujourd’hui et bien loin de toutes ces règles, les prévisions généralement diffusées annoncent que 2008 sera une année de récession, de nouvelle hausse des cours du baril, d’hyper-inflation et de dégringolade boursière.

Tel n’est pas notre scénario. Certes, de nombreux pays ou zones vont souffrir, à commencer par la zone euro, qui devrait voir sa croissance avoisiner les 1,7 %. De même, la France continuera sa descente, réalisant une croissance d’au mieux 1,6 %.

Parallèlement, il est clair que le premier trimestre 2008 sera marqué par l’aggravation du ralentissement américain et, ce faisant, par des marchés boursiers très nerveux et plutôt baissiers.

Néanmoins, une fois cette tempête de début d’année passée, la baisse des taux directeurs de la Fed déjà menée et celle à venir, ainsi que le plan budgétaire de soutien à l’activité permettront à l’économie américaine de se redresser significativement pour retrouver la barre des 3 % à partir de l’automne prochain. Ce qui, bien entendu, ne manquera pas de rassurer les investisseurs internationaux et de relancer les marchés boursiers à la hausse.

Dans le même temps, la croissance mondiale passant de 5,4 % en 2006 à 4,7 % en 2007 et à 4,2 % cette année et en espérant que de nouveaux soubresauts géopolitiques ne viendront pas tout gâcher, le cours du baril devrait progressivement se replier. Certes, il restera cher (tensions politiques et forte croissance chinoise obligent), mais il devrait repartir durablement vers les 85 dollars d’ici l’été prochain. Ce qui permettra d’ailleurs d’éviter l’hyper-inflation tant attendue et de consolider la croissance mondiale, tout en évitant le hard landing international.

Enfin, face à une croissance eurolandaise de 1,5 % à partir du printemps prochain, même la BCE ne pourra continuer de rester sourde et devra, elle aussi, abaisser son taux refi. Dès lors, l’euro pourra repartir à la baisse, et ce d’autant que l’amélioration de la croissance américaine relancera le dollar sur le chemin de la hausse, ce qui permettra parallèlement d’alimenter le repli des cours du baril. Dans ce cadre, avec un taux refi à 3,5 % d’ici l’automne prochain, un euro sous les 1,40 dollar, voire sous les 1,35 à cet horizon, et des prix énergétiques moins élevés, la zone euro pourra, elle aussi, retrouver le chemin de la croissance, mais pas avant le quatrième trimestre 2008 et surtout l’an prochain.

Autrement dit, si cette nouvelle année commence dans l’obscurité (sauf pour l’Asie dite « émergente », qui continuera de jouir d’un dynamisme certes amoindri mais très appréciable), la lumière devrait progressivement percer, puis s’imposer, d’abord outre-Atlantique et sur les marchés financiers, puis dans la zone euro. A l’inverse de son cycle naturel, le soleil devrait donc se lever à l’Ouest, c’est-à-dire aux Etats-Unis, pour finir (enfin !) par traverser l’Atlantique, avec, comme d’habitude, retard et moindre intensité. On n’a que ce qu’on mérite…

Marc Touati


L’analyse économique de la semaine :

France : rien ne va plus.


De semaines en semaines, les mauvaises nouvelles s’accumulent pour l’économie française. Ainsi, après la baisse de la consommation et la chute de la confiance des ménages, le déficit extérieur a atteint un nouveau sommet historique et la production industrielle s’est de nouveau effondrée.

En effet, alors qu’elle ne cesse de dépasser des nouveaux records depuis plus d’un an, le déficit commercial a atteint 4,972 milliards d’euros en novembre, soit 37,967 milliards sur douze mois !

Dire qu’il y a encore quelques mois, notre prévision d’un déficit de 35 milliards d’euros faisait sourire… Non seulement, ce niveau est aujourd’hui dépassé, mais surtout, c’est désormais la barre des 40 milliards d’euros qui est à portée de vue.

Car si, comme d’habitude, le pétrole cher reste le bouc émissaire idéal pour expliquer ce creusement, il ne faut pas oublier que notre déficit commercial est tout simplement devenu structurel. 

Et ce, tout d’abord parce que la spécialisation géographique et sectorielle de nos exportations est mauvaise : elles sont effectivement trop tournées vers la zone euro qui est l’une des lanternes rouges de la croissance mondiale depuis cinq ans et portent insuffisamment sur les biens d’équipement (seulement 22 % contre 50 % pour les exportations allemandes) et les produits de haute technologie.

Ensuite, de par l’absence de modernisation de l’économie française (notamment en termes de pression fiscale et réglementaire beaucoup trop pesante), les entreprises ont accrû drastiquement leur production à l’étranger, soit pour vendre leurs produits à l’international, soit pour les importer dans l’Hexagone.

Parallèlement, le ralentissement récent de la croissance mondiale n’arrange pas les choses et limite de facto nos exportations, déjà amputées par le niveau de l’euro.

Enfin, par manque d’investissement dans les secteurs de pointe depuis une quinzaine d’années, les entreprises produisant encore en France fabriquent peu de biens high tech qui sont pourtant très demandés par les entreprises et les consommateurs français. D’où une flambée massive de nos importations. Et ce d’autant que l’euro trop fort réduit le prix de ces dernières qui gagnent alors abusivement en compétitivité et en parts de marchés au détriment des producteurs hexagonaux.

Dans ce cadre, il est malheureusement évident que le déficit extérieur français est, a été et sera de plus en plus fort. Il pourrait ainsi légèrement dépasser les 40 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année 2008.

A côté de cette piètre performance, l’activité industrielle hexagonale a retrouvé le chemin de la baisse. En effet, après avoir baissé de 1,3 % en septembre, puis rebondi de 2,1 % en octobre, celle-ci a reculé de 1,5 % en novembre. Pour ceux qui annonçaient que les grèves de novembre n’auraient aucun impact sur l’activité nationale, il s’agit donc d’un désaveu cinglant.

D’ailleurs, à l’exclusion de la production de biens d’équipement qui augmente de 0,3 %, tous les secteurs d’activité enregistrent une nette baisse de leur production. A commencer par l’automobile, dont la production chute de 5,3 % après avoir il est vrai augmenté de 7,5 % en octobre. Cette extrême volatilité confirme, une fois encore, que le secteur automobile français reste très fragile et devrait fortement souffrir en 2008 avec la faiblesse aggravée de la consommation nationale et des exportations.

En outre, si un rebond technique devrait se produire en décembre, celui-ci devrait rester limité et avoisiner les 0,3 %. En effet, la faiblesse des dépenses des ménages, le ralentissement de la  croissance mondiale, l’euro trop fort, le pétrole trop cher, les taux d’intérêt trop élevés et les inquiétudes sur les marchés continueront de freiner l’activité industrielle, tant en décembre 2007 qu’en 2008.

Dès lors, sur l’ensemble du quatrième trimestre 2007, la production industrielle ne devrait s’accroître que de 0,3 %, ce qui indique que la progression du PIB sera au moins aussi faible, et certainement plus, compte tenu de la mollesse de la consommation. Dans ce cadre, la croissance du PIB devrait être proche de zéro au quatrième trimestre, ce qui se traduira par une croissance annuelle de 1,8 %.

De plus, cette piètre performance suscitera un effet d’acquis défavorable pour 2008, confirmant par là même notre prévision d’une croissance d’au mieux 1,6 % cette année. Autrement dit, comme cela s’observe depuis 2001, l’écart entre les prévisions gouvernementales et la réalité restera élevé. De quoi aggraver notre déficit public qui se situera légèrement au-dessus des 3 % en 2008.

Il faut donc d’ores et déjà se préparer à une année 2008 de toutes les déceptions pour l’économie française, qui, avec l’Italie et le Portugal, restera la lanterne rouge de la zone euro, qui elle-même redeviendra la lanterne rouge de la croissance mondiale. Pour la cinquième année consécutive, la France réalisera donc l’une des plus mauvaises performances mondiales en termes de croissance. Et ce avec ou sans le comité Stiglitz demandé par Nicolas Sarkozy. La comm’ résout rarement les vrais problèmes…

Marc Touati



Et les marchés dans tout ça ?

Que fera la BCE en 2008 ?


Alors que la Réserve fédérale américaine vient de confirmer qu’elle continuera de baisser ses taus directeurs, de manière à calmer les marchés et surtout à soutenir l’économie américaine et par là même la croissance mondiale, la BCE continue de rester la seule banque centrale du monde occidentale à refuser de voir la réalité en face. Ainsi, à l’inverse de la Fed, de la Banque d’Angleterre ou encore de la Banque du Canada, la BCE continue d’ouvrir ses comités de politique monétaire en se demandant s’il faut augmenter son taux refi !!

Fort heureusement, la BCE n’a pas créé la surprise en engageant un nouveau resserrement monétaire, ce qui aurait certainement constitué une catastrophe, tant pour les marchés que pour l’économie eurolandaise.

Pour autant, refusant de reconnaître l’état de ralentissement avancé de la zone euro, la BCE a continué d’agiter le chiffon rouge de l’inflation, laissant anticiper un statu quo durable de son taux refi, voire un resserrement monétaire, qui n’aurait évidemment aucun sens économique.

Bien entendu, l’inflation eurolandaise atteint 3,1 %. Néanmoins, ce sursaut inflationniste est presque exclusivement dû au renchérissement des biens énergétiques et alimentaires. Or, la BCE n’a aucun pouvoir sur ces derniers.

L’inflation n’est pas due à un excès de croissance…

 

N’oublions effectivement pas que la politique monétaire ne peut limiter l’inflation que si cette dernière est due à un excès de demande. Dès lors, la remontée des taux directeurs freine cette dernière et permet de limiter la flambée des prix.

Or, aujourd’hui, tel n’est absolument pas le cas. Non seulement parce que la légère résurgence d’inflation s’explique par des facteurs exogènes à la zone euro, mais aussi parce que la demande intérieure est de plus en plus faible. A cet égard, soulignons que le discours de la BCE sur la soi-disant robustesse de la croissance tranche avec la réalité des statistiques, notamment face à la baisse du climat des affaires ou encore au repli des ventes au détail, qui confirme qu’au contraire de ce qu’avance la BCE, la consommation va rester molle dans les mois à venir.

Quant aux effets de second tour, cela fait cinq ans que la BCE nous en parle et nous les attendons toujours.

Enfin, s’abriter derrière les statuts de la BCE est tout aussi fallacieux. En effet, l’article 105 du traité de Maastricht stipule bien que l’objectif principal (et non pas unique !) de la BCE est la stabilité des prix, mais rappelle aussi que sans préjudice de cet objectif, la BCE peut soutenir les objectifs de l’article 2, en l’occurrence la croissance et l’emploi.

… La politique de resserrement monétaire de la BCE n’a donc pas de prise sur l’inflation

Autrement dit, la politique de la BCE est toujours autant injustifiée. D’autant que, malgré les resserrements monétaires des années 2006 et 2007, l’inflation dépasse les 3 %, preuve que cette dernière n’est absolument pas due à la politique de la BCE qui est donc bien confrontée à un double échec : une inflation supérieure à l’objectif de 2 % et une croissance économique qui va bientôt repasser sous la barre des 2 %. Les marchés en sont conscients et continuent donc de déprimer.

Ainsi, face à une croissance qui avoisinera les 1,5 % à partir du printemps prochain, la BCE devra une nouvelle fois reconnaître son erreur et baisser son taux refi, d’abord à 3,75 % en juin puis à 3,5 % en septembre. Malheureusement, il sera trop tard et l’activité eurolandaise ne pourra repartir qu’à partir de 2009. Ne nous leurrons pas : 2008 sera bien une année difficile pour la zone euro. Merci Jean-Claude…

Marc Touati


Les évènements à suivre du 14 au 18 janvier :

Encore une semaine difficile.


Cette semaine statistique sera particulièrement chargée, avec pas moins de dix statistiques déterminantes et une trentaine de publications au total.

Les marchés seront particulièrement attentifs aux indices de prix à la production et à la consommation outre-Atlantique, qui, après avoir flambé en novembre, devraient enregistrer des évolutions plus modestes en décembre.

Cela permettra à la Réserve fédérale américaine d’être définitivement « à l’aise » pour baisser son taux objectif des federal funds de 50 centimes lors du FOMC du 30 janvier.

Et ce d’autant que les statistiques d’activité publiées cette semaine aux Etats-Unis devraient confirmer que la croissance américaine reste fragile.

Enfin, soulignons que la zone euro ne sera pas en reste, puisque son ralentissement devrait être, une fois encore confirmé dès le début de semaine.

Lundi 14 janvier, 11h (heure de Paris) : la production industrielle rechute dans la zone euro.

A l’instar de ses homologues allemande et française, la production industrielle eurolandaise devrait nettement fléchir en novembre. Elle enregistrerait une baisse de 0,9 %, après une hausse de seulement 0,4 % en octobre. De quoi confirmer que l’activité de la zone euro est toujours très loin du dynamisme annoncé par la BCE.

Mardi 15 janvier, 9h15 et 11h : la croissance allemande ralentit en 2007 avant de plonger en 2008.

La première estimation de la croissance allemande pour 2007 devrait faire état d’une performance de 2,5 %, soit 0,4 point de moins qu’en 2006, mais un résultat encore honorable. En revanche, la nouvelle baisse du ZEW attendue ce même jour (après déjà six mois de plongeon) confirmera que l’Allemagne a bien mangé son pain blanc. En 2008, la croissance de son PIB devrait atteindre au mieux les 1,7 %.