Que ce soit à la Banque Centrale Européenne, au sein de la Réserve Fédérale américaine ou encore à la Banque du Japon et à la Banque d’Angleterre, les dirigeants monétaires de la planète ne parviennent plus à masquer leur désarroi. Ils sont tout simplement pris à leur propre piège.
En effet, après avoir tout donné avant et pendant la pandémie, ils sont contraints aujourd’hui d’admettre leur échec, et ce en particulier dans la zone euro, où la récession perdure.
Certes, aux Etats-Unis, la croissance a bien redémarré, mais un nouveau problème apparaît : la résurgence de l’inflation. Dès lors, la Fed risque de devoir remonter ses taux directeurs alors que l’économie américaine est encore fragile.
Encore plus grave, les largesses des banques centrales ont alimenté des bulles financières, dont l’ampleur exceptionnelle menace la reprise.
Autrement dit, les principales banques centrales de la planète doivent désormais avouer la vérité : elles sont désarmées. Et pour cause : leurs politiques n’ont eu que très peu d’effets positifs sur l’économie et n’ont servi principalement qu’à alimenter des bulles financières, tout en relançant désormais l’inflation.
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Les banques centrales n’ont pas lésiné sur les moyens…
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Sources : BCE, Federal Reserve, BoE, ACDEFI
Je l’ai souvent souligné depuis des années dans mes différents livres et publications : la politique économique, qu’elle soit monétaire ou budgétaire, doit être contracyclique.
Cela signifie simplement que lorsque l’activité souffre, d’une part, les banques centrales doivent réduire fortement leurs taux directeurs, voire, lors de cas extrêmes, actionner la « planche à billets » et, d’autre part, les gouvernements doivent augmenter leurs dépenses publiques.
C’est d’ailleurs ce qui a permis de sauver l’économie mondiale lors de la crise qui a suivi la faillite de Lehman Brothers en 2008-2009. A l’inverse, lorsque la croissance revient, il faut inverser la vapeur, de manière à pouvoir relancer la machine lors de la prochaine crise.
Le problème est que, depuis 2017, en dépit de l’amélioration de l’activité, les banques centrales et de trop nombreux Etats à travers la planète ont continué de mener une politique ultra-accommodante.
Et ce, sans parvenir à améliorer la situation économique de nombreux pays, en particulier dans la zone euro et au Japon.
En fait, cette stratégie monétaire procyclique a principalement été élaborée pour faire plaisir aux marchés et/ou aux dirigeants politiques, alimentant par là même des bulles financières, que je n’ai cessé de dénoncer envers et contre tous, m’attirant parfois les foudres de certains.
La Fed plus soucieuse des marchés que de l’économie réelle.
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Sources : NYSE, Federal Reserve, ACDEFI
Dans ce cadre, lorsqu’en 2020, l’économie mondiale a vraiment eu besoin de l’action des banques centrales et des Etats, ceux-ci n’avaient quasiment plus de cartouches dans leur besace.
En effet, les taux d’intérêt des banques centrales étaient déjà au plus bas, les déficits et les dettes publics avaient déjà flambé (excepté en Allemagne) et les « planches à billets » avaient déjà été utilisées excessivement sans produire d’effets économiques positifs considérables.
Pour mémoire, rappelons que la « planche à billets » revient à créer de la monnaie ex-nihilo, c’est-à-dire sans création de richesses correspondantes. En temps normal, pour pouvoir créer de la monnaie, la banque centrale d’un pays doit disposer de compensations à l’actif de son bilan, en l’occurrence de l’or, des réserves de changes et des titres (notamment des obligations d’Etat). C’est ce que l’on appelle les « contreparties de la masse monétaire ».
De la sorte, il existe une correspondance entre la monnaie en circulation et la réalité économique du pays. Cela permet notamment d’éviter les dérapages inflationnistes.
Bien différemment, lorsqu’une banque centrale actionne la « planche à billets », cela signifie qu’elle crée de la monnaie sans contreparties préalables. Elle imprime des billets « sur la base de rien ». Mieux, avec cette « monnaie de singe », la banque centrale monétise la dette publique, c’est-à-dire qu’elle finance directement le déficit public.
Cette stratégie comporte donc un double avantage. Primo, l’Etat « éponge » son déficit gratuitement, donc sans faire appel aux investisseurs privés et/ou extérieurs.
Secundo, comme l’Etat ne fait pas appel aux marchés obligataires, les taux d’intérêt restent bas, ce qui permet de faciliter le financement de l’investissement privé et de la consommation des ménages.
Le seul danger de cette stratégie est que la conséquence inévitable d’un excès de création monétaire est une inflation galopante. En effet, si la monnaie en circulation ne correspond pas à une création de richesses équivalente, la différence se traduit par davantage d’inflation : si les quantités ne s’ajustent pas, ce sont les prix qui le font.
Certes, il arrive parfois que cette « planche à billets » ne se traduise pas par un dérapage des prix. C’est notamment ce qui s’est observé au Japon depuis les années 1990, mais aussi de 2010 à 2020 dans l’ensemble des pays développés.
Seulement voilà, cette inflation n’était certes pas dans les prix à la consommation, mais dans les prix des actifs boursiers, obligataires et immobiliers. Autrement dit, en dépit de leur objectif d’assurer la stabilité financière, les banques centrales ont nui à cette dernière en alimentant des bulles, dont l’explosion fera forcément très mal.
D’ores et déjà, en dépit du statu quo et des déclarations ultra-accommodante de la Fed, le taux d’intérêt des obligations de l’Etat américains à 10 ans ont bondi à 1,7 %, un plus haut depuis janvier 2020.
La bulle obligataire est en train d’exploser.
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Sources : Federal Reserve, ACDEFI
Encore plus grave, l’augmentation de l’inflation n’est désormais plus seulement dans les prix des actifs, mais également dans les prix à la consommation.
En d’autres termes, en dépit de leur objectif de limitation de l’inflation, les banques centrales ont participé à l’augmentation de cette dernière.
En conclusion, les banques centrales ont, une fois encore, été des « pompiers pyromanes », dans la mesure où elles ont contrevenu à leurs principaux objectifs que sont la stabilité financière et la faiblesse de l’inflation.
Dans la zone euro, la situation est encore plus dramatique, puisqu’à ces deux manquements s’ajoute également le prolongement de la récession.
Autant de contre-performances qui ne manqueront évidemment pas de nuire à la crédibilité, déjà bien faible, de notre « chère » BCE.
Marc Touati