Dans les phases de crise et a fortiori de confinement mondial, un peu d’optimisme ne peut pas faire de mal. Ainsi, grâce à une prodigalité de plus en plus exceptionnelle des banques centrales, qui continuent de déverser des quantités extravagantes de « morphine » sur les marchés, ces derniers ont repris le chemin de la hausse. A tel point que certains n’ont pas hésité à annoncer que la crise boursière était terminée et qu’il fallait rapidement acheter massivement des actions à bon prix.
Ah, que nous aimerions en faire autant ! Seulement voilà, si l’optimisme est certainement la meilleure des thérapies, le réalisme est aussi une obligation du quotidien. Si les dirigeants politiques et sanitaires de la planète avaient favorisé le réalisme et la prudence au début de l’épidémie de Wuhan, cette dernière ne serait certainement pas devenue la pandémie dramatique que l’on connait désormais.
Dans ce cadre, même si nous refusons de noircir le tableau et demeurons persuadés que la pandémie sera prochainement vaincue, il nous faut aussi être réalistes : le krach boursier qui a commencé fin février est malheureusement loin d’être terminée.
En fait, le rebond des derniers jours correspond simplement à un mouvement de correction temporaire de la faiblesse passée, les investisseurs profitant des largesses des banques centrales pour essayer de faire des bonnes affaires.
Pour autant, nous restons toujours très loin des niveaux d’avant-krach. En dépit du rebond récent, le Cac 40 accuse ainsi toujours un plongeon de 26,3 % par rapport à son niveau du 19 février 2020. Quant au Dow Jones, sa chute est encore de 19,7 % comparativement à son sommet du 12 février.
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Après le krach, le rebond reste technique et fragile.
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Sources : NYSE, Euronext, ACDEFI
De plus, si ces replis apparaissent massifs, ils demeurent toujours limités par rapport à l’ampleur de la récession et de la crise économique qui ont d’ailleurs déjà commencé.
A titre de comparaison, lors du krach de 2008-2009, le Dow Jones avait chuté de 53,8 % au plus bas. Un plancher qui avait été atteint 370 jours après le début du krach.
Pour l’instant, avec la crise actuelle, le Dow Jones a baissé de 37,1 % au plus fort de la tempête, mais seulement 29 jours après le début du krach.
Le « CoronaKrach » plus rapide que le krach de 2007-2009, mais encore bien moins puissant.
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Sources : NYSE, Calculs ACDEFI
Or, en 2008-2009, le PIB américain n’a baissé « que » de 4 % entre le premier trimestre 2008 et le deuxième trimestre 2009 qui marquait le début de la fin de la crise économique. De plus, à l’époque, la récession mondiale a été évitée, le PIB planétaire n’ayant reculé que de 0,1 %.
Aujourd’hui, la situation est malheureusement bien plus dramatique. En effet, au premier semestre 2020, le PIB va reculer d’au moins 10 % tant aux Etats-Unis qu’à l’échelle mondiale.
Dès lors, même si une reprise se produit grâce aux soutiens monétaires et budgétaires pharaoniques mondiaux, il faudra de nombreuses années avant de retrouver le niveau du PIB de la fin 2019.
Lors de la crise de 2009, il faut par exemple savoir que, malgré une chute limitée de 4 %, le PIB américain n’a retrouvé son niveau du quatrième trimestre 2007 qu’au quatrième trimestre 2010, soit quinze trimestres plus tard.
Au Japon, il a fallu attendre 22 trimestres pour que le PIB retrouve son niveau d’avant-crise.
La situation est encore plus dramatique pour la zone euro qui n’a retrouvé son niveau de PIB du premier trimestre 2008 qu’au deuxième trimestre 2015, soit une crise de 30 trimestres.
Lors de la crise de 2008-2009, la zone euro a mis 30 trimestres avant de se relever.
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Sources : BEA, Eurostat, BoJ, Calculs ACDEFI
Que dire alors de la Grèce et de l’Italie ?! Rappelons effectivement que ces deux pays n’ont toujours pas retrouvé leur niveau de PIB du début 2008, et ce, avant même que ne commence la crise du Coronavirus.
Au quatrième trimestre 2019, le PIB italien était ainsi 5 % en-deçà de son niveau du premier trimestre 2008. Quant au PIB grec, il était inférieur de 23,4 % à son niveau du deuxième trimestre 2007.
Au quatrième trimestre 2019, la crise de 2009 était encore lourde de conséquences pour de nombreux pays de la zone euro.
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Sources : Eurostat, calculs ACDEFI
Quant au PIB français, dans la mesure où son niveau du quatrième trimestre 2019 n’était que 10,3 % au-dessus de celui de 2008, il est à craindre qu’avec la chute du premier semestre 2020, il subisse un retour en arrière de douze ans…
De quoi rappeler que si la bourse reflète une réalité économique, les niveaux actuels des grands indices boursiers sont encore trop élevés par rapport à la gravité de la récession qui arrive.
A titre de comparaison, soulignons que lors du krach de 1929, le Dow Jones n’a retrouvé son niveau d’avant-krach qu’en mai 1954.
Chaque krach a sa particularité…
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Sources : NYSE, calculs ACDEFI
En fait, chaque krach est particulier. Le moins difficile a été celui de 1987. Il n’a duré que 3 semaines et a été effacé au bout de 10 mois.
Celui de 2000-2003 a été le plus long, puisqu’il a duré 2 ans et 10 mois, avec il est vrai plusieurs catastrophes successives : l’explosion de la bulle Internet, les attentats du 11 septembre 2001 et les guerres en Afghanistan et en Irak. Il faudra ainsi quatre ans pour que le Dow Jones retrouve son niveau d’avant krach.
Le krach le puissant a été, pour le moment, celui de 2007-2009, avec une chute du Dow Jones de 53,8 % qui s’est étalée sur une année et prendra 5 ans et 6 mois avant d’être effacée.
Quant au Krach actuel, il risque malheureusement d’être le plus dévastateur depuis celui de 1929, notamment parce que la récession qui se dessine sera la plus grave depuis cette triste époque. Une différence de poids sépare néanmoins ces deux krachs : en 1929, les autorités monétaires et publiques à travers le monde n’ont pas réagi rapidement et fortement.
Aujourd’hui, force est de constater que la réaction des politiques monétaires et budgétaires a été pléthorique et rapide, un peu comme en 2009 d’ailleurs.
Autrement dit, le « Coronakrach » pourrait se situer entre celui de 1929 et celui de 2009 : grave comme en 1929 par son ampleur économique, mais finalement maîtrisé comme celui de 2009. Ce qui signifie tout de même qu’il faudra au moins 5 ans avant de retrouver les niveaux d’avant-krach. Autrement dit : pas d’emballement, il encore trop tôt pour se ruer sur les marchés boursiers internationaux.
Marc Touati