A en croire certains, ce serait une bonne nouvelle : au troisième trimestre 2019, le PIB français a progressé de 0,3 %. Waouh ! Quelle vigueur ! Certes, comparativement à la situation de nos voisins de la zone euro, la France ne s’en sort pas si mal. Pour autant, compte tenu des faibles performances du premier semestre et aussi du dernier trimestre de l’année 2019, la croissance annuelle moyenne française devrait atteindra au mieux 1,3 % sur 2019. C’est correct, mais bien loin de la prévision de 1,7 % annoncée par le gouvernement en début d’année. Certes, ce n’est pas la première fois qu’une telle erreur se produit. En fait, c’est vraisemblablement devenu un mal français : depuis environ 20 ans, chaque début d’année, les dirigeants du pays annoncent que l’année à venir sera meilleure que la précédente, que la croissance économique va s’intensifier et susciter une forte baisse du chômage. En vain.
En fait, à ma connaissance, la dernière fois que la croissance effective française a été supérieure à celle annoncée par les gouvernants remonte à 1998. Je suis bien placé pour le savoir puisqu’à l’époque, alors que le consensus et les prévisions gouvernementales faisaient état d’une croissance faible, j’annonçais que celle-ci devait atteindre les 3 %. Elle fut finalement de 3,6 %. De quoi rappeler à ceux qui me trouvent parfois trop pessimiste que je ne le suis pas par nature. Bien au contraire. D’ailleurs, en 1999 et 2000, mes prévisions étaient également plus optimistes que celles de Bercy. Et, une fois encore, à raison, puisque la progression du PIB atteignit 3,3 % en 1999 et 4,1 % en 2000. Malheureusement, le gouvernement Jospin n’utilisa pas cette manne pour assainir les comptes publics et moderniser l’économie française. Il préféra parler de « cagnotte » et utiliser cette dernière pour augmenter encore la dépense publique et refuser de réformer les structures économiques de notre « douce France », qui ne s’en est d’ailleurs toujours pas remise. A tel point que, depuis lors, pour essayer de masquer la réalité, les gouvernants n’ont eu de cesse de gonfler leurs prévisions de croissance, tout en sachant que ces dernières étaient intenables.
C’est d’ailleurs bien là que le bât blesse, car si l’optimisme est une nécessité du quotidien, le réalisme est aussi un devoir, en particulier à l’égard des citoyens, qui, à force d’avaler des couleuvres (notamment fiscales) et d’être déçus par la réalité économique et sociale, sont de moins en moins dupes. C’est justement ce qu’ont oublié les différents dirigeants du pays depuis plus de vingt ans et en particulier depuis une quinzaine d’années, préférant le déni de réalité, la méthode Coué et les effets marketing au réalisme économique.
Et malheureusement, l’année 2019 n’a pas dérogé pas à cette triste règle. Cette fois-ci, la « cagnotte » a revêtu un autre appareil, en l’occurrence la faiblesse et même la négativité des taux d’intérêt que paie l’Etat français sur sa dette. Face à cette anomalie, ce dernier n’a donc pas hésité à ouvrir les vannes. Et oui, il ne faut pas se voiler la face : si la croissance française est plus élevée que celle de ses partenaires eurolandais, c’est principalement parce que le déficit public s’est fortement creusé, passant de 2,5 % en 2018 à 3,5 % cette année. Conséquence logique de cette nouvelle gabegie, la dette publique a atteint un nouveau record de 2 375,4 milliards d’euro au deuxième trimestre, un sommet historique qui sera évidemment encore battu au cours des prochains trimestres : là où il y a de la gêne il n’y a pas de plaisir.
C’est d’ailleurs bien là que réside le drame principal de ces taux d’intérêt négatifs de la dette publique française : ils ont suscité un dangereux aléa moral, qui est tel que les pouvoirs publics préfèrent lâcher les dépenses et les comptes publics, en criant : « au diable l’avarice ! Les générations futures paieront ! » Quel manque de lucidité ! Car, ne nous leurrons pas : cette fuite en avant est extrêmement périlleuse. Elle le sera d’autant plus lorsque la bulle obligataire éclatera et que les investisseurs prendront la mesure des dérapages publics français. Le pire est qu’à la rigueur, si cette stratégie de la « terre brûlée » permettait de générer une croissance proche de 3 %, il serait possible de l’accepter. Mais malheureusement, il n’en est rien. La croissance française est et restera molle. En 2020, elle pourrait même retomber sous 1 %. A l’évidence, ça fait cher payé le dixième de point de croissance.
Certes, la faiblesse des cours du pétrole et des matières premières, le repli de l’euro/dollar, le maintien d’un taux refi de la BCE à 0 % et la nouvelle phase de « planche à billets » limiteront les dégâts. Pour autant, ces éléments demeurent des facteurs nécessaires mais pas suffisants pour engendrer une croissance forte. D’ailleurs, en 2019, ces évolutions étaient déjà à l’œuvre et n’ont pas permis à la croissance française de dépasser 1,3 %. Et ce tout simplement parce que, même légèrement reformées, les structures de l’économie hexagonale restent trop rigides et trop restrictives (en particulier d’un point de vue fiscal), ne permettant pas de transformer cet « alignement des planètes » en croissance soutenue.
De plus, l’économie française demeure affectée par une défiance majeure tant nationale qu’internationale et n’est toujours pas sortie de ses multiples crises sociétales. Enfin, elle va fortement pâtir du ralentissement de la croissance mondiale qui a déjà commencé et va malheureusement s’aggraver en 2020. Autrement dit, si de 2008 à 2019, avec une croissance mondiale moyenne de 3,5 %, celle de la France n’a été que de 0,9 %, que va-t-elle devenir avec une progression du PIB mondial d’au mieux 2,5 % en 2020 ? A la rigueur, il ne s’agit plus d’économie, mais de mathématique, ou encore de bon sens.
Dans ce cadre, avec une croissance d’au mieux 1 %, le taux de chômage devrait remonter vers les 8,7 %. Dès lors, même si le gouvernement augmente encore les dépenses publiques, les revenus et la consommation des ménages resteront moribonds. Parallèlement, compte tenu du dérapage des dépenses publiques et des moindres recettes fiscales liées à l’état décevant de la croissance, le déficit public devrait avoisiner les 3,8 % du PIB et la dette publique dépasser nettement les 100 %. En d’autres termes, et même si nous aimerions sincèrement annoncer le contraire, l’économie française se portera encore moins bien en 2020 qu’en 2019. Et il ne s’agit évidemment pas là de « french bashing », mais simplement de réalisme économique.
Marc Touati