Faut-il encore acheter de l’or ?

Depuis environ un an et le début de la crise financière qui ne veut toujours pas dire son nom, nous avons conseillé de mettre un peu d’or dans son portefeuille. Histoire de se protéger contre les bulles environnantes et surtout contre leur éclatement. Bulle boursière, bulle obligataire, bulle immobilière… Face à ces anomalies qui finiront forcément par faire mal, l’or est effectivement un placement à privilégier à court terme, c’est-à-dire avant qu’il ne devienne lui-même une nouvelle bulle… Et justement, depuis que nous avons diffusé ces conseils, l’or a flambé de plus de 25 %. Alors faut-il encore investir tête baissée dans le métal jaune ou, au contraire, commencer à s’en méfier ? Voici nos réponses.

Tout d’abord, ne l’oublions jamais, l’or est un métal précieux et rare. Il incarne donc une image de confiance et de solidité. Avec les siècles et pour simplifier à l’extrême, l’or est devenu l’une des principales contreparties de la création monétaire. Ainsi, jusqu’en août 1971, chaque pièce et billet en dollar avait une correspondance en or. En gros, pour avoir le droit de créer des pièces et des billets, il fallait disposer au préalable de réserves d’or. Autrement dit, l’or est devenu une sorte de garantie. Ce que l’on appelle une valeur refuge.

Et ce, en particulier en période de crise, de guerre, bref d’instabilité. Pendant ces périodes difficiles, le cours de l’or a même tendance à augmenter fortement. Souvenons-nous : En 1971, quelques trimestres avant le premier choc pétrolier, l’once d’or, (petit rappel : l’once équivaut à 31,1 grammes d’or) valait 37 dollars. En 1974, donc juste après le premier choc pétrolier de 1973, cette même once d’or est montée à 200 dollars. Ensuite, en 1980, juste après le second choc pétrolier, elle a flambé à plus de 800 dollars (850 dollars au plus haut), soit une explosion de 2 000 % en neuf ans ! Cette flambée a évidemment alimenté la légende de l’or « valeur refuge », à tel point qu’il est devenu synonyme de sécurité et aussi de rendement élevé.

Et ce, en particulier pour les Français, qui sont parmi les plus grands fans d’or à travers la planète. Selon un sondage réalisé par OpinionWay début 2019, 73 % des épargnants français estiment aujourd’hui que le métal jaune constitue une solution d’épargne pertinente pour protéger leurs économies. L’or serait ainsi la quatrième solution d’épargne privilégiée par les Français après la pierre, l’assurance-vie et le dépôt d’argent. Encore plus fort : les Français détiennent le record mondial de la détention d’or, qui est ainsi devenue une véritable tradition nationale. 16 % des Français déclarent posséder ou avoir possédé de l’or sous forme de pièces et lingots et cela concerne toutes les catégories sociales. Et ce n’est pas tout puisqu’on estime que les particuliers français détiennent actuellement 3 000 tonnes d’or. Ce bas de laine en or représente un potentiel de 105 milliards d’euros détenu par les particuliers, et dans toutes les couches de la population : les ouvriers (13 %), les employés (17 %), les cadres (20 %).

Seulement voilà, si l’or est bien une « valeur refuge », cela ne veut pas dire qu’il est gagnant à tous les coups. Pour la bonne et simple raison que, comme toute matière première, le cours de l’or varie à la hausse, mais aussi à la baisse. Ainsi, après avoir dépassé les 800 dollars, en 1980, l’once d’or est tombée à 300 dollars dès 1982, soit une chute de 65 %. Ensuite, l’or a stagné autour des 300 dollars jusqu’en 2004. Il n’a retrouvé les 800 dollars qu’en 2008, avec la crise des subprimes et la récession qui a suivi. Autrement dit, un épargnant qui aurait acheté de l’or en 1980, en pensant qu’il était sûr de gagner beaucoup, n’a retrouvé sa mise que 28 ans plus tard.

Bien entendu, avec la crise de 2009, qui selon certains auraient dû être pire que celle de 1929, l’or a retrouvé son rôle de valeur refuge. Il a donc logiquement flambé. L’once d’or est même montée à 1 900 dollars en septembre 2011. A l’époque, de nombreux « spécialistes » du métal jaune annonçaient une hausse imminente vers les 2 500 dollars. De notre côté, nous écrivions avec humilité qu’au-delà des 1 300 dollars l’once, l’or était entré en bulle et qu’il n’était plus possible de faire des prévisions sur la base des fondamentaux économiques.

D’ailleurs, depuis ce sommet, l’or est très vite reparti à la baisse pour tomber à 1 050 dollars en décembre 2015, avant de remonter progressivement pour atteindre actuellement environ 1 500 dollars, soit tout de même une chute de 21 % par rapport au sommet de 2011. De plus, si l’on raisonne à dollars constants, c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation, il ne faut pas oublier que les 800 dollars de 1980 équivalent à environ 2 500 dollars d’aujourd’hui. Autrement dit, l’épargnant qui a acheté de l’or à 800 dollars en 1980, est toujours très loin d’avoir retrouvé sa mise. Cela veut donc bien dire que si l’or rassure, il peut aussi causer des blessures.

Pour simplifier, l’or n’est une « valeur refuge » que face à trois dangers majeurs : une forte inflation, une récession mondiale et un krach boursier et/ou obligataire international. Le début des années 1980 avait la particularité de cumuler ces trois catastrophes. Dès que ces dangers se sont estompés, puis ont disparu, l’or s’est logiquement écroulé. Autrement dit, si demain ces trois menaces ou l’une d’entre elles refont surface et surtout si elles deviennent réalité, l’or pourra alors reprendre du poil de la bête. A fortiori, si la bulle de la dette explose et que la zone euro entre dans une nouvelle crise existentielle, l’or deviendra un refuge exceptionnel.

Certes, les risques d’hyper-inflation et d’explosion de la zone euro demeurent limités à court terme. En revanche, compte tenu des fortes incertitudes économiques et financières nationales et internationales qui prévalent actuellement et vont s’imposer au cours des prochains trimestres, les cours de l’or vont forcément encore augmenter. Il faut donc en mettre dans vos portefeuilles, mais pas trop non plus. Disons 10 %, voire 15 % pour les frileux. Ce sera une poire pour la soif.

Cependant, attention, dès qu’il dépassera les 1 600 dollars l’once, l’or commencera à devenir cher et entrera dans une bulle, il faudra donc éviter d’en acheter. Certes, des pics spéculatifs vers les 1 900 dollars pourront avoir lieu, mais ils seront de courte durée. Autrement dit, seuls les amateurs de « montagnes russes » pourront tirer leur épingle du jeu. Et oui, il ne faut pas rêver : l’or aussi a ses limites.

Marc Touati