Nous l’écrivions il y a quelques semaines dans notre « Humeur » : on recense aujourd’hui plus de 17 000 milliards de dollars de dette à taux d’intérêt négatifs à travers le monde. Une folie douce !
Parmi les plus « performants » en la matière, les pays européens et notamment ceux de la zone euro ne cessent de battre des records.
Quatorze pays de l’Union Economique et Monétaire bénéficient actuellement de taux d’intérêt négatifs de leurs obligations d’Etat. Et ce, sur des échéances de plus en plus longues.
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Des taux d’intérêt négatifs jusqu’à 50 ans en Suisse, 25 ans en Allemagne et 10 ans en France : le monde est fou !
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Les pays de la zone euro sont signalés par un *
Source : ACDEFI
En Allemagne et aux Pays-Bas, les taux d’intérêt négatifs vont même jusqu’aux échéances de 25 ans. Le record des 50 ans détenu par la Suisse n’est certes pas atteint, mais, tout de même, prêter à 25 ans à des Etats en étant sûr de perdre, cela interpelle…
Le pire est que cette « négativité » des taux d’intérêt des obligations d’Etat ne concernent pas seulement les pays les plus vertueux en matière d’assainissement budgétaire. Bien au contraire, la France, mais aussi l’Espagne et le Portugal, sans oublier Chypre et l’Italie font également parti de ce cercle « bienveillant ».
Et ce, en dépit d’une dette publique vertigineuse : quasiment 100 % du PIB en France et en Espagne, 105 % à Chypre, 123 % au Portugal et 134 % en Italie.
Et même si la Grèce ne fait pas (encore) partie de ce « club », il faut souligner qu’un taux d’intérêt à 5 ans de 0,8 % pour une dette publique grecque de 181 % du PIB tient plus du miracle (ou de la bêtise) que de la rationalité.
Des dettes publiques supérieures à 100 % du PIB et des taux d’intérêt négatifs ou proches de 0 %, cherchez l’erreur…
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Sources : Eurostat, ACDEFI
Nous faisons donc face à une véritable anomalie, particulièrement dangereuse, dans la mesure où les dérapages publics ne sont absolument pas sanctionnés par une augmentation des taux d’intérêt des dettes publiques.
Cette déconnexion est d’ailleurs auto-entretenue, puisqu’elle génère un phénomène « d’aléa moral », selon lequel la faiblesse des taux d’intérêt incite les Etats à augmenter encore leurs déficits et par là même leur dette déjà stratosphérique.
Or, ne l’oublions pas : même si la dette coûte peu cher (pour le moment), il faudra bien la rembourser. Or, si la croissance n’est pas au rendez-vous, comment feront les générations futures ?
Le risque est alors de déboucher sur des situations de « write off », c’est-à-dire d’annulation des dettes publiques. C’est par exemple ce qui a été réalisé pour la Grèce lors de la crise de 2010-2015, mais qui n’a aucunement permis de réduire la dette publique. Bien au contraire, cette dernière a encore augmenté, passant de 138,4 % début 2012 à 181,9 % aujourd’hui.
Malgré une dette publique de quasiment 182 % du PIB, la Grèce bénéficie d’un effondrement de ses taux obligataires.
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Sources : Eurostat, ACDEFI
Le graphique ci-dessus illustre d’ailleurs parfaitement cette anomalie et cet aléa moral. En effet, lorsqu’en 2011, la dette grecque flambe à 170 % du PIB, le taux dix ans des obligations de l’Etat grec explose à presque 40 % (37 % précisément).
Ensuite, à partir du printemps 2012 et du premier accord trouvé avec la Grèce, les taux dix ans repartent en nette baisse pour ne remonter qu’en 2015 avec la victoire de Tsipras aux élections législatives.
Enfin, dans la mesure où de nouveaux cadeaux vont être consentis à l’Etat grec, les taux vont repartir en forte baisse.
Si bien qu’aujourd’hui, une dette publique grecque de quasiment 182 % du PIB n’émeut plus personne, permettant au taux 10 ans de tomber sur un plus bas historique de 1,6 %, soit 0,2 point de base de moins qu’aux Etats-Unis.
D’où une question simple : quand les investisseurs vont-ils se réveiller ?
Cette question n’est d’ailleurs pas l’apanage de la Grèce, puisqu’elle peut aussi se poser à l’égard de la situation française.
La France en plein paradis artificiel et face à un aléa moral particulièrement dangereux.
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Sources : INSEE, ACDEFI
Chez nous aussi, comme le montre le graphique ci-dessus, plus la dette publique augmente, plus les taux des obligations d’Etat baissent jusqu’à devenir négatifs depuis quelques mois.
Ce qui incite l’Etat français à encore laisser filer son déficit et donc sa dette.
Face à ces situations anormales et dangereuses, il aurait été bon que la BCE siffle la fin de la récré. Bien au contraire et malheureusement, elle en a décidé autrement, plongeant la France et la zone euro au sens large dans un nouveau paradis artificiel qui risque de rapidement se transformer en un enfer bien réel.
Alors, souhaitons-nous bonne chance !
Marc Touati