Le 15 décembre dernier, l’Irlande s’est officiellement affranchie du plan d’aide élaboré par la troïka en 2010. Après avoir traversé une tempête économique sans précédent depuis 1980, le pays semble enfin renouer avec sa réputation de tigre celtique, acquise à la fin des années 1990. Pour autant, il n’est pour le moment pas question d’évoquer un quelconque succès des politiques d’austérité. Car si la culture du consensus a eu raison de la crise économique, le pays doit désormais faire face à une montée du risque social.
Un retour progressif sur le bon rail économique
A l’instar de son voisin britannique, l’Irlande n’a pas raté le tournant de la reprise économique en 2013. Les bons chiffres du PIB au troisième trimestre (+1,5%) sont effectivement venus confirmer la reprise amorcée lors des deux trimestres précédents (respectivement +0,4% et +1,0%). Et les prévisions pour les années à venir ont de quoi laisser rêveurs de nombreux pays d’Europe et plus particulièrement de la zone euro. Portée notamment par l’investissement des entreprises, la croissance irlandaise pourrait en effet atteindre 2,2% en 2014… bien loin cependant des niveaux d’avant crise où le pays affichait régulièrement des taux supérieurs à 5,0%.
S’il convient donc de rester prudent quant à la bonne santé économique du pays, la dynamique est toutefois belle et bien en marche. En témoigne notamment l’assainissement progressif des finances publiques du pays ; en 2013 ainsi, le déficit devrait être ramené à un peu plus de 7,0% du PIB contre 8,2% en 2012, 13,1% en 2011 et surtout 30,6% en 2010 (record absolu en zone euro depuis sa création). Un rythme particulièrement bien soutenu qui tend à rassurer de nombreux investisseurs et laisse ainsi à penser que l’Irlande pourrait satisfaire aux exigences de la Commission européenne dès 2015.
Il faut dire aussi que la politique de rigueur que le gouvernement a été contraint de mettre en place en 2010 s’est révélée singulièrement efficace. En faisant le choix du courage (qui se traduit par une coupe drastique dans les dépenses publiques plutôt que par une hausse effrénée de la fiscalité), l’Irlande est en effet parvenue à conserver son attractivité, en particulier auprès de grandes entreprises internationales (Google, Facebook et Paypal par exemple). Comment en effet ne pas citer ce taux d’imposition sur les sociétés de (seulement) 12,5% ? Une étude menée récemment par le magazine américain Forbes vient d’ailleurs de nommer l’Irlande comme le meilleur pays du monde pour faire des affaires.
Force est ainsi de constater que l’Irlande effectue un retour au premier plan sur la scène économique internationale. Et même si de nombreuses incertitudes demeurent (voir plus loin), les marchés sont désormais enclins à réaccorder du crédit au pays, reconnaissant par la même occasion les progrès réalisés. Preuve probante de ce retour en grâce, la levée le 7 janvier dernier de 3,75 milliards d’euros sur le marché obligataire à dix ans au taux de 3,54%. Une transaction réussie qui témoigne du regain de confiance des investisseurs quant aux perspectives économiques du pays.
Et si le consensus laissait place au malaise ?
Mais le chemin fut long et non sans douleur. C’est en 2007 que le miracle économique irlandais s’est progressivement transformé en cauchemar. Il y eut tout d’abord cette chute des prix de l’immobilier qui mit à mal l’ensemble du secteur bancaire du pays. La chute de Lehman Brothers en 2008 finira de l’anéantir. En se portant garant des banques (l’aide apportée constituait alors un peu plus de la moitié du PIB), le gouvernement irlandais plongeât le pays dans la crise de la dette souveraine. Habitué aux excédents budgétaires, il laissa en effet filer les déficits et gonfler la dette (plus de 120% du PIB en 2013 contre 24,9% en 2007 et 44,2% en 2008).
Longtemps adulé par ses partenaires européens, le pays devint rapidement l’exemple à ne plus suivre pour sa gestion de crise. Le creusement insondable des finances publiques, nécessita alors l’élaboration par la troïka d’un plan de sauvetage de 85 milliards d’euros en contrepartie d’une cure d’austérité carabinée ; hausse de la TVA, réduction des aides sociales et affaiblissement des collectivités locales. Conjuguée à l’action de Mario Draghi à la tête de la BCE (à travers sa célèbre formule « Whatever it takes » et la création du programme OMT), la rigueur irlandaise porta finalement ses fruits.
Il ne faut pourtant pas tordre la réalité. Cette sortie de crise balbutiante que l’Irlande connait tient beaucoup plus à la « logique de l’honneur » du pays, fondée sur la culture du consensus, qu’aux réformes menées. Ces dernières n’ont en effet pas participé à l’apparition de heurts majeurs à l’inverse des autres pays de la périphérie européenne. Et à l’heure où certains louent la sortie de crise du pays, de nombreux problèmes internes demeurent. Outre le niveau insoutenable de la dette publique, la situation sur le marché de l’emploi s’avère effectivement peu reluisante (le taux de chômage était de 12,3% en novembre dernier contre un niveau structurel d’avant crise de 5,5%) et l’accroissement des inégalités est un fait indéniable.
Car pour conserver sa compétitivité à l’international, élément clé qui a conféré à l’Irlande sa réputation de tigre celtique, les entreprises nationales ont dû procéder à des dévaluations internes ; les salaires ont au mieux stagné, au pire reculé de plus ou moins 12% en fonction des secteurs. Petit à petit, la crise économique cède ainsi sa place à un malaise social comme en atteste l’émigration de masse que connait actuellement le pays. Pour mémoire il y a encore six ans, parmi les pays d’Europe, l’Irlande était celui où l’immigration était la plus forte. Or, à en croire les chiffres fournis par le Central Statistic Office (CSO), depuis le déclenchement de la crise en 2008, environ 400 000 personnes (8% de la population) auraient quitté le pays
« Donne-moi ta main et prends la mienne, mais oui mais oui, la crise est finie ». Telles pourraient être les paroles chantées conjointement et joyeusement par le gouvernement irlandais et les experts de la troïka. Mais attention, cette apparente happy end constitue en fait une victoire politique et non économique, ni même sociale. Bien au contraire. Car si jusque-là les citoyens irlandais se sont montrés très compréhensifs (relativement à leurs homologues grecs, portugais et espagnols), le pays n’est certainement pas à l’abri de troubles sociaux futurs.
Achevé de rédiger le 15 janvier 2014
Anthony Benhamou