Draghi, Bernanke, Abe et Carney : les quatre fantastiques de la finance mondiale.

Les mois se suivent et se ressemblent. Ne ressentez-vous donc pas cette même effervescence à l’approche de chacune des prises de parole du banquier central ? Comme toujours en effet, les marchés s’agitent et attendent beaucoup de l’allocution mensuelle de Mario Draghi. Peut-être même beaucoup trop…

Une histoire de super-héros

L’atonie de la croissance économique dans les pays de la zone euro et l’inexorable montée du taux de chômage qui en résulte font peser de sérieux risques quant à la confiance des investisseurs. Un diagnostic peu reluisant auquel il convient d’ajouter les problèmes liés à l’euro-killer et la menace déflationniste qui se fait de plus en plus persistante. C’est dans ce contexte que de nombreux experts anticipent, voire prophétisent, un comportement plus offensif de la BCE et plus précisément de son patron, l’italien Mario Draghi. Une baisse de taux et/ou l’annonce d’un nouveau LTRO dans les semaines à venir ? Possible. Mais certainement pas suffisant pour les marchés. Non, ce dont rêvent les marchés, c’est d’une transformation de Mario Draghi en super-héros, à l’instar de ses homologues américain, japonais ou anglais.

Outre Atlantique en effet, Ben Bernanke, le président de la Fed a très rapidement été contraint de revêtir son costume d’Helicopter Ben pour remédier à la dégradation de l’économie américaine. Muni d’un double mandat (maintien de la stabilité des prix et promotion du plein emploi) le banquier central a en effet mis en place un ensemble de mesures dites non conventionnelles. Ainsi, outre le maintien à un niveau proche de zéro du principal taux directeur, ce sont 85 milliards de dollars qui sont déversés chaque mois dans l’économie dans le but de soutenir les marchés. Cet assouplissement monétaire, plus connu sous le nom de quantitative easing (QE) a jusque-là été fructueux. Pendant que les Etats-Unis s’endettent à moins de 3%, le Dow Jones bat en effet des records et le taux de chômage oscille autour de 7,2% contre quasiment 10% en 2010.

Du côté du Japon, le nouvel homme fort se nomme Shinzo Abe. Fraîchement élu en décembre 2012, après un quart de siècle de crise latente, le premier ministre nippon a décidé de sortir l’artillerie lourde pour remettre le pays sur le bon rail. Une transformation qui porte le nom d’abenomics, un super-héros armé de trois flèches ; réformes structurelles, plan de relance de 20 000 milliards de yens (environ 175 milliards d’euros) et surtout politique monétaire ultra accommodante. C’est en participant à la nomination en mars dernier de Haruhiko Kuroda au poste de gouverneur de la BoJ, que Shinzo Abe a pu mettre en place sa stratégie monétaire ; un objectif de doublement de la masse monétaire a ainsi été fixé via le rachat massif d’actifs risqués aux banques et d’obligations d’Etat. Et même si les exportations ne progressent que timidement, la demande intérieure s’est déjà tonifiée, permettant ainsi à l’économie du soleil levant de se reprendre progressivement, mais sûrement.

Enfin, frappé par la crise financière, puis par la crise de la zone euro, le Royaume-Uni alterne régulièrement depuis 2011 entre très faible croissance et légère contraction du PIB. Néanmoins, l’activisme de la BoE et de son gouverneur Sir Mervyn King a nettement contribué au rebond de la croissance du pays de ces derniers mois. En effet, parallèlement à la politique de rigueur menée par le gouvernement britannique, le banquier central a mené une politique monétaire accommodante qui s’est traduite par l’injection de 375 milliards de livres dans l’économie (équivalant à 440 milliards d’euros). Et il y a fort à parier que son successeur Mark Carney, connu également comme the Rock-Star Banker pour son travail au sein de la banque centrale canadienne, poursuive cet assouplissement monétaire pendant encore quelques temps. L’économie britannique affiche ainsi des taux de croissance de 0,4% au premier trimestre, de 0,7% au deuxième et enfin de 0,8% au troisième. Du jamais vu depuis trois ans.

En réalité, les cartes sont entre les mains des Etats

L’ensemble des économies occidentales semble ainsi renouer avec des taux de croissance positifs. Les perspectives pour 2014 s’annoncent en outre encourageantes à condition que les banquiers centraux poursuivent leur politique accommodante. En revanche, après une contraction de 0,2% au premier trimestre, le PIB de la zone euro s’est péniblement accrue de 0,3% au deuxième trimestre 2013. Une reprise bien fragile, plus particulièrement au regard de la menace déflationniste qui pèse actuellement sur la zone euro. Les données du mois d’octobre font en effet état d’une baisse du taux d’inflation annuel à 0,7%, bien loin du taux cible de 2%. Inquiets, les marchés espèrent ainsi que Mario Draghi se transforme en Super Mario et joue pleinement son rôle de quatrième fantastique.

Ce que les marchés semblent pourtant oublier, c’est que Mario Draghi a déjà parfaitement joué son rôle de super-héros. Durant tout le premier semestre 2012 en effet, quand le monde anticipait la sortie d’un ou de plusieurs pays de la zone euro (synonyme d’implosion de l’Union Economique et Monétaire), le président de la BCE a su faire face à ses responsabilités en enfilant son costume de Super Mario. Trois mots seulement lui avaient alors suffi pour restaurer le calme et la confiance ; « Whatever it takes ». En juillet 2012, devant un parterre d’investisseurs internationaux, Mario Draghi soutenait effectivement que « l’euro est irréversible » et que la BCE fera « tout ce qu’il faudra » pour trouver une issue à la crise. Une formule qui se matérialisa trois mois plus tard par la création du programme OMT, cet engagement formel de la BCE à financer sans limite la dette des pays en difficulté qui en feraient la demande. Puis en juillet 2013, il récidiva en affirmant que « la politique monétaire resterait accommodante aussi longtemps que nécessaire » et que la BCE laisserait ses taux à « leur niveau actuel ou plus bas, pour une période prolongée ».

Ce n’est visiblement pas assez et les marchés attendent beaucoup plus. Mais à court terme, seuls deux leviers peuvent être activés par la BCE. Tout d’abord, Super Mario peut procéder à une baisse de taux d’un quart de point à 0,25%. Une telle mesure n’aurait néanmoins qu’une influence limitée. Car, mise à part la Grèce qui est en situation de déflation (-1,1% sur base annuelle), la plupart des pays d’Europe du sud connaissent en effet de la désinflation. Ainsi par exemple, en septembre, le taux d’inflation annuel espagnol et chypriote s’établissait à 0,3% alors que le Portugal affichait un taux de 0,1%. Un ralentissement de la hausse des prix qui, certes remet en cause le mandat de la BCE dont la cible d’inflation est de 2%, mais soulage le pouvoir d’achat de nombreux ménages en période d’austérité. Il convient par ailleurs de s’interroger sur les marges de manœuvre dont disposerait la BCE si ces pays entraient véritablement en déflation.

Comme en décembre 2011 et février 2012, la BCE pourrait également accorder un prêt massif aux banques européennes à travers une opération de type LTRO. L’idée, c’est que les banques commerciales puissent octroyer plus aisément des crédits aux entreprises afin de relancer la croissance économique et surtout engendrer une hausse de la masse monétaire en circulation, synonyme d’inflation. Seulement, le problème du crédit dans beaucoup de pays de la zone euro provient d’une défaillance de la demande plutôt que de l’offre. Du coup, les banques qui se trouveraient en excès de liquidités pourraient alors être tentées par l’achat de dette publique et faire gonfler les risques liés à l’endettement souverain. De plus, à l’aube des stress test qui auront lieu au premier trimestre 2014, comment la BCE peut-elle s’assurer ex-ante que l’opération de LTRO ne concernera pas des banques qui auront échoué au test ?

Beaucoup de choses peuvent être dites sur l’inflation ou sur la déflation de même que sur la responsabilité du banquier central. Mais si ces débats ont le mérite d’exister, c’est bien parce que la zone euro n’a pas implosé et que Mario Draghi a jusque-là agi en qualité de Super Mario. Il est donc temps de comprendre que les véritables problèmes de la zone euro ont trait à la confiance des acteurs nationaux et à l’endettement colossal des Etats. Et que la déflation menaçante ne constitue qu’un accélérateur de la crise économique et social que connaissent de nombreux pays. Aussi, seule une consolidation budgétaire crédible, aussi lente soit-elle, peut aujourd’hui permettre le retour de la confiance, bien plus qu’une énième mesure du banquier central. Un retour de confiance qui serait alors synonyme de croissance économique et finalement d’une sortie par le haut de cette crise déjà bien trop longue….

 

Anthony Benhamou