Avis à tous ceux qui n’auraient pas suivi l’actualité de ces dernières semaines ; la France reprend très timidement le chemin de la croissance. C’est du moins ce qui ressort des prévisions d’institutions telles que la Banque de France et de l’OCDE. Mais à l’heure où un énième dérapage budgétaire semble inévitable, c’est un élément extérieur qui pourrait bousculer ce début d’euphorie, à savoir les élections allemandes du 22 septembre.
La reprise française unanimement saluée dans un contexte vulnérable ; ce qu’on veut voir et ce qu’on ne veut pas voir
En son temps, l’économiste français Frédéric Bastiat insistait sur la distinction entre « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ». Chaque intervention de l’Etat engendre effectivement un effet immédiat et visible, puis une multitude d’autres effets moins visibles et souvent non désirés. Et quand le mauvais économiste se contente d’analyser « ce qu’on voit », le bon économiste a une vision de plus long terme et peut même s’essayer à anticiper des effets « qu’on ne voit pas » séance tenante. Près de 150 ans plus tard, il est possible d’adapter cette distinction à la situation économique française. Mi-août en effet, l’INSEE a annoncé une croissance du PIB de 0,5% au deuxième trimestre, permettant à l’hexagone de sortir de la récession. Dès lors, les mauvais économistes ont souligné que la reprise s’expliquait par le net rebond de la consommation, synonyme du regain de confiance des ménages… C’est ce qu’on veut voir. Pour être plus précis pourtant, il convient de souligner que la hausse de la consommation des ménages s’explique en grande partie par des dépenses d’énergie inhabituelles, dues à un hiver prolongé et un printemps quasi inexistant… C’est ce qu’on ne veut pas voir, à l’instar du recul de l’investissement privé pour le septième trimestre consécutif.
Si les chiffres publiés par l’INSEE doivent de fait être maniés avec précaution, force est néanmoins de constater qu’un vent d’euphorie souffle depuis sur l’économie française. Le gouvernement ne manque d’ailleurs pas d’insister sur le caractère tenable de la reprise économique et tente de l’entretenir à travers des déclarations rassurantes faisant état, notamment, d’une « pause fiscale ». Prophéties auto-réalisatrices ? Possible, surtout que l’optimisme français est conforté par un relèvement des prévisions de croissance en provenance d’institutions crédibles. C’est ainsi que l’OCDE a récemment annoncé qu’elle tablait sur une hausse du PIB français de 0,3% en 2013, contre une contraction initiale de 0,3%. De même quelques jours plus tard, les économistes de la Banque de France ont annoncé une croissance du PIB français de 0,2% pour le troisième trimestre contre une prévision initiale de 0,1%. Si techniquement la récession appartient au passé, l’économie française demeure cependant vulnérable et la reprise n’est pas si évidente. En effet, la courbe du chômage tarde sérieusement à s’inverser tandis que les taux de l’OAT 10 ans subissent une remontée progressive, mais certaine, atteignant actuellement leur plus haut de l’année. Plus inquiétant encore, la France devrait connaître une sortie de route budgétaire plus violente que prévue ; si le ministre de l’économie, Pierre Moscovici évoque pour le moment un déficit budgétaire de 4,1%, l’exercice 2013 pourrait en fait se solder par un déficit proche des 4,5%… bien loin des 3,7% concédés par la Commission européenne à la fin du mois de mai.
Le contexte économique actuel s’avère ainsi franchement hésitant et l’hexagone tangue entre le bon (reprise balbutiante et hausse des indices de confiance) et le mauvais (fortes tensions sur les marchés obligataires et chômage record). Et, aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est probablement un élément extérieur qui devrait faire pencher la France d’un des deux côtés de la balance ; les élections fédérales allemandes.
A la tête de quelle coalition Angela Merkel dirigera-t-elle l’Allemagne durant les quatre prochaines années ?
Outre-Rhin en effet, le peuple allemand se rendra aux urnes le 22 septembre prochain pour élire ses députés fédéraux. Et sans grande surprise, Angela Merkel devrait être reconduite à la tête du pays. Opposée au social-démocrate Peer Steinbrück, l’actuelle chancelière qui brigue un troisième mandat arrive en effet en tête de tous les sondages. Toutefois, l’importance de la primauté de la CDU de Merkel sur le SPD de Steinbrück ne constitue qu’un détail et la véritable énigme de cette élection réside dans le choix des allemands quant à la coalition qui gouvernera le pays. Un élément dont le suspense demeure intact et dont les conséquences sur l’Europe, et en particulier sur la France, pourraient s’avérer désastreuses en termes de politique économique. En effet, si les libéraux du FDP réussissent à franchir la barre des 5% des suffrages exprimés, ils pourront siéger au sein du Bundestag et Merkel pourra ainsi renouveler sa coalition conservatrice. En revanche, si le parti libéral est devancé par des petits partis, Merkel devra changer de coalition et probablement y intégrer des membres du SPD et du parti vert. C’est donc le ton qu’adoptera Berlin au sein de l’Union européenne qui se joue lors de ce rendez-vous électoral, plutôt que le leadership de Merkel.
Historiquement, les allemands ont toujours accordé leur confiance au parti libéral qui, bien que souvent minoritaire, a toujours réussi à jouer un rôle incontournable dans la codirection du pays. L’absence de ce parti au sein du Bundestag constituerait ainsi une véritable surprise qui changerait toute la donne en Europe et couronnerait les tenants de la relance. Un temps envisagé, notamment du fait de la percée de Alternative für Deutschland, le parti anti-Euro, cette hypothèse semble néanmoins de moins en moins crédible. Et si Merkel parvenait à renouveler sa coalition (chrétiens-démocrates et libéraux), il est à peu près certains que tous les membres de l’Union européenne, sans exception, devront continuer de composer avec le « LA » allemand, comprenez celui de la compétitivité des entreprises et de la maîtrise des finances publiques. Tous sans exception ? Ja, France comprise. Car, si jusque-là l’hexagone a été épargné par la Commission européenne, Berlin pourrait bien suggérer à Bruxelles de durcir son discours afin que le gouvernement français entreprenne de réelles réformes structurelles, respecte ses objectifs budgétaires et cesse de célébrer le retour d’une croissance qui pour le moment s’avère bien molle.
François Hollande, qui était apparu comme le leader des tenants de la relance lors du sommet européen pour le budget 2014-2020, devra donc compter sur un bon score des partis de l’opposition allemande pour pouvoir contempler l’émergence d’une « grande coalition », synonyme de redistribution des cartes en Europe. Dans le cas contraire en revanche, Merkel n’accordera aucun cadeau au président français qu’elle n’avait d’ailleurs pas soutenu aux élections de 2012. Au pied du mur, le gouvernement français pourrait alors être contraint par Bruxelles (à travers la voix de Berlin) d’amorcer de douloureuses et véritables réformes. Or, une telle situation pourrait favoriser la croissance d’un sentiment d’euroscepticisme au sein de la population française ainsi que la montée des extrêmes. Une bonne dose de clarté dans les discours, de pédagogie et de courage politique semble aujourd’hui être la seule solution pour éviter une telle déconvenue… sauf à adopter volontairement la stratégie du « c’est pas nous, c’est les allemands ».
Achevé de rédiger le 12 septembre 2013,
Anthony Benhamou, anthonbenhamou@gmail.com