France : soldes sur la croissance, mais pas sur la dette publique. (E&S n°260)

Humeur :

Des soldes partout, sauf sur la dette publique…

De record en record. En toute logique, la dette publique française a atteint un nouveau sommet historique de 1 870,3 milliards d’euros au premier trimestre 2013, soit 91,7 % du PIB. Si ce ratio avait reculé de 1,1 point au troisième trimestre 2012, puis progressé de « seulement » 0,5 point au quatrième, il a donc retrouvé son « rythme de croisière », augmentant de 1,5 point sur le seul premier trimestre 2013. L’accélération de ce ratio au cours des dernières années apparaît de plus en terrifiant : + 10,4 points en trois ans et + 27,5 points depuis début 2008. En monnaie sonnante et trébuchante, la dette publique a progressé de 658,7 milliards d’euros depuis 2008, alors que, sur la même période, le PIB annuel en valeur (donc augmenté de l’inflation) a crû de seulement 124 milliards d’euros. Une dette publique qui augmente six fois plus que le PIB et l’inflation réunis, cela commence à faire désordre…

Le pire est que la flambée récente de la dette a été enregistrée en dépit de taux d’intérêt des obligations d’Etat anormalement bas. Cela signifie qu’à présent que les taux remontent et surtout lorsqu’ils vont se tendre fortement d’ici l’automne prochain, la dette progressera encore plus vite. Et, ce d’autant que le déficit public va encore être alourdi par la poursuite de la récession. Sur l’ensemble de l’année 2013, celui-ci devrait au moins atteindre 4,5 % du PIB. D’ici la fin 2013, le ratio dette publique / PIB devrait donc avoisiner les 97 %. Quant à 2014, conformément à la prévision que nous avons établie il y a déjà deux ans, la dette publique française atteindra bien le niveau impressionnant de 100 % du PIB. Une première depuis la seconde guerre mondiale.

Certes, il faut reconnaître que le ratio dette publique/PIB n’est que le rapport entre un stock de dettes et un flux de revenus. Or, comparer un stock à un flux a peu de sens économique. Si la dette n’était pas supérieure au revenu, il ne servirait à rien de s’endetter. Autrement dit, la dette n’est pas un drame, elle est au contraire un vecteur d’investissement, de développement et de croissance. Seulement voilà, si cette dernière n’est pas au rendez-vous, alors la dette devient non seulement inutile, mais surtout dangereuse.

C’est pourquoi le véritable enjeu réside dans le comparatif entre le flux de paiement des intérêts de la dette publique et le flux de croissance économique. Si le second est supérieur au premier, la dette est acceptable, ou du moins soutenable. Ainsi, de ce point de vue, en dépit d’un ratio dette publique/PIB de 100 % depuis 2011, les États-Unis sont par exemple toujours loin de la faillite. Bien loin de ce chemin, la France ne parvient plus à générer une croissance économique supérieure à la charge d’intérêts de sa dette publique. C’est en cela que son entrée prochaine dans le club très peu envié des pays endettés à plus de 100 % est un véritable danger pour l’avenir de l’économie et de la société française. Dans la zone euro, il n’existe que quatre pays de ce type : la Grèce, l’Italie, le Portugal et l’Irlande qui affichent des ratios de respectivement 180 %, 130 %, 123 % et 120 % (estimations optimistes pour 2013). Après vingt ans passés dans ce petit cercle des mauvais élèves, la Belgique en est sortie depuis 2003, même si elle flirte de nouveau avec la barre des 100 %, à 99 % en 2012 et 2013.

Au niveau des pays de l’OCDE, ce « cercle des 100 % » s’élargit légèrement avec trois autres pays : bien sûr le Japon, champion toutes catégories, avec environ 240 %, les États-Unis (105 %) et Singapour (104 %). Enfin, au niveau du reste du monde, six autres pays (du moins parmi ceux recensés par le FMI) se joignent à la fête : Les îles Saint Kitts and Nevis (145 %), la Jamaïque (143 %), le Liban (135 %), Erythrée (125 %), le Soudan (112 %) et Grenade (105 %). Si la France fait donc partie des lanternes rouges de la croissance mondiale, elle pourra se consoler en intégrant le « club des 100 % » qui ne comptait jusqu’à présent que treize membres. On se console comme on peut…

Certes, un pays développé comme la France a besoin d’un État fort et de dépenses publiques importantes. Ces dernières doivent effectivement permettre d’assurer la sécurité du pays, de ses citoyens, de mettre en place une justice efficace, un système éducatif performant, le tout en garantissant une croissance économique durablement forte, un chômage faible, une réduction de la pauvreté et des inégalités. Si la dépense publique parvient à tout cela, alors oui, elle est non seulement justifiée, mais également indispensable. Relevons-nous ce défi aujourd’hui dans l’Hexagone ? Sans vouloir jouer les Cassandre, nous en sommes loin. Certes, nos infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et aériennes sont exceptionnelles. Certes, l’école est gratuite, du moins jusqu’au Bac. Certes, le système de santé est plutôt performant.

Toutefois, depuis dix ans et a fortiori depuis cinq ans, nos « performances » économiques et sociales ont été déplorables. La croissance française n’a jamais été aussi faible. Le taux de chômage ne cesse de croître. La sécurité intérieure laisse de plus en plus à désirer. L’ascenseur social est bloqué au rez-de-chaussée depuis des années. L’égalité des chances à l’école et devant la maladie est loin d’être assurée. Le nombre de Bac +5 sans emploi devient affolant… Autant de piètres résultats malgré une débauche de moyens publics impressionnants. Ainsi, le poids de nos dépenses publiques dans le PIB atteint 56,3 % en 2012 (certainement plus de 57 % en 2013), contre 52,6 % en 2007. À l’exception du Danemark (avec un niveau de 58 %), aucun pays européen n’arrive à un tel sommet. Loin de ces niveaux, la part des dépenses publiques dans le PIB atteint 49,3 % pour l’ensemble de la zone euro, 44,9 % en Allemagne, 42,7 % en Espagne. Même la Grèce a réduit la voilure, avec un niveau de 50 % en 2012, contre 54 % en 2009. Au niveau mondial, sur les 188 pays recensés par le FMI, seuls quatre font « mieux » que le Danemark et la France : l’Irak, les îles Kiribati, le Lesotho et la Monarchie des Tuvalu…

Bref, la France est bien le seul grand pays de la planète à s’engager dans une augmentation maladive de ses dépenses publiques et ce, sans parvenir à améliorer sa croissance. De la sorte, elle enregistre un déficit permanent, qui accroît continuellement la dette publique. Il est grand temps d’arrêter les dégâts.

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

France : la récession n’est malheureusement pas terminée.


Bien sûr, nous aimerions annoncer que la récession française est terminée et que la faible augmentation de chômeurs en mai est de très bon augure pour inverser durablement la hausse du chômage.

Pour autant, si nous devons rester optimistes, il nous faut surtout demeurer réalistes. Or, la réalité est sans appel : l’augmentation de seulement 100 chômeurs en mai dans l’Hexagone est surtout due à des facteurs artificiels : effet de correction de la forte hausse des deux dernières années, radiation de chômeurs en fin de droit, découragement de chômeurs qui ne s’inscrivent plus sur les listes de pôles emplois, sans oublier, créations d’emplois aidés qui ne correspondent pas à une activité réelle.

Autrement dit, les chiffres du mois de mai sont simplement une éclaircie dans un contexte durablement maussade. Et ce, d’autant que la récession est loin d’être terminée. C’est notamment ce qui ressort de la deuxième version des comptes nationaux du premier trimestre 2013.

Sans surprise, l’INSEE a confirmé la baisse de 0,2 % du PIB français au premier trimestre 2013, soit une contre-performance identique à celle du quatrième trimestre 2012.

Si le retour officiel de la France en récession est donc, une nouvelle fois, entériné, le détail des comptes nationaux révisés demeure très inquiétant.

Tout d’abord, un petit regard sur le passé montre l’ampleur de l’atonie économique française. En effet, si l’on exclut la petite correction haussière du troisième trimestre 2012 (+0,1 %), cela fait désormais quatre trimestres que le PIB hexagonale recule, soit une baisse totale de 0,5 %.

Pis, la dernière augmentation trimestrielle supérieure à 0,2 % remonte au premier trimestre 2011. Autrement dit, l’atonie de l’économie française dure depuis huit trimestres. Deux ans sans croissance significative, cela commence à faire beaucoup.

En outre, n’oublions pas que le PIB français n’a toujours pas retrouvé son niveau d’avant crise. La richesse créée par l’économie française se situe ainsi 0,8 % en deçà de celle qui prévalait au premier trimestre 2008.

Mais il y a encore plus grave. En effet, après un tel marasme, on aurait pu espérer un petit mieux au premier trimestre 2013, au moins sur quelques postes des comptes nationaux. Pourtant, c’est exactement le contraire qui s’est produit. Et pour cause : en dehors de la consommation des administrations publiques (+ 0,4 %) et de la formation de stocks, toutes les composantes du PIB reculent au premier trimestre 2013. A cet égard, il faut d’ailleurs noter que sans la contribution positive et toujours un peu artificielle des stocks, le PIB français aurait reculé de 0,4 % au premier trimestre 2013.

A la rigueur, la baisse des exportations (- 0,4 %, après déjà -0,7 % au trimestre précédent) est presque une habitude. En revanche, la dégringolade des dépenses des ménages commence à devenir très dangereuse. Ainsi, l’investissement logement a reculé de 1,4 % et la consommation privée de 0,1 %. Ce dernier point est d’ailleurs historique. En effet, en 2012, la consommation des ménages a déjà reculé de 0,4 %, ce qui constitue sa plus mauvaise performance depuis le début des statistiques modernes de l’INSEE, c’est-à-dire depuis 1949. Or, en dépit de cette « descente aux enfers » historique, la consommation continue de reculer. Et malheureusement, cela risque de durer.

Car, si le pouvoir d’achat des ménages a rebondi de 1 % au premier trimestre 2013, c’est surtout grâce à la faiblesse de l’inflation et à un effet de correction de la baisse de 0,9 % du trimestre précédent. En outre, cette amélioration du pouvoir d’achat n’a pas profité à la consommation puisque les ménages l’ont utilisée pour augmenter leur taux d’épargne. Ce dernier est même passé de 15,1 % au quatrième trimestre 2012 à désormais 16 %. De quoi rappeler l’ampleur des inquiétudes des ménages français qui, face à l’adversité et au chômage, préfèrent donc épargner plutôt que de consommer.

A l’heure où les soldes d’été commencent, il faut donc d’ores et déjà savoir qu’ils seront moroses et ne boosteront pas la consommation.

Et ce d’autant que l’avenir reste très sombre, comme le confirme l’autre grande évolution inquiétante des comptes nationaux du premier trimestre 2013, en l’occurrence, l’effondrement de 1 % de l’investissement des entreprises. Ce dernier enregistre ainsi son cinquième trimestre consécutif de baisse, soit une dégringolade totale de 4,6 %. Une chute qui s’ajoute à l’effondrement de 14,8 % enregistré entre le deuxième trimestre 2008 et le troisième de 2009. Au total, en dépit d’un petit rebond en 2010-2011, l’investissement des entreprises françaises est toujours inférieur de 11,8 % à son niveau qui prévalait au premier trimestre 2008.

PIB, Investissement et consommation : toujours loin du compte…

Sources : INSEE, Calculs ACDEFI

Dans ce contexte de désinvestissement massif, les destructions d’emplois vont évidemment se poursuivre, aggravant encore le chômage, ce qui ne manquera pas de limiter les revenus donc la consommation, et d’alimenter encore la récession.

En d’autres termes, n’en déplaise au gouvernement, mais surtout à l’ensemble des Français, la récession hexagonale n’est pas terminée. En fait, l’économie nationale s’est engluée dans un cercle vicieux dramatique : désinvestissement-chômage-baisse de la consommation-récession…

Bien pire, l’augmentation de la pression fiscale et le maintien d’un euro trop fort vont alourdir la facture, ou plutôt la « fracture ».

Et ce ne sont évidemment pas les artifices tels que les emplois d’avenir ou le CICE qui vont inverser significativement la tendance.

Dans ce cadre, subissant d’ores et déjà (c’est-à-dire au sortir du premier trimestre) un acquis de décroissance de – 0,3 %, la variation annuelle du PIB français devrait être d’au mieux – 0,3 % sur l’ensemble de l’année 2013. Le déficit public devrait donc avoisiner les 4,5 % du PIB. De quoi encore dégrader la crédibilité de la France à l’échelle internationale.

 

 

 

 

Marc Touati



 

Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :

Nos prévisions économiques et financières pour 2013-2014 :


Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf.