Humeur :
Croissance et dette : où en serons-nous en 2021 ?
Vaste question. Et pour cause : s’il est déjà difficile de prévoir la situation économico-financière internationale à un an, établir des anticipations à presque dix ans relève de la gageure. Tel est pourtant l’exercice périlleux auquel on me demande régulièrement de me livrer. Seul réconfort : compte tenu du caractère particulièrement éloigné de l’horizon prévisionnel, il est peu probable que l’on me tiendra rigueur de mes erreurs potentielles. À ce sujet, il est clair que si, à court terme, le consensus a très souvent tort, son risque d’erreur augmente avec le temps.
Ainsi, à la lumière d’un rapide retour sur les prévisions émises en janvier 2001 pour les dix années à venir, il apparaît que la grande majorité d’entre elles se sont avérées vaines. À l’époque, en dépit du début du dégonflement de la bulle Internet, la croissance américaine restait soutenue et paraissait peu encline à s’affaisser. Et ce d’autant que le taux de chômage des États-Unis se stabilisait autour des 4 %, alimentant la dynamique de la consommation et de l’immobilier. En Europe, la zone euro avait tout juste deux ans et semblait encore capable de concurrencer, voire de surpasser rapidement la zone dollar. D’autant plus que les dirigeants européens venaient de signer la stratégie de Lisbonne pour s’engager à faire de l’Union européenne « la terre de croissance et d’innovation la plus performante de la planète à l’horizon 2010 »… Quelle belle « plantade » ! Quant aux pays émergents, ils paraissaient au bord de la faillite, avec notamment les crises asiatiques des années 1997-1998, la crise russe et celles du Brésil et de l’Argentine.
Autant de sentiments et de prévisions qui ont été balayés par la réalité, laquelle a même parfois tourné au cauchemar. D’abord pour des raisons géopolitiques. Ainsi, alors que la décennie 1991-2001 avait été marquée par un certain apaisement des tensions internationales, la suivante a complètement inversé la donne : attentats du 11 septembre 2001, guerre en Afghanistan, en Irak, en Serbie, en Tchétchénie, guerres civiles dans de nombreux pays africains et sud-américains… Le domaine sanitaire n’a également pas été épargné : pandémie de SRAS, puis de grippe aviaire. Que dire alors des catastrophes naturelles : tremblements de terres, tsunamis, ouragans, inondations, marées noires… À l’évidence, il aurait été difficile de faire pire. Pourtant, comme si toutes ces horreurs ne suffisaient pas, de nombreuses catastrophes économiques et financières ont également jalonné la dernière décennie : Enron, explosion de la bulle Internet, flambée spéculative des cours des matières premières, crise des subprimes, faillite de Lehman Brothers, envol des dettes publiques, crises islandaise, grecque, irlandaise, chypriote et plus globalement de la zone euro…
Bref, le monde de 2013 est loin de ressembler à celui que l’on pouvait imaginer en 2001. Il y a néanmoins une bonne nouvelle dans cette suite de catastrophes en tous genres : nous sommes toujours là. En d’autres termes, en dépit des embûches et de l’adversité, l’économie mondiale résiste et continue de produire des « success stories ». Certes, elles ne sont pas pléthores. Cependant, elles montrent que les crises et les péripéties peuvent aussi constituer des opportunités pour ceux qui ne se laissent pas abattre par le pessimisme qu’elles génèrent. Dans ce cadre, même s’il est impossible de savoir quelles seront les catastrophes qui jalonneront la prochaine décennie, il est d’ores et déjà certain qu’elles engendreront également des opportunités déterminantes pour ceux qui ne baisseront pas les bras face aux dangers, mais qui, au contraire, oseront investir.
Bien entendu, pour les adeptes du catastrophisme, les risques géopolitiques ne manquent pas : Iran, Proche-Orient, Amérique latine, Europe de l’Est, Corée du Nord, Chine, Afrique… En revanche, pour les autres, et même si ces risques sont réels, les dix prochaines années seront surtout riches de défis à relever : développer la révolution des nouvelles technologiques de l’énergie, innover pour contrecarrer les probables pénuries d’eau et de matières premières alimentaires, limiter la spéculation sur les marchés financiers et réduire la pauvreté et les inégalités. Dans ce cadre, il est alors possible de rêver pour 2021 d’une planète plus propre avec une croissance soutenue sans pétrole, d’un monde pacifié tant d’un point de vue nucléaire qu’en matière de terrorisme, d’un système monétaire et financier international plus transparent et plus équilibré, sans oublier une réduction des dettes publiques, qui passera forcément par des dépenses publiques mieux maîtrisées et retrouvant une certaine efficacité.
Néanmoins, s’il est injustifié de sombrer dans le défaitisme, il serait tout autant erroné de se cantonner dans l’angélisme. Nous ne vivons pas dans le monde des « Bisounours » et, même si nous refusons de spéculer sur les désordres géopolitiques, il est malheureusement clair que le monde devra encore affronter d’autres difficultés économico-financières d’ici 2021. La première est d’ailleurs déjà présente, puisqu’il s’agit de la crise de la dette publique et plus globalement celle de la zone euro qui n’en finit plus. Si nos dirigeants politiques et monétaires ne parviennent pas à réaliser une UEM fiscalement et réglementairement harmonisée, avec un budget fédéral, qui deviendrait ainsi une terre de croissance, il faudra se préparer à un éclatement de la zone euro dans les cinq prochaines années. À plus long terme, l’hégémonie du dollar risque aussi d’être remise en cause par la montée en puissance du yuan. Or, si ce dernier remplace le billet vert sur la scène internationale, les États-Unis tomberont de leur piédestal et le monde s’engagera dans une crise économique encore plus grave que celle de 2008-2009.
Enfin, si ces deux sombres scénarios peuvent encore être évités, il sera beaucoup plus difficile de freiner la montée en puissance du monde dit émergent. Dans ce cadre, après avoir déjà été profondément modifiée au cours des dix dernières années, la répartition du PIB mondial subira une véritable révolution d’ici 2021. Ainsi, de 2 % en 1980 à 15 % aujourd’hui, la part du PIB chinois (en parités de pouvoir d’achat) dépassera les 20 %, soit au moins deux points de plus que les États-Unis qui perdront donc leur première place. Le poids de l’Inde sera proche des 10 %, c’est-à-dire un niveau équivalent à celui de la zone euro. Quant à la France, elle ne représentera plus que 1,8 % du PIB mondial, contre 2,9 % en 2010 et 2,6 % en 2012. Il ne faut pas en avoir peur, mais simplement le savoir (et l’accepter !) pour faire les bons choix stratégiques….
Marc Touati
Quid de l’économie et des marchés cette semaine :
« Helicopter Ben » va-t-il tomber en panne ?
Ben Bernanke, président de la Federal Reserve (Fed) depuis 2006, est probablement un des hommes les plus influents au monde. Sous ses airs paisibles, il n’hésite pas, depuis qu’il est en poste, à se servir d’une arme redoutable, à savoir la « planche à billets ». Une politique monétaire ultra accommodante qui a, certes, permis le retour de la confiance sur les marchés ainsi que l’amélioration de l’économie américaine…mais qui ne peut se poursuivre ad vitam æternam.
Bernanke, l’homme qui valait 85 milliards de dollars… par mois.
A l’inverse de la Banque Centrale Européenne (BCE), dont la principale mission consiste en l’atteinte d’une cible d’inflation, le mandat de la Fed est double. Il porte en effet sur le maintien de la stabilité des prix mais également sur la promotion du plein-emploi. Et c’est justement ce deuxième volet qui justifie les mesures non conventionnelles prises par Bernanke et notamment l’annonce des désormais célèbres quantitative easing (QE), ces rachats massifs de dette publique américaine et d’actifs hypothécaires titrisés. Un déversement de liquidités dans l’économie américaine qui lui a valu le surnom d’ « Helicopter Ben », en référence à la métaphore de Milton Friedman où des billets sont lâchés du ciel depuis un hélicoptère.
La Fed a fait le maximum.
Sources : BEA, Fed, ACDEFI
Les dernières mesures d’assouplissement monétaire (QE3) prévoient ainsi une injection mensuelle de 85 milliards de dollars dans l’économie américaine, de même que le maintien du principal taux directeur à un niveau proche de zéro, tant que les anticipations d’inflation demeurent inférieures à 2,5% et que le taux de chômage est supérieur à 6,5%. Le dernier rapport mensuel du gouvernement américain sur l’emploi fait justement état d’un taux de chômage à 7,6%. Une statistique ni trop chaude, ni trop froide. Juste ce qu’il faut pour rassurer les marchés quant à la poursuite du QE3 par la Fed.
Bien que le taux de chômage actuel soit supérieur aux objectifs fixés par la Fed, force est de constater pourtant qu’il est à son plus bas niveau depuis quatre ans. Une dynamique qui interroge plusieurs membres du comité de politique monétaire (FOMC) quant au rythme actuel du QE3 et au risque de surchauffe qu’il porte en lui. William McChesney Martin Jr., président de la Fed entre 1951 et 1970, insista ainsi sur le troisième rôle de la Fed qui consiste à « retirer le bol de punch quand la fête s’anime » (« To take away the punch bowl just as the party gets going »). L’art du banquier central américain réside donc dans sa capacité à ramener l’euphorie dans l’économie sans pour autant la faire basculer dans l’ivresse. Et si Bernanke, grand spécialiste de la crise de 1929 et de la déflation japonaise des années 1990, excelle dans la recette du punch, il semble bien moins habile quand il s’agit de retirer le bol. En témoigne l’évaporation, le 22 mai dernier, d’environ 3 000 milliards de dollars sur les places financières suite à une simple évocation par Bernanke d’une possible baisse de l’ampleur du QE3 dans les mois à venir.
Le discours du banquier central ; un art à l’état pur.
Mais qu’il se rassure, Bernanke n’est pas le seul à rencontrer des difficultés quand il s’agit d’évoquer la fermeture d’un open bar. Son prédécesseur Alan Greenspan, qui fut à la tête de la Fed entre 1987 et 2006, aimait ponctuer ses interventions par le célèbre « si vous m’avez compris, c’est que je me suis mal exprimé ». Et alors que le maestro avait clairement précisé ses intentions, le relèvement d’un quart de point du taux directeur provoqua en 1994 un krach obligataire dévastateur.
Près de vingt années plus tard, l’histoire peut-elle se répéter ? Pour éviter une telle déconvenue, Bernanke a souhaité, lors de son intervention du 19 juin, clarifier sa position quant au devenir de la politique monétaire américaine. Oui, la Fed maintient en l’état sa politique de soutien exceptionnel à la reprise économique du pays… néanmoins, en cas d’amélioration de la conjoncture, une diminution des injections de liquidités devrait avoir lieu. La trajectoire dessinée par la Fed est en outre limpide ; la réduction de l’ampleur du QE3 se fera dès lors que le taux de chômage passera sous la barre des 7%, et son arrêt définitif quand la cible de 6,5% sera atteinte… soit probablement mi 2014.
Le chômage américain est encore trop élevé…
Sources : BLS, Fed, ACDEFI
Il y a donc fort à parier que l’infléchissement de la politique monétaire américaine n’aura pas lieu sous le mandat de Bernanke. Celui qui devrait quitter ses fonctions début 2014, ne prendra sûrement pas le risque d’être le responsable de quelconques tensions sur les marchés et, par la même occasion, d’entacher un bilan globalement positif.
En outre, il convient de souligner qu’à moins d’un coup de baguette magique, une colombe ne peut se transformer en un faucon ; à ce titre, Bernanke maîtrise la recette du punch, mieux que le tour de vis monétaire. L’actuel président de la Fed a néanmoins tenu à déminer le terrain au profit de son successeur. Pour la première fois effectivement, il a offert aux marchés une réelle visibilité à moyen terme en annonçant le ralentissement, voire la fin, du QE pour 2014 et des remontées de taux pour 2015.
Un travail herculéen attend ainsi le prochain président de la Fed, qui devra rivaliser d’habilité pour défaire un dispositif monétaire exceptionnel et complexe, sans froisser la sensibilité des investisseurs internationaux.
Quatre favoris pour un fauteuil.
C’est le président américain, Barack Obama, qui nommera le prochain président de la Fed. Et d’ores et déjà, plusieurs noms circulent tels que Lawrence Summers et Timothy Geithner. Neveu de deux anciens lauréats du prix Nobel d’économie (Paul Samuelson et Kenneth Arrow), Summers est l’actuel chef du Conseil économique national et a occupé le poste de Secrétaire au Trésor américain entre 1999 et 2001. Geithner, pour sa part, est l’actuel président de la Fed de New York. Les rumeurs les plus folles avancent également le nom de Stanley Fischer dont la démission de la Banque d’Israël, annoncée en janvier, a été effective ces derniers jours. Enfin, et c’est probablement la piste la plus sérieuse, la colombe Janet Yellen, actuelle vice-présidente de la Fed et, notamment, connue pour ses travaux sur le salaire d’efficience avec son mari, Georges Akerlof, prix Nobel d’économie en 2001.
Quelle que soit l’issue de cette nomination, l’exercice 2014 marquera un tournant économique à la fois pour les Etats-Unis mais également pour le reste du monde. Le successeur de Bernanke aura, en effet, fort à faire pour bien doser son discours et résister à la pression des faucons ainsi qu’à celle des marchés. Enfin, il devra par-dessus tout maîtriser à merveille l’art de retirer le bol de punch… sous peine d’un lendemain de gueule de bois.
Anthony Benhamou
Nos prévisions macro-économiques et financières pour 2013-2014 :
Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf.