Emploi US, zone euro, Lettonie : espoirs ou déboires ? (E&S n°257)

Humeur :

La Lettonie dans la zone euro : courageux ou suicidaire ?

A l’heure où la zone euro fait l’objet de toutes les craintes (récession durable, chômage historiquement élevé, risque d’implosion…), l’annonce de l’entrée d’un nouveau membre a de quoi surprendre. C’est un peu comme si un bateau à la dérive accueillait un nouveau passager.

Et si l’UEM n’est pas encore le Titanic (quoique…), la Lettonie n’a vraisemblablement pas peur de subir le triste sort des derniers pays entrants dans la zone euro. En effet, qu’il s’agisse de Chypre, de Malte, de l’Estonie et de la Slovénie, voire de la Slovaquie, tous les nouveaux membres de l’UEM se portent aujourd’hui plus mal qu’avant leur entrée dans la zone. Malédiction, coïncidence ou conséquence logique du mauvais fonctionnement de la zone euro ? Les trois réponses sont possibles, et en particulier la dernière.

Certes, les fondamentaux économiques et financiers de la Lettonie apparaissent solides. Après avoir atteint 5,5 % tant en 2011 qu’en 2012, la croissance lettone devrait ainsi avoisiner les 4 % cette année. Parallèlement, en dépit d’une augmentation massive de 2008 à 2012 (passant de 8 % à 36 % du PIB), la dette publique ne devrait pas dépasser les 40 % cette année. Il faut dire que, depuis 2010, la Lettonie n’a pas ménagé ses efforts pour assainir ses comptes publics. Après avoir enregistré un déficit de 7,8 % du PIB en 2009, ces derniers ont ainsi dégagé un excédent de 0,1 % en 2012. Et même si le déficit devrait revenir cette année, il ne serait que d’environ 1,5 % du PIB.

Pour parvenir à de tels résultats, le poids des dépenses publiques dans la richesse nationale a été réduit de 44 % en 2009 à 37 % l’an passé et environ 36 % en 2013. Comme quoi, quand on veut, on peut.

Bien entendu, la Lettonie est un tout petit pays que ne représente que 0,3 % du PIB de l’UEM. Autrement dit, son adhésion à cette dernière n’a que très peu de conséquence économique sur l’avenir de la zone euro. A l’inverse, l’adoption d’une devise trop forte pour un petit pays comme la Lettonie pourrait grever la croissance de celle-ci. D’où une question : pourquoi un tel pays a priori vertueux souhaite absolument se priver de l’arme du taux de change et entrer dans une zone contraignante qui risque de lui coûteux plus que ce qu’elle peut lui apporter ?

Si l’on exclut l’altruisme pur et dur et le souci de redorer le blason de la zone euro, le principal mobile réside dans la volonté de la Lettonie de faire comme son voisin estonien et de s’ancrer à l’euro, de manière à se séparer encore un peu plus du cousin russe. Autrement dit, l’entrée de la Lettonie ne tient pas à l’attractivité économique de l’UEM, mais relève principalement du calcul politique.

Du côté eurolandais, cette nouvelle adhésion en pleine crise économique et politique de la zone euro confirme que les dirigeants de cette dernière continuent leur fuite en avant et se complaisent dans l’erreur de construction qui prévalait déjà lors de la création de l’UEM.

En effet, cette dernière n’a de sens que si elle réunit des pays économiquement très proches. L’idéal aurait donc été de créer une zone euro « en petit comité » avec six ou sept pays convergents. Il aurait alors été plus aisé d’harmoniser les conditions fiscales et réglementaires tout en créant un budget fédéral. Une fois de telles fondations solides établies, un élargissement aurait été possible et surtout efficace. Malheureusement, plutôt que de s’engager sur la voie du bon sens, les Eurolandais, notamment sous l’impulsion des Français, ont préféré mettre la charrue avant les bœufs et élargir sans harmoniser. En d’autres termes, on a voulu construire le troisième étage de l’édifice avant même d’avoir terminé les fondations. Résultat des courses : la zone euro est devenue la tour de Pise…

Dès lors, lorsque la crise de 2008-2009 a commencé, toutes ces erreurs de construction ont produit des effets durablement dévastateurs, si bien qu’à l’heure actuelle, toutes les grandes zones économiques de la planète ont renoué avec la croissance et sont en partie sorties de la crise de la dette, sauf la zone euro.

Il faut donc être clair : l’Union Économique et Monétaire ne pourra sortir de la crise de la dette, et plus globalement de sa crise existentielle tant qu’elle ne sera pas une zone monétaire optimale (ZMO). Cela signifie qu’il existe une parfaite mobilité des capitaux, des entreprises, mais aussi des travailleurs au sein de la zone en question. Pour y parvenir, les pays qui la composent doivent œuvrer à une harmonisation de leurs conditions fiscales, budgétaires et réglementaires, préparer le terrain à un marché du travail unique, sans oublier d’instaurer un budget fédéral conséquent, capable de supprimer les chocs asymétriques au sein de la zone. En d’autres termes, si un des États membres connaît une crise spécifique (que l’on appelle un choc asymétrique), le budget fédéral pourra y remédier directement, annihilant ainsi les risques de contagion à l’ensemble de la zone.

Ne l’oublions pas, la création de l’euro n’était qu’une étape visant à donner naissance à une union politique et fédérale. On peut être favorable ou opposé à cette dernière mais si on la refuse, il faut d’ores et déjà savoir que l’UEM finira par exploser, sortant donc de la crise de la dette par le bas, replongeant l’Europe dans un jeu non-coopératif et forcément destructeur. Or, plus la zone euro s’élargit, plus elle s’éloigne de la ZMO et plus elle se rapproche de ce scénario catastrophe.

Bien loin d’avoir redoré le blason de l’UEM, l’adhésion de la Lettonie à l’euro pourrait donc bien être la dernière et la plus éphémère.

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

Etats-Unis : la croissance ralentit et le chômage remonte.


Ce qui devait arriver arriva : dans le prolongement du ralentissement de la croissance, le marché du travail américain commence également a montrer des signes de faiblesse.

Certes, les 175 000 créations d’emplois enregistrées en mai sont plus qu’honorables. C’est d’ailleurs ce qui a permis aux indices boursiers de nettement rebondir sur cette apparente bonne nouvelle. Cependant, elle doit aussi être relativisée par la révision baissière de la performance du mois précédent (qui passe de 165 000 à 149 000 créations de postes).

De plus, compte tenu des traditionnelles révisions des statistiques de population active, le taux de chômage, qui avait fortement baissé depuis la mi-2012, est reparti à la hausse. Là aussi, avec un niveau de 7,6 %, il n’y a rien de dramatique, mais toujours est-il que la « job machine » américaine décélère, limitant de facto les revenus et les dépenses de consommation des ménages.

La job machine américaine résiste mais s’avère de plus en plus fragile.

Sources : BLS et ACDEFI

Le problème est que les indicateurs avancés de la croissance et de l’emploi montrent que la fragilité restera d’actualité au moins jusqu’à l’automne prochain. Ainsi, l’évolution des enquêtes ISM des directeurs d’achat en mai apparaît relativement inquiétante.

Certes, l’indice ISM a étonnamment progressé de 0,6 point en mai dans les services. Avec un niveau de 53,7, il montre notamment que la croissance américaine devrait se stabiliser autour des 2,5 %.

Cette dynamique sera néanmoins freinée par l’industrie, pour laquelle l’indice ISM est repassé sous les 50 à précisément 49, un plus bas depuis juin 2009. S’il n’y a encore pas péril en la demeure, il est clair que l’industrie se rapproche dangereusement de la récession.

 

 

 

 

Etats-Unis : les services résistent mais l’industrie souffre de plus en plus.

Sources : ISM, BEA et ACDEFI

Des indicateurs mitigés mais qui restent encore bien plus favorables que ceux de la zone euro. Certes, la seconde estimation des enquêtes PMI des directeurs d’achat dans l’UEM a confirmé les évolutions de la première version. Elle les a même renforcées dans l’industrie, pour laquelle l’indice PMI est passé de 46,5 en avril à 48,3.

Dans les services, l’indice PMI a été révisé en légère baisse à 47,2 en mai, contre néanmoins 46,6 le mois précédent.

Zone euro : les indices des directeurs d’achat remontent mais confirment la poursuite de la récession.

Sources : Eurostat, Markit et ACDEFI

Au total, après un nouveau plancher au deuxième trimestre, le glissement annuel du PIB eurolandais devrait légèrement rebondir au second semestre 2013 mais sans dépasser la barre des 0 %.

Malheureusement, la crise est toujours loin d’être terminée…

Marc Touati



Les évènements à suivre du 10 au 14 juin :


Encore une semaine mitigée aux Etats-Unis.


Cette semaine économico-statistique sera principalement américaine avec trois publications déterminantes : les ventes au détail (jeudi), les prix à la production et la production industrielle (vendredi).

Dans la zone euro, on surveillera surtout les statistiques françaises : la production industrielle (lundi), l’emploi et l’inflation (mercredi).

 

 

Lundi 10 juin, 8h45 (heure de Paris) : léger rebond technique de la production industrielle française.

 

Après la forte dégringolade de l’automne dernier (avec une baisse de 3,7 % de septembre à novembre), la production industrielle continue de souffrir, enchaînant les mois de hausses et de baisses correctives : + 0,7 % en décembre, – 1 % en janvier, + 0,8 % en février et enfin – 0,9 % en mars. En avril, comme le montre les dernières enquêtes de l’INSEE dans l’industrie, cette évolution en dents de scie devrait se prolonger. Ainsi, selon nos prévisions, la production industrielle devrait rebondir de 0,5 %, n’effaçant qu’en partie la chute de mars.

Cependant, compte tenu de l’augmentation de 1,9 % observée en avril 2012, le glissement annuel de la production chuterait de 1,4 point à – 3,9 %.

 

 

Mercredi 12 juin, 8h45 : l’inflation française se stabilise à 0,7 %.

 

Dans le sillage de la modération de l’inflation des matières premières, notamment énergétiques, mais aussi de par la faiblesse des dépenses des ménages, les prix à la consommation devraient encore reculer de 0,1 % en mai (c’est-à-dire une évolution identique à celle d’avril).

Dans la mesure où cet indice des prix avait aussi reculé de 0,1 % en mai 2012, son glissement annuel resterait stable à 0,7 %. Pour la forte inflation, il faudra donc repasser. Par contre, la déflation se rapproche à grands pas.

 

 

Jeudi 13 juin, 14h30 : les ventes au détail progressent modérément aux Etats-Unis.

 

Comme cela s’est déjà observé en avril, avec une hausse de seulement 0,1%, les ventes au détail américaine devraient rester « sages », progressant sur un rythme identique en mai.

Quant aux ventes au détail hors automobile, elles progresseraient de 0,2 % en mai, après avoir reculé de 0,1 % le mois précédent.

Compte tenu d’un marché du travail toujours mi-figue, mi-raisin, les consommateurs américains continuent de rester prudents, privilégiant la parcimonie, comme ils le font depuis le début 2013.

 

 

Vendredi 14 juin, 14h30 : augmentation corrective des prix à la production outre-Atlantique.

 

Après avoir déjà nettement baissé depuis le début 2012 dans le sillage du recul des prix des matières premières et notamment énergétiques, les prix à la production (PPI) devraient rebondir de 0,2 % en mai, après avoir chuté de 0,7 % en avril. Il s’agirait donc d’une correction haussière très limitée. En revanche, compte tenu d’une baisse mensuelle de 0,6 % en mai 2012, le glissement annuel du PPI augmenterait fortement, passant de 0,6 % en avril à 1,4 % en mai.

Quant au PPIX (c’est-à-dire hors énergie et produits alimentaires), il augmenterait au même rythme qu’en avril, c’est-à-dire de 0,1 % sur un m