A l’heure où la zone euro fait l’objet de toutes les craintes (récession durable, chômage historiquement élevé, risque d’implosion…), l’annonce de l’entrée d’un nouveau membre a de quoi surprendre. C’est un peu comme si un bateau à la dérive accueillait un nouveau passager.
Et si l’UEM n’est pas encore le Titanic (quoique…), la Lettonie n’a vraisemblablement pas peur de subir le triste sort des derniers pays entrants dans la zone euro. En effet, qu’il s’agisse de Chypre, de Malte, de l’Estonie et de la Slovénie, voire de la Slovaquie, tous les nouveaux membres de l’UEM se portent aujourd’hui plus mal qu’avant leur entrée dans la zone. Malédiction, coïncidence ou conséquence logique du mauvais fonctionnement de la zone euro ? Les trois réponses sont possibles, et en particulier la dernière.
Certes, les fondamentaux économiques et financiers de la Lettonie apparaissent solides. Après avoir atteint 5,5 % tant en 2011 qu’en 2012, la croissance lettone devrait ainsi avoisiner les 4 % cette année. Parallèlement, en dépit d’une augmentation massive de 2008 à 2012 (passant de 8 % à 36 % du PIB), la dette publique ne devrait pas dépasser les 40 % cette année. Il faut dire que, depuis 2010, la Lettonie n’a pas ménagé ses efforts pour assainir ses comptes publics. Après avoir enregistré un déficit de 7,8 % du PIB en 2009, ces derniers ont ainsi dégagé un excédent de 0,1 % en 2012. Et même si le déficit devrait revenir cette année, il ne serait que d’environ 1,5 % du PIB.
Pour parvenir à de tels résultats, le poids des dépenses publiques dans la richesse nationale a été réduit de 44 % en 2009 à 37 % l’an passé et environ 36 % en 2013. Comme quoi, quand on veut, on peut.
Bien entendu, la Lettonie est un tout petit pays que ne représente que 0,3 % du PIB de l’UEM. Autrement dit, son adhésion à cette dernière n’a que très peu de conséquence économique sur l’avenir de la zone euro. A l’inverse, l’adoption d’une devise trop forte pour un petit pays comme la Lettonie pourrait grever la croissance de celle-ci. D’où une question : pourquoi un tel pays a priori vertueux souhaite absolument se priver de l’arme du taux de change et entrer dans une zone contraignante qui risque de lui coûteux plus que ce qu’elle peut lui apporter ?
Si l’on exclut l’altruisme pur et dur et le souci de redorer le blason de la zone euro, le principal mobile réside dans la volonté de la Lettonie de faire comme son voisin estonien et de s’ancrer à l’euro, de manière à se séparer encore un peu plus du cousin russe. Autrement dit, l’entrée de la Lettonie ne tient pas à l’attractivité économique de l’UEM, mais relève principalement du calcul politique.
Du côté eurolandais, cette nouvelle adhésion en pleine crise économique et politique de la zone euro confirme que les dirigeants de cette dernière continuent leur fuite en avant et se complaisent dans l’erreur de construction qui prévalait déjà lors de la création de l’UEM.
En effet, cette dernière n’a de sens que si elle réunit des pays économiquement très proches. L’idéal aurait donc été de créer une zone euro « en petit comité » avec six ou sept pays convergents. Il aurait alors été plus aisé d’harmoniser les conditions fiscales et réglementaires tout en créant un budget fédéral. Une fois de telles fondations solides établies, un élargissement aurait été possible et surtout efficace. Malheureusement, plutôt que de s’engager sur la voie du bon sens, les Eurolandais, notamment sous l’impulsion des Français, ont préféré mettre la charrue avant les bœufs et élargir sans harmoniser. En d’autres termes, on a voulu construire le troisième étage de l’édifice avant même d’avoir terminé les fondations. Résultat des courses : la zone euro est devenue la tour de Pise…
Dès lors, lorsque la crise de 2008-2009 a commencé, toutes ces erreurs de construction ont produit des effets durablement dévastateurs, si bien qu’à l’heure actuelle, toutes les grandes zones économiques de la planète ont renoué avec la croissance et sont en partie sorties de la crise de la dette, sauf la zone euro.
Il faut donc être clair : l’Union Économique et Monétaire ne pourra sortir de la crise de la dette, et plus globalement de sa crise existentielle tant qu’elle ne sera pas une zone monétaire optimale (ZMO). Cela signifie qu’il existe une parfaite mobilité des capitaux, des entreprises, mais aussi des travailleurs au sein de la zone en question. Pour y parvenir, les pays qui la composent doivent œuvrer à une harmonisation de leurs conditions fiscales, budgétaires et réglementaires, préparer le terrain à un marché du travail unique, sans oublier d’instaurer un budget fédéral conséquent, capable de supprimer les chocs asymétriques au sein de la zone. En d’autres termes, si un des États membres connaît une crise spécifique (que l’on appelle un choc asymétrique), le budget fédéral pourra y remédier directement, annihilant ainsi les risques de contagion à l’ensemble de la zone.
Ne l’oublions pas, la création de l’euro n’était qu’une étape visant à donner naissance à une union politique et fédérale. On peut être favorable ou opposé à cette dernière mais si on la refuse, il faut d’ores et déjà savoir que l’UEM finira par exploser, sortant donc de la crise de la dette par le bas, replongeant l’Europe dans un jeu non-coopératif et forcément destructeur. Or, plus la zone euro s’élargit, plus elle s’éloigne de la ZMO et plus elle se rapproche de ce scénario catastrophe.
Bien loin d’avoir redoré le blason de l’UEM, l’adhésion de la Lettonie à l’euro pourrait donc bien être la dernière et la plus éphémère.
Marc Touati