Voici l’interview que vous pouvez aussi consulter sur le site d’Atlantico.fr :
Atlantico : Arnaud Montebourg, le ministre du redressement productif a estimé dans un entretien au journal Le Monde que “Le sérieux budgétaire, s’il tue la croissance, n’est plus sérieux”. François Hollande a réagit pour sa part en précisant que “c’est le sérieux qui permet la croissance”. La France mène t-elle actuellement une politique de “sérieux budgétaire” ?
Jacques Sapir : On peut jouer sur les mots, mais il est clair que le gouvernement, à travers les hausses d’impôts comme la réduction des dépenses publiques, mène une politique d’austérité. Ceci est incontestable. Par ailleurs, les mesures dites d’assouplissement du marché du travail se traduiront par une dégradation de la situation sociale et matérielle des salariés. Il faut une sacrée dose de culot pour prétendre que ceci n’est pas de l’austérité.
La déclaration d’Arnaud Montebourg est tout à fait juste, même si elle est incomplète. Nous savons depuis maintenant pratiquement 3 ans, date de la parution des premières études, que les mesures d’austérité ont des conséquences très néfastes sur la croissance. Le FMI l’a rappelé par la voix de son « Chief Economist » en janvier dernier. Mais, là ou Arnaud Montebourg ne va pas jusqu’au bout c’est quand il n’analyse pas pourquoi nous menons cette politique mortifère. Cele le conduirait à s’attaquer au tabou de l’Euro.
Marc Touati : La politique actuelle du gouvernement es malheureusement loin du “sérieux budgétaire”. Et pour cause : compte tenu d’une baisse annuelle du PIB francais de 0,3% cette année, le déficit public sera d’environ 4,5 % du PIB, soit bien loin des objectifs gouvernementaux. La raison de ce dérapage est simple : en augmentant encore la pression fiscale, la récession va s’aggraver, le chômage augmenter et le déficit s’accroître. Au-delà des déficits publics et commerciaux, le plus grave déficit de la France est un déficit de crédibilité.
Quels sont les risques à équilibrer les comptes publics essentiellement par des hausses d’impôts plutôt que par des baisses de dépenses comme le gouvernement semble le faire ?
Jacques Sapir : Le risque est aujourd’hui le même. Que l’on augmente les impôts ou que l’on réduise les dépenses, cela aura des conséquences délétères sur la consommation. Sauf qu’une hausse d’impôt aura – normalement – moins de conséquences néfastes sur l’égalité des revenus qu’une réduction des dépenses.
Mais, que l’on agisse par les recettes ou par la contraction des dépenses, il faut savoir que pour toute réduction du déficit de 1% du PIB nous aurons une baisse de la croissance de -1,4% environ. Dans une période de récession généralisée c’est une véritable folie, dont il faudra bien un jour s’interroger sur les raisons, de mener une telle politique.
Marc Touati : Le coût économique d’une augmentation des impôts est quasiment double de celui lié à une baisse des dépenses, en particulier s’il s’agit de dépenses de fonctionnement. D’autant que ces dernières ont augmenté de 100 milliards d’euros depuis dix ans. L’an passé encore, ces dernières ont cru de 9,4 milliards d’euros. C’est inadmissible. Comment peut-on demander aux Français de se serrer la ceinture, alors que les dépenses publiques de fonctionnement augmentent fortement ? On confond d’ailleurs souvent rigueur budgétaire et assainissement des finances publiques. Si la rigueur pour la rigueur n’a aucun sens (c’est ce que j’appelle “mourir guéri” dans “Le dictionnaire terrifiant de la dette”), l’assainissement des dépenses est indispensable. C’est cela le “sérieux budgétaire”.
L’austérité, si ardemment dénoncée par plusieurs ministres du gouvernement, pourrait-elle être bénéfique (avant, d’ailleurs, qu’elle ne nous soit imposée) ?
Jacques Sapir : Cette austérité aura des conséquences très négatives à court et à moyen terme. Il faut savoir que toute baisse de la croissance induit une forte augmentation du chômage, et que cette dernière, du fait de la réduction de la consommation qu’elle entraîne, réduit encore plus la croissance par la suite. Par ailleurs, ces baisses de croissance qu’engendre la politique d’austérité se traduisent mécaniquement par des baisses de revenus fiscaux. Ainsi, quant ont veut réduire le déficit de 1 point de PIB, on va pratiquer des mesures d’austérité pour 20 milliards d’euros. Ces mesures vont entraîner une baisse de la croissance de 28 milliards d’euros (multiplicateur de 1,4).
Donc, compte tenu de la pression fiscale, ce sont 13 milliards de moins que fourniront nos impôts. Le déficit ne sera pas réduit de 20 milliards mais de 20-13 soit 7 milliards seulement. Autrement dit, les mesures adoptées pour faire baisser de 1 point de PIB le déficit ne le feront baisser que de 0,35 point. Aujourd’hui, il faut une politique articulée autour de 3 principes : une dévaluation de 25% pour retrouver notre compétitivité, une politique de fort soutien public à l’investissement productif et à la recherche, et des dépenses publiques en éducation et santé pour renforcer l’attractivité de la France. Tout le reste n’est qu’une sinistre plaisanterie.
Marc Touati : Pour sortir de sa crise économique, sociale et politique, la France n’a qu’une possibilité : réduire ses impôts pour tous (les entreprises et les ménages), tout en réduisant les dépenses publiques de fonctionnement. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai lancé une pétition sur Internet : www.SauvezLaFrance.com. Celle-ci demande au gouvernent de baisser le poids des impôts et des dépenses dans le PIB au niveau moyen de la zone euro : respectivement 41% et 49%, contre 46% et 57% pour la France en 2013, des niveaux insupportables et destructeurs de croissance et d’emplois.