Chypre : la peur est de retour…

C R I S E = Chypre Russie Imf (FMI en anglais) Surendettement Euro. Tel est donc le nouveau visage de la crise depuis quelques jours. Et pour cause : alors que certains ne cessent d’annoncer sa fin imminente depuis des mois, voire des années, la crise de la dette publique et, plus globalement, celle de la zone euro ont repris du poil de la bête depuis une semaine.

Le pire est que ce retour en force de la peur n’est pas lié aux marchés financiers, ni même aux méchants spéculateurs, qui se font d’ailleurs de plus en plus discrets depuis quelques mois. Non, comme souvent depuis le début de la crise grecque, ce sont les dirigeants européens et ceux du FMI qui ont mis de l’huile sur le feu et ravivé les braises toujours incandescentes d’une crise qui dure depuis bientôt six ans.

Ainsi, plutôt que de calmer le jeu et d’essayer d’apaiser les tensions, notamment sociales, ces personnes a priori très intelligentes ont tout simplement voulu imposer à un pays de la zone euro de spolier ses épargnants en taxant l’ensemble des dépôts dans les banques chypriotes. Réalisant le lendemain la gravité de leur erreur, ils se sont ensuite lancés dans un exercice de rétropédalage aussi pitoyable qu’inefficace. Car, même si, fort heureusement, le Parlement de Chypre a rejeté ce projet, le mal est fait. La boîte de Pandore a été entrouverte et la suspicion s’est imposée.

Autrement dit, de par leur décision irresponsable, l’Union Européenne et le FMI ont réactivé la crise bancaire et plus globalement la crise existentielle de la zone euro. Pis, en titillant « l’ours russe », ils ont pris le risque d’engager une crise géopolitique majeure qui pourrait avoir des conséquences particulièrement néfastes pour la stabilité de l’ensemble de l’Europe, de l’Atlantique à l’Oural.

Tout d’abord, comme la ruée des Chypriotes vers les guichets bancaires automatiques ne cesse de le montrer, la simple annonce d’une mesure qui a finalement été annulée a déjà suscité une panique bancaire et pourrait entraîner in fine une vague de faillites sur l’île. Même si les banques françaises sont très peu présentes à Chypre, un mouvement de contagion pourrait s’engager, d’abord en Grèce, qui n’en a évidemment pas besoin, puis ensuite à l’ensemble des pays de la zone euro.

Parallèlement, l’instabilité ainsi générée va forcément attiser la crise sociale qui sévit à Chypre depuis plus de cinq ans. En effet, en intégrant l’euro le 1er janvier 2008, les Chypriotes pensaient certainement obtenir le sésame qui leur permettrait de s’engager sur le chemin de la prospérité durable et de traverser les crises potentielles sans difficulté. Malheureusement, il n’en a rien été. Pire, depuis 2008, Chypre a plongé dans une récession dramatique, subissant une baisse de son PIB réel de plus de 5 %. Encore aujourd’hui, le niveau de sa richesse est inférieur à 4 % de celui qui prévalait avant la crise.

Conséquence logique de cette bérézina, le taux de chômage chypriote s’est envolé, passant de 3,5 % mi-2008 à 14,7 % en janvier 2013. Dans le même temps, le solde des comptes publics est passé d’un excédent de 3,5 % du PIB en 2007 à un déficit de 6,3 % en 2011. Et, même si des efforts d’assainissement ont été engagés en 2012, ce déficit ne parvient pas à passer sous les 5 %. Enfin, le ratio dette publique/PIB a aussi connu une montée vertigineuse, se hissant de 48,9 % en 2008 à près de 90 % l’an passé et au moins 97 % en 2013.

C’est bien là le drame : si l’on augmente la pression fiscale, que ce soit sur les dépôts bancaires ou ailleurs, la récession va s’aggraver, le chômage flamber davantage, d’où une augmentation des déficits publics et de la dette. Autrement dit, l’aide de 10 milliards d’euros va partir en fumée en quelques mois.

Encore plus inquiétant, la tentative d’imposer une taxation des dépôts bancaires rappelle que les dirigeants européens et du FMI n’ont toujours rien compris à la crise de la dette publique. En effet, ils rééditent les mêmes erreurs qu’ils ont commises avec la Grèce, et pour le FMI, avec l’Argentine, il y a plus de dix ans. Et pour cause : avant de pouvoir réduire les déficits publics, il faut d’abord restaurer la croissance, surtout lorsque celle-ci a disparu depuis cinq ans. En d’autres termes, il ne sert à rien de mourir guéri. Or, tant que l’euro sera trop fort et que la BCE ne pourra financer directement les pays en difficulté, la croissance ne redémarrera pas.

En outre, le cafouillage chypriote a relancé la crise de défiance à l’égard de la zone euro et de ses dirigeants. Dans ce cadre, Chypre pourrait être tentée de quitter l’euro et de se réfugier vers le grand cousin russe, qui jouerait alors le rôle de Chevalier blanc. Après nous avoir pris Gérard Depardieu, la Russie est donc bien partie pour rafler Chypre.

Même si cette petite île ne représente que 0,18 % du PIB eurolandais, elle pourrait donc bien constituer une nouvelle goutte d’eau, qui, ajoutée à celles de la Grèce, du Portugal et aux verres d’eau espagnols et italiens, finirait peut-être par être fatal à l’UEM. A l’évidence, la crise de la dette publique et celle de la zone euro sont loin d’être terminées. Merci Mesdames et Messieurs les dirigeants de l’Eurogroupe et du FMI

 

Marc Touati