Lundi 22 janvier 2007, sur le plateau d’une émission de la télévision française :
« La dépense publique ne cesse d’augmenter et aucun des deux principaux candidats à l’élection présidentielle ne s’engage clairement à baisser cette dernière. Si nous continuons sur ce rythme, alors il faut être clair : dans cinq à sept ans, la dette publique française dépassera les 100 % de notre PIB. »
« Mais voyons, Marc, que vous arrive-t-il ? Vous qui êtes habituellement si optimiste, vous jouez les Cassandre. Je pense qu’il faut au contraire rassurer les téléspectateurs : la dette publique n’est pas dangereuse et ne dépassera jamais les 100 % de notre richesse… »
Et pourtant ! En 2013, la France va bien atteindre une étape décisive de son histoire : pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, et pour la troisième fois depuis la Révolution française, sa dette publique va être égale à sa richesse. C’est d’ailleurs en partie pour « célébrer » cet événement que j’ai écrit « le dictionnaire terrifiant de la dette » (qui sort le 7 mars 2013) : un dictionnaire de 100 mots pour une dette de 100 %…
Le pire est que cette boulimie de dette n’émeut personne et surtout pas les dirigeants français. « 100 % ? ! nous disent ces derniers, et alors ? Les États-Unis sont déjà à plus de 100 % depuis 2011 et ils ne s’en plaignent pas outre mesure. Obama a d’ailleurs été réélu sans véritable difficulté. Mieux, le Japon n’est-il pas à plus de 240 %, tout en restant la troisième puissance mondiale ? »
C’est bien là que réside le principal problème de la flambée de la dette : personne ne s’en inquiète vraiment. Certes, il faut reconnaître que rapporter le stock de dette publique au flux de création de richesses (appelé PIB : produit intérieur brut) a peu de sens. En effet, que ce soit pour un ménage, une entreprise et a fortiori un État, il est normal que sa dette dépasse son revenu annuel, sinon il ne serait pas utile de s’endetter. De plus, la dette est souvent saine. Elle permet par exemple à un particulier d’acheter sa maison. S’il n’était pas possible de s’endetter, seuls des ménages très aisés seraient propriétaires. De même, une entreprise s’endette pour pouvoir investir et embaucher, de manière à se développer, gagner des parts de marché et générer du profit.
En revanche, ce qui est beaucoup plus problématique, c’est lorsque cette dette ne génère pas suffisamment de croissance, donc d’activité, de business ou encore de revenus, simplement pour assurer le paiement annuel des intérêts de la dette. Dans ce cas, pour payer ces derniers, il faut encore augmenter son endettement, qui devient alors explosif et se transforme en surendettement. Pis, cette situation finit par obliger le surendetté à vendre ses actifs, son patrimoine immobilier, voire ses propres biens, avec, en bout de course, la faillite.
Le problème n’est donc pas la dette, mais la capacité de l’endetté à la rembourser, c’est-à-dire à la rendre supportable. On parle alors de soutenabilité de la dette. À ce titre, les ménages, les entreprises et les États sont logés à la même enseigne. Certes, dans la mesure où l’horizon temporel des États est bien plus étendu que celui des ménages et des entreprises, il serait possible de laisser croire qu’ils n’obéissent pas à cette règle de bon sens. Comme disait l’économiste Keynes, inventeur du principe de la relance budgétaire, mis en musique pour la première fois après le krach de 1929 aux États-Unis : à long terme, nous serons tous morts. En revanche, les États perdureront. Au travers de cette analyse, certains ont cru déceler un blanc-seing pour pouvoir augmenter la dette publique indéfiniment. « Au diable l’avarice ! » nous disent-ils. Que l’État s’endette ! Augmentons les dépenses et faisons confiance aux générations futures pour assurer le « service après-vente ».
Ce comportement est évidemment irresponsable. D’abord pour les générations à venir, mais aussi pour celles qui doivent gérer l’explosion de la dette. Et c’est aujourd’hui notre cas. En effet, bien loin d’avoir contracté une dette soutenable, les pays occidentaux, et notamment la France, ont dépensé sans compter, et surtout en toute inefficacité. Ainsi, dans le monde occidental, seule une quinzaine de pays parvient à générer une croissance économique suffisamment forte pour assurer le paiement annuel de la charge d’intérêts de la dette publique.
Dans la zone euro, il n’y en avait que cinq en 2012 : l’Allemagne, l’Estonie, la Finlande, le Luxembourg et la Slovaquie (peut-être qu’ils ne seront plus que deux cette année). Tous les autres, y compris la France, et ce depuis bientôt six ans, en sont incapables. Cela signifie que, pour payer ces intérêts, ils doivent s’endetter davantage. C’est ce que l’on appelle la bulle de la dette, qui ne cesse de gonfler et continuera de le faire tant que la récession ou la croissance molle perdureront.
Il est donc urgent de réagir. Il faut notamment responsabiliser les Français, et a fortiori nos dirigeants qui doivent enfin comprendre que c’est en menant des réformes structurelles massives (baisse de la pression fiscale, réduction des dépenses publiques, notamment de fonctionnement, fluidification du marché du travail, meilleure gestion de l’euro/dollar, budget fédéral eurolandais) que nous sortirons par le haut de cette crise historique.
Tel est le but principal de mon nouveau livre écrit pour tous, en toute indépendance et sans langue de bois. Ce dictionnaire terrifiant de la dette n’est donc pas là pour faire peur, mais au contraire pour aider à prendre conscience des dangers qui nous menacent afin de mieux les dépasser. Aux armes citoyens ! Il faut sauver la France…
Marc Touati