Une fois encore, l’Italie est devenue ingouvernable. En l’absence d’une majorité identique à la Chambre des députés et au Sénat, c’est un nouveau « trou noir » qui s’impose chez nos voisins transalpins. Mais, surtout, les dernières élections ont constitué une véritable claque pour le pouvoir en place et notamment pour « il professore » Mario Monti. Celui-ci arrive même en quatrième position, derrière la gauche élargie, elle-même talonnée par le parti de Silvio Berlusconi, qui reste décidément incontournable, suivi, à son tour, par le parti populiste de l’humoriste Beppe Grillo.
A titre de comparaison avec notre douce France, c’est un peu comme si Djamel devançait Jean-Marc Ayrault. Ne rions cependant pas trop vite, car, comme nous le savons bien, impossible n’est pas français, a fortiori dans des périodes aussi troublées que celles que nous vivons actuellement.
Mais, en attendant de voir la « commedia delle arte » s’imposer de ce côté-ci des Alpes, nos amis italiens risquent de passer quelques mois très difficiles. En effet, au-delà du capharnaüm politique, la situation économique est particulièrement catastrophique. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler un chiffre : 2 000 milliards d’euros ! Tel est effectivement le niveau astronomique que vient de dépasser la dette publique italienne, soit légèrement plus que le PIB français et quasiment 128 % du PIB italien. Malgré son charisme à toute épreuve et de la bonne image qu’il a pu véhiculer, Mario Monti (appelé à la rescousse en novembre 2011 pour remplacer Silvio Berlusconi au poste de président du Conseil) n’a donc pas réussi à éviter le pire.
Certes, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain. En effet, en dépit des apparences, l’Italie a fait énormément d’efforts depuis une quinzaine d’années, en tout cas bien plus que la France. Ainsi, de 11,3 % du PIB en 1991, son déficit public a été considérablement réduit, atteignant même 0,9 % en 2000 et 1,6 % en 2007. Aujourd’hui encore, en dépit de la crise et d’une remontée à 5,4 % en 2009, le déficit italien a été ramené à 2,7 % en 2012 et devrait même avoisiner les 2 % en 2013.
Dans le même temps, le solde structurel des comptes de l’État italien (c’est-à-dire hors effets liés à la conjoncture) est passé de – 12 % du PIB en 1990 à – 0,6 % en 2012 et pourrait même se transformer en excédent de 0,5 % en 2013. Enfin, le solde primaire italien (c’est-à-dire hors charge d’intérêts de la dette) est en excédent quasi ininterrompu depuis 1992. En 2012, celui-ci a atteint 2,6 % du PIB et devrait avoisiner les 3,5 % en 2013. Autrement dit, l’Italie ne doit ses déficits publics et l’essentiel de ses difficultés qu’au paiement des intérêts de sa dette. De quoi rappeler que, en matière d’endettement excessif, les erreurs du passé se paient pendant très longtemps.
D’ailleurs, pour parvenir à ces résultats, l’Italie a dû réaliser des efforts considérables, notamment en augmentant ses recettes fiscales, mais surtout en réduisant ses dépenses publiques, dont le poids dans le PIB est passé d’un sommet de 56 % en 1993 à un plancher de 45,9 % en 2000, avant de remonter à 50 % actuellement, soit toujours 6 points de moins qu’en France.
Malheureusement, ces efforts ont également pesé négativement sur l’activité économique. Ainsi, de 2002 à 2012, la croissance annuelle moyenne du PIB italien a été de 0 % (contre une moyenne de la zone euro de 1 %). Sur la période 2008-2012, elle devient négative à – 1,3 % (contre – 0,2 % pour l’ensemble de l’UEM). Conséquence logique de cette décroissance, le taux de chômage a repris le chemin de la hausse, passant d’un plancher de 6 % en 2007 à désormais plus de 11 %.
Le pire est que malgré tous ces sacrifices, l’Italie est toujours reléguée au rang des pays dangereux. La note de sa dette publique n’est que de Baa2 (selon la classification de Moody’s) et les taux de ses obligations d’État à dix ans oscillent encore autour des 4 %. Ils sont même passés de 4,2 % avant les élections à 4,9 % le 26 février. C’est certes moins que les 7 % du début 2012, mais toujours beaucoup trop pour permettre à l’Italie d’inverser la spirale haussière de la dette. D’autant que son PIB continue de reculer. Ne l’oublions pas : tant que la croissance en valeur est insuffisante pour compenser la charge annuelle d’intérêts de la dette (environ 5,4 % du PIB italien chaque année), la sortie de la crise de la dette publique est impossible.
Voilà pourquoi l’Italie reste fragile. Les dernières élections ont d’ailleurs confirmé qu’après autant d’années d’efforts pour des résultats économiques aussi médiocres (notamment sur le front de la croissance et de l’emploi), les Italiens ne veulent plus d’une rigueur mal placée. Et pour cause : comme nous le rappelons régulièrement, il ne sert à rien de mourir guéri. C’est ce que n’a pas voulu comprendre Mario Monti et qui lui a finalement été fatal.
Il reste simplement à espérer que les Italiens ne vont pas se lancer dans une spirale dévastatrice qui finirait par relancer la crise de la dette publique à l’échelle de la zone euro et mettrait de nouveau cette dernière en péril, entraînant la France dans une nouvelle crise sans précédent. Car, ne nous leurrons pas, si, pour l’instant la France continue de bénéficier d’un « flight to quality », en apparaissant plus sérieuse que ses voisines du Sud, la roue ne va pas tarder à tourner.
Pour éviter d’en arriver là, il n’y a, selon nous, plus qu’une seule solution : que les dirigeants français lisent « le dictionnaire terrifiant de la dette », qui sortira le 7 mars 2013, et en appliquent les recettes…
Marc Touati