Après l’Irlande, la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie et en attendant la France, un nouveau cas de grippe du surendettement est apparu dans la zone euro. Il s’agit de Chypre qui, devant le refus probable d’une aide de l’UEM et notamment du « Nein » allemand, en est réduit à quémander l’aide de son autre grand partenaire, la Russie. Il faut dire que, depuis une dizaine d’années, ce petit pays eurolandais est devenu un des principaux paradis fiscaux des milliardaires russes. Après avoir recueilli Gérard Depardieu, la Russie est donc en train de devenir le Saint-Bernard des « parias » de l’UEM.
Blague à part, à l’instar de la tempête grecque, cette nouvelle crise pourrait bien avoir des conséquences insoupçonnées sur l’avenir de la monnaie unique.
En effet, petite île de 9 251 km², d’environ 1,1 million d’habitants et réalisant un PIB annuel de 17,5 milliards d’euros (soit seulement 0,18 % de celui de l’UEM), Chypre est la confirmation qu’une entrée dans la zone euro est loin d’être la panacée. Elle peut même constituer une erreur dramatique tant pour le pays en question que pour l’UEM dans son ensemble.
Ainsi, en intégrant l’euro le 1er janvier 2008, les Chypriotes pensaient certainement obtenir le sésame qui leur permettrait de s’engager sur le chemin de la prospérité durable et de traverser les crises potentielles sans difficulté. Malheureusement, il n’en a rien été. Pire, depuis 2008, Chypre a plongé dans une récession dramatique, subissant une baisse de son PIB réel de plus de 5 %. Encore aujourd’hui, le niveau de sa richesse est inférieur à quasiment 4 % de celui qui prévalait avant la crise.
Conséquence logique de cette bérézina, le taux de chômage chypriote s’est envolé, passant de 3,5 % mi-2008 à 14,7 % en décembre 2012. Dans le même temps, le solde des comptes publics est passé d’un excédent de 3,5 % du PIB en 2007 à un déficit de 6,3 % en 2011. Et, même si des efforts d’assainissement ont été engagés en 2012, ce déficit ne parvient pas à passer sous les 5 %. Enfin, le ratio dette publique/PIB a aussi connu une montée vertigineuse, se hissant de 48,9 % en 2008 à près de 90 % l’an passé et au moins 97 % en 2013.
Dès juin 2012, Chypre a sollicité un plan de sauvetage auprès de l’Union européenne et a annoncé en décembre 2012 qu’il lui manquait 17 milliards d’euros pour honorer ses engagements. En d’autres termes, l’île méditerranéenne est au bord du défaut de paiement. Le 21 décembre 2012, enfonçant le clou et ne faisant finalement qu’acter ce que tout le monde savait déjà, Standard & Poor’s a abaissé (pour la troisième fois en cinq mois) de deux crans la note souveraine de Chypre, qui tombe à CCC +.
Aujourd’hui, la situation économique chypriote paraît inextricable, d’autant que la Russie commence à mettre son grain de sel.
Bien entendu, si Chypre n’avait pas intégré la zone euro, elle aurait aussi subi la crise de plein fouet. Cependant, elle aurait pu utiliser l’arme du taux de change pour essayer de limiter les dégâts. Or, du fait de son appartenance à l’euro, elle n’a évidemment pas pu le faire et a dû, au contraire, subir les graves inconvénients d’une devise surévaluée. En d’autres termes, Chypre n’a eu ni le beurre, ni l’argent du beurre de la zone euro, mais elle a dû en payer le prix fort.
Plus globalement, cet exemple confirme également la futilité, pour ne pas dire la stupidité, d’un élargissement à tout va de l’UEM. En effet, cette dernière n’a de sens que si elle réunit des pays économiquement et socialement proches. Si tel n’est pas le cas, l’UEM devient alors un piège pour le pays qui ne correspond pas aux standards de l’Union.
Ne l’oublions jamais : le taux de change est une arme indispensable pour soutenir la croissance et sortir des crises. A fortiori pour des petits pays fragiles. Si cette arme devient inutilisable, le pays en question s’enfonce dans le marasme économique et la bulle de la dette, qui ne pourra prendre fin qu’en passant par la case « explosion ».
Même si Chypre ne représente que 0,18 % du PIB eurolandais, elle pourrait donc bien constituer une nouvelle goutte d’eau, qui, ajoutée à celles de la Grèce, du Portugal et aux verres d’eau espagnols et italiens, finira par être fatale à l’UEM. Ce qui importe, ce n’est pas une zone euro large, mais une zone euro forte et crédible.
Marc Touati