La crise est finie : en Chine peut-être… (E&S n°278)

 

Humeur :

La crise est finie : toujours la même mauvaise farce…

Depuis environ quatre ans, c’est régulièrement la même ritournelle, on nous annonce avec force que la crise est dernière nous. Au printemps 2008, ce fut par exemple le cas d’un hebdomadaire économique français qui consacra sa couverture à cette « heureuse » conjecture. Cette dernière était d’ailleurs réalisée par un économiste national bien connu pour ses erreurs de prévisions récurrentes. Mais peu importe, il fallait vendre du papier pour les uns, se faire remarquer pour l’autre et, bien entendu, ce fut exactement l’inverse qui se produisit. A l’inverse, un peu plus d’un an plus tard, ces mêmes virtuoses de la prévision annonçaient que le monde allait s’écrouler et qu’il allait traverser une tempête encore plus grave que celle de 1929. Manque de pot, ce fut encore le contraire qui se réalisa, puisqu’en 2010, la croissance redémarra et atteignit même 5 % à l’échelle de la planète.

Nous n’aurions pas rappelé ces cuisantes farces, si, il y a quelques semaines, le même journal, s’appuyant sur le même économiste, n’avait pas réalisé une couverture tout aussi catégorique, en soutenant que la zone euro était sauvée et que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Autrement dit, tous aux abris ! Mais ne blâmons pas trop ces « pauvres diables », car, ne l’oublions pas, si on a créé les économistes, c’est notamment pour que les météorologues ne soient pas les seuls à se tromper. Quant au rédacteur en chef de ce magazine, il ne fait finalement que se référer aux prévisions de son économiste préféré. Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas…

En revanche, ce qui est plus gênant c’est lorsque les dirigeants politiques se livrent aux mêmes excès. Ainsi, que ce soit en 2008, en 2010 ou en 2011, Madame Christine Lagarde, alors Ministre de l’Economie et au demeurant compétente et sympathique, a régulièrement annoncé, elle aussi, que le plus dur était derrière nous, que la crise était presque terminée, que l’économie française allait rapidement redémarrer… Il est d’ailleurs assez instructif de noter que, depuis sa nomination à la tête du FMI, son discours a radicalement changé et qu’elle n’a eu de cesse de mettre en exergue les erreurs de gouvernance économique de la France et de la zone euro. Va comprendre Charles…

Entre-temps, la campagne présidentielle française a déroulé son lot de mensonges et de faux-semblants, les deux principaux candidats au « poste suprême » se bordant à dire que la crise était en voie de résorption. Pour Nicolas Sarkozy, cette stratégie visait à nier son bilan en demi-teinte et pour François Hollande, cela lui permettait de ne pas entrer dans le fond de son programme économique et par là même de faire des promesses intenables. Dans ce cadre, alors que la France s’apprêtait à entrer dans un quinquennat déterminant en matière économique, les véritables enjeux économiques ont quasiment été ignorés pendant toute la campagne.

Face à une telle intoxication, de nombreux économistes et journalistes se bornaient à relayer la pensée unique selon laquelle la crise eurolandaise était terminée. M’invitant pour parler de mon dernier livre « Quand la zone euro explosera… », l’un d’entre eux me lança même : « Ben alors Marc, votre livre tombe vraiment mal, ça y est la zone euro est sauvée… ». Nous étions en mars et force a été de constater qu’il n’en a rien été.

Seulement voilà, les mauvaises blagues ont la vie longue. Ainsi, alors que la récession fait rage dans la zone euro, que de nombreux pays membres font face à une crise sociale sans précédent, le Président français n’hésite plus à crier sur tous les toits que la crise de la zone euro est presque terminée. Nous savions que François Hollande avait de l’humour, mais, à ce point, il faut reconnaître qu’il fait très fort.

Certes, il faut aussi souligner que, grâce à l’intelligence de Mario Draghi, la BCE a déjà sauvé à deux reprises la zone euro. Une première fois en décembre dernier, lors de l’ouverture d’un guichet de financement des banques pour trois ans en quantité presque illimitée. Une seconde fois, il y a moins de deux mois, lorsqu’elle a annoncé qu’elle achèterait des bons Trésor des Etats eurolandais en difficulté, et là aussi dans une proportion illimitée. Si ce double « open bar » a évidemment du bon, il ne revient finalement qu’à gagner du temps.

En effet, il ne vient qu’apaiser le fardeau de la dette. En revanche, il ne résout en rien le problème de fond, en l’occurrence la récession. Pis, « grâce » à ce sauvetage, l’euro est reparti à la hausse. Or, avec un euro à plus de 1,30 dollar, la croissance n’a aucune chance de revenir. Dès lors, le chômage continuera d’augmenter, les déficits publics de progresser et la dette de flamber.

Pis, pour essayer de rassurer nos amis Allemands, mais aussi le FMI et les investisseurs du monde entier, les Etats eurolandais ont décidé d’augmenter leurs taux d’imposition. Et ce, en particulier en France, qui a pourtant le lourd « privilège » d’être un des pays au monde dans lequel la pression fiscale rapportée au PIB est la plus élevée. Aussi, si les impôts et taxes en tous genres croissent encore, la récession s’installera durablement, le chômage augmentera davantage, et les déficits et la dette avec.

Enfin, à l’échelle de la zone euro, il faut bien comprendre que tant que ses Etats membres n’auront pas décidé d’harmoniser leurs conditions fiscales et réglementaires, ainsi que leurs marchés du travail, tout en créant un véritable budget fédéral, l’UEM restera bancale, donc en danger.

En conclusion, n’en déplaise à notre Cher Président, il faut se rendre à l’évidence : avec un euro à plus de 1,15 dollar (et a fortiori à plus de 1,30), avec une augmentation des impôts et en l’absence d’une véritable gouvernance eurolandaise, la récession va perdurer et la crise de la zone euro va non seulement se poursuivre mais aussi empirer.

Nous comprenons tout à fait le devoir d’optimisme du chef de l’Etat et des dirigeants politiques. Mais bien mieux que de la méthode Coué et des efforts marketing, les Français ont surtout besoin de réalisme et de pragmatisme, donc de croissance et d’emplois. Alors, s’il vous plaît M. Hollande, dépêchez-vous d’enlever votre costume d’homme normal et de revêtir celui d’homme providentiel. Vous pouvez encore sauver la France, mais il ne vous reste plus que quelques mois.

Marc Touati



Quid de l’économie cette semaine :

La Chine plie, mais ne rompt pas.


Sans surprise, la croissance chinoise a encore ralenti au troisième trimestre 2012. Après avoir atteint 11,9 % il y a deux ans, puis respectivement 8,1 % et 7,6 % au premier et deuxième trimestre 2012, le glissement annuel du PIB chinois se situe désormais à + 7,4 %. Il s’agit donc d’un plus bas depuis le premier trimestre 2009.

Pour autant, il n’y a pas péril en la demeure. En effet, tant que la croissance chinoise ne passe pas durablement sous les 7 %, les risques de dérapages sociaux restent faibles.

Or, les indicateurs avancés de la croissance (et notamment les enquêtes des directeurs d’achat montrent justement que cette dernière devrait désormais se reprendre.

7,4 % de croissance en Chine : pas de panique !

Sources : BNSC, ACDEFI

D’ailleurs, il faut bien comprendre que ce ralentissement a été voulu et piloté par le gouvernement chinois. Lorsqu’en 2012, le glissement annuel du PIB chinois a frôlé les 12 %, il était urgent d’éviter la surchauffe.

Pour ce faire, la Banque Populaire de Chine a durci sa politique monétaire et a notamment suscité un mouvement d’appréciation du yuan. En deux ans, ce dernier est ainsi passé de 6,80 yuans pour un dollar à 6,30.

Depuis que le ralentissement chinois a commencé, c’est-à-dire depuis le début 2012, le yuan a alors été stabilisé entre 6,25 et 6,30.

En outre, lorsque l’on sait que le niveau de la parité des pouvoirs d’achat fait état d’un renminbi d’équilibre d’environ 3,50 yuans pour un dollar, on comprend que la devise chinoise est encore loin d’être surévaluée.

Autrement dit, en dépit du repli (d’ailleurs limité) de la croissance mondiale, les exportations chinoises resteront soutenues. Et ce, d’autant qu’elles gagnent en qualité tous les jours.

 

 

 

 

 

La Chine pilote sa croissance et sa devise…

Sources : BNSC, ACDEFI

Mais, à la rigueur, là n’est plus l’essentiel. En effet, le premier moteur de l’économie de l’Empire du Milieu n’est plus l’exportation, mais la demande intérieure. C’est notamment grâce à cette dynamique domestique que la Chine a pu éviter la récession en 2009 et apparaître ainsi aux yeux du monde comme l’une des rares locomotives durables de l’économie mondiale, loin devant les Etats-Unis.

Et sur ce front, il faut encore reconnaître que la vigueur est toujours d’actualité. Et pour cause : en dépit d’un léger affaiblissement au printemps 2012, les ventes au détail ont repris le chemin de la hausse. Leur glissement annuel a même dépassé la barre des 14 % en septembre, confirmant que la croissance chinoise pouvait durablement compter sur la consommation des ménages.

La demande intérieure, moteur principal et indéfectible de l’économie chinoise.

Sources : BNSC, ACDEFI

Cette dynamique est d’autant plus louable qu’elle va de pair avec une inflation complétement maîtrisée. Ainsi, en dépit de l’augmentation des prix des matières premières, et notamment alimentaires, le glissement annuel des prix à la consommation est passé de presque 7 % à l’été 2011 à moins de 2 % aujourd’hui (précisément 1,9 % en septembre).

Quant au glissement annuel de l’indice des prix hors alimentation, il demeure également très sage, passant de 3 % sur une bonne partie de l’année 2011 à environ 1,5 % depuis le printemps dernier (1,7 % en septembre).

Une inflation largement sous-contrôle.

Sources : BNSC, ACDEFI

En conclusion, les Chinois peuvent aujourd’hui compter sur une croissance relativement saine, basée sur une demande intérieure dynamique et sur une inflation maîtrisée. Mieux, en cas d’éventuel coup dur dans les prochaines années, ils pourront s’appuyer sur deux armes implacables pour éviter la récession. D’une part, le contrôle de leur taux de change. D’autre part, des réserves de changes de plus de 3 300 milliards de dollars (c’est-à-dire plus que le PIB allemand, qui se retrouve donc en stock à la Banque centrale chinoise).

Arrêtons donc de nous inquiéter outre mesure pour la santé de l’économie chinoise. Les vraies sources d’inquiétudes viennent plutôt du monde occidental, avec une nouvelle grave récession en Europe et une économie américaine qui ne doit son sauvetage qu’à une politique monétaire excessivement accommodante et qui pourrait avoir des conséquences particulièrement néfastes au cours de la prochaine décennie…

Après avoir dépassé le Japon l’an passé, la zone euro l’an prochain, la Chine est donc toujours bien placée pour remplacer les Etats-Unis à la tête de l’économie mondiale d’ici une douzaine d’années.

 

Marc Touati



 


 

Les évènements à suivre du 22 au 26 octobre :


Petite croissance aux Etats-Unis, récession dans la zone euro.

 


Cette semaine économico-statistique sera principalement marquée par la première estimation de la croissance américaine du troisième trimestre 2012 (le vendredi 26) et par les enquêtes des directeurs d’achat dans la zone euro d’octobre (le mercredi 24). Dans l’Hexagone, il faudra également surveiller l’évolution du chômage en septembre (également le mercredi 24).

 

Mardi 23 octobre, 8h45 (heure de Paris) : les chefs d’entreprise français dépriment de plus en plus.

Face aux craintes de récession, mais aussi aux incertitudes sur les conditions fiscales et réglementaires à venir, les chefs d’entreprise français risquent de continuer à broyer du noir en octobre. L’indice du climat des affaires dans l’industrie de l’INSEE devrait ainsi encore reculer, passant de 90 en septembre à 88 en octobre, soit 12 points de moins que sa moyenne de long terme. Il s’agirait d’un plus bas depuis décembre 2009.