France, Etats-Unis, Europe : Des twin deficits destructeurs. (E&S n°227)

 

Humeur :

France-Etats-Unis : Des twin deficits destructeurs.

Cela est presque devenu un mode de vie : depuis bientôt trente ans, les Etats-Unis et la France ont une caractéristique commune, à savoir le cumul d’un déficit de la balance commerciale et des comptes publics. A priori insoutenable, cette situation, que l’on appelle communément twin deficits (les déficits jumeaux), est pourtant durable et ne semble même pas susciter de graves préjudices pour les pays en question. Comme souvent, les apparences sont trompeuses…

Certes, dans ce double tunnel déficitaire, il y a eu des phases de pause ou de rémission. Ainsi, outre-Atlantique, les comptes publics ont su tirer profit de la croissance forte des années 1993-2001 pour redevenir excédentaires. Et ce, pendant trois ans, en l’occurrence de 1998 à 2000. L’Etat américain commençait même à rembourser une partie de sa dette par anticipation. Quant au déficit de la balance courante, à l’exception des années de récession 1981 et 1991 (qui ont mécaniquement réduit le volume des importations), l’Oncle Sam n’a cessé d’accumuler les déficits, le dernier excédent annuel remontant à 1976. Le nouveau creusement du déficit commercial américain à 44,2 milliards d’euros en août (annoncé jeudi dernier) confirme d’ailleurs que l’heure de l’excédent est encore très lointaine.

Du côté français, la donne apparaît encore plus dramatique. Ainsi, le dernier excédent des comptes publics hexagonaux remonte à 1974. Depuis, avec ou sans croissance, la France a été incapable d’assainir ses finances publiques. Et si l’Administration Clinton a réussi à profiter des années de croissance forte (1998-2000) pour obtenir un excédent, le gouvernement Jospin a préféré parler de « cagnotte », utilisant la dernière période de croissance soutenue pour augmenter les dépenses publiques et creuser le déficit public structurel. Bien loin de cette irresponsabilité, les entreprises exportatrices françaises ont tout de même réussi à transformer le déficit extérieur chronique de la France en excédent de 1994 à 1999. Il faut dire qu’à l’époque, la faiblesse de la demande nationale (du moins jusqu’en 1998) et la sagesse des prix pétroliers limitaient les importations françaises, tandis que nos exportations profitaient des efforts liés à la politique de désinflation compétitive. Malheureusement, cette accalmie n’a été que de courte durée. Ainsi, à partir de 2000, les déficits commerciaux sont revenus en force, pour atteindre dernièrement des niveaux historiquement élevés : plus de 73 milliards d’euros en 2011 et quasiment autant cette année.

Le plus incroyable réside dans le fait que l’annonce régulière de ces twin deficits et de leur aggravation passe presque inaperçue, que ce soit en France ou aux Etats-Unis. Ainsi, la semaine dernière, la publication d’un déficit extérieur français de 5,3 milliards sur le seul mois d’août et de 68,4 milliards sur douze mois n’a ému quasiment personne. Encore mieux, ou plutôt encore pire, le gouvernement soutient que ses prévisions d’une croissance de 0,8 % en 2013 sont principalement justifiées par une forte augmentation de nos exportations. Soyons sérieux : si déjà avec une croissance mondiale de 5 % en 2010 et de 3,5 % tant en 2011 qu’en 2012, le déficit extérieur français a atteint respectivement 52, 73 et 70 milliards d’euros, comment pourrait-il se réduire significativement en 2013 avec une progression du PIB mondial d’au mieux 3 %. Et ce, d’autant que notre premier partenaire commercial, la zone euro, replonge dans la récession et que, par-dessus le marché, l’euro/dollar reste trop fort ?

De même, comment peut-on faire croire aux Français que le déficit public sera réduit à 3 % l’an prochain, avec un poids des dépenses publiques stabilisées à 56,3 % (l’un des niveaux les plus élevés du monde) et une augmentation des impôts qui ne fera finalement qu’aggraver la récession et réduire l’assiette fiscale, donc les recettes publiques à venir ? Et ce n’est pas parce que Barack Obama essaie de faire croire la même chose aux Américains qu’il faut l’imiter. Et pour cause : le Président américain propose d’augmenter encore les dépenses publiques lors son éventuel second mandat. C’est exactement ce qu’il a fait ces quatre dernières années, avec les résultats mitigés que l’on connaît. S’il est réélu et qu’il tient ses promesses, alors il faut se rendre à l’évidence : le plafond de la dette publique américaine sera encore dépassé et le Congrès ne manquera pas de bloquer la situation. La note de l’Oncle Sam sera donc fortement dégradée, suscitant une crise analogue à celle que vit la zone euro depuis trois ans, mais cette fois-ci aux Etats-Unis. Face à un tel clash, une nouvelle récession et une grave tempête financière s’imposeront outre-Atlantique, mais aussi dans la zone euro et en France, qui ne manqueront évidemment pas d’être également dégradées et de subir par là même une désaffection des investisseurs.

Et, malheureusement, ni les Etats-Unis, ni la zone euro, et encore moins la France ne disposeront de marges de manœuvre suffisantes pour inverser la tendance comme ils ont pu le faire en 2009. La Chine, l’Inde et de nombreux autres pays dits émergents pourront alors rafler la mise sans difficulté et racheter de plus en plus d’actifs et de technologies à travers le monde occidental à bon compte. Ne représentant déjà plus que 50 % du PIB mondial, les pays dits développés verront alors leur pouvoir économique et financier fondre comme neige au soleil. Parallèlement, affectés par des twin deficits qu’ils auront de plus en plus de mal à combler, les Etats-Unis perdront leur place de première puissance économique mondiale d’ici une dizaine d’années au profit de la Chine. Quant à la zone euro, elle aura depuis bien longtemps explosé, laissant ses anciens pays membres dans le chaos, et notamment la France qui, à force d’avoir accumulé les twin deficits sans réagir, sera devenu un Disneyland géant, dont les Chinois et les Qatari raffoleront.

Faut-il vraiment en arriver là pour enfin comprendre la gravité de la situation et notamment admettre que nos déficits jumeaux sont devenus intenables et extrêmement dangereux ? Certainement pas. Aussi, même si cela ne fait pas plaisir à tout le monde et même si nous prenons des risques en nous obstinant à dire la vérité, nous continuerons d’enfoncer le clou. Tel devrait normalement être le cas de tous les économistes, observateurs économiques et dirigeants politiques. Malheureusement, par manque de courage et/ou pour des raisons alimentaires ou encore par simple dogmatisme, le mutisme, le politiquement correct et la pensée unique continuent de faire des ravages. Espérons que cela finira vraiment par changer, sinon tant la France que les Etats-Unis s’écrouleront avec leurs twin deficits

Marc Touati



Quid de l’économie cette semaine :

En dépit d’une hausse exceptionnelle en août, les industries françaises et européennes restent en souffrance…


Que ce soit en France ou dans la zone euro, l’évolution de la production industrielle du mois d’août a été étonnamment haussière. Et, ce notamment grâce à une progression exceptionnelle de la production automobile qui a généré un biais statistique.

Pour autant, il ne faut pas se leurrer, cette embellie constitue l’arbre qui cache la forêt d’une récession industrielle qui a déjà commencé.

D’ailleurs, à l’échelle de la zone euro, l’augmentation mensuelle de 0,6 % n’a pas empêché le glissement annuel de la production de rester fortement négatif à précisément – 2,9 %.

Dans l’Hexagone, la situation est analogue, mais avec encore plus d’amplitude. Ainsi, l’augmentation de 1,5 % de la production industrielle française en août (+ 1,8 % pour la production manufacturière) est en complet décalage avec les enquêtes de conjoncture menées auprès des industriels, que ce soit par l’INSEE ou par Markit (dans le cadre de l’enquête PMI des directeurs d’achat).

Elle s’explique principalement par un fort rebond (+ 9,9 %) de la production dans le secteur automobile, lié vraisemblablement au fait qu’habituellement fermées au mois d’août, les usines de ce secteur ont finalement produit un peu plus que d’habitude. La correction des variations saisonnières a alors gonflé artificiellement la variation mensuelle.

Au-delà de ce détail technique, les chiffres de la production du mois d’août ne sont absolument pas extrapolables. Bien au contraire. Le maintien d’un glissement annuel en fort repli (- 2 %) rappelle d’ailleurs que la tendance reste baissière. En outre, les enquêtes de l’INSEE et des directeurs d’achat montrent que la production industrielle devrait fortement chuter en septembre et en octobre.

La production industrielle résiste, mais plus pour très longtemps.

Sources : INSEE et ACDEFI

Autrement dit, en dépit du chiffre du mois d’août, la production devrait reculer sur l’ensemble du troisième trimestre, préfigurant une baisse du PIB d’environ 0,2 % au cours de ce même trimestre. Après une baisse de 0,04 % au deuxième trimestre 2012, le PIB français reculera bien pour le deuxième trimestre consécutif. On pourra alors parler d’une véritable récession.

L’atonie industrielle préfigure celle du PIB.

Sources : INSEE et ACDEFI

Il faut se rendre à l’évidence : les illusions d’optique ne durent jamais très longtemps et la réalité reprend vite le dessus.

Sur plus long terme, il faut également reconnaître que la vague de désindustrialisation est loin d’être inversée. Ainsi, en dépit du rebond d’après 2009, le niveau de la production industrielle est toujours identique à celui qui prévalait en 1998.

Le niveau actuel de la production industrielle est comparable à celui de 1998.

Sources : INSEE et ACDEFI

Et il est clair que ce n’est pas en augmentant encore la pression fiscale qui pèse sur nos entreprises que la situation va s’améliorer.

Marc Touati



 


 

Les évènements à suivre du 15 au 19 octobre :


L’économie américaine continue de résister, mais…

 


Cette semaine économico-statistique sera principalement américaine, avec pas moins de cinq publications déterminantes outre-Atlantique. En Europe, seule la publication de l’enquête ZEW outre-Rhin animera cette semaine relativement calme.

 

 

Lundi 15 octobre, 15h30 (heure de Paris) : les ventes au détail américaines résistent, mais faiblissent.

 

Après leur fort rebond du mois d’août (+ 0,9 %), notamment dans le sillage de la flambée des prix, les ventes au détail devraient ralentir en septembre. Leur progression ne serait plus que de 0,2 % en valeur et d’environ 0 % en volume.

Le traditionnel attentisme pré-électoral devrait effectivement jouer à plein. D’autant qu’en dépit de l’embellie de septembre sur le marché du travail, ce dernier reste encore très fragile.

 

 

Mardi 16 octobre, 11h : l’indice ZEW se stabilise à un niveau bas.

 

Satisfaits par les déclarations de la BCE, les milieux financiers allemands devraient un peu moins déprimer que par le passé. En revanche, les craintes sur l’avenir de la zone euro demeurant élevées, l’indice ZEW devrait simplement se stabiliser à son niveau de septembre.

 

 

Mardi 16 octobre, 14h30 : l’inflation américaine reste sous contrôle.

 

Après la forte tension du mois d’août (+ 0,6 %), notamment suscitée par la flambée des cours des matières premières, les prix à la consommation devraient ralentir en septembre, ne progressant que de 0,2 %. Certes, compte tenu de la stabilisation des prix enregistrée en septembre 2011, le glissement annuel des prix devrait se tendre de 0,2 point à 2 %.

Pour autant, ce niveau reste sage et montre que les risques de dérapages inflationnistes demeurent faibles outre-Atlantique.

D’ailleurs, hors énergie et produits alimentaires, l’indice des prix (dit « core CPI ») ne devrait augmenter que de 0,1 % sur un mois, affichant un glissement annuel de 1,7 %, contre 1,8 % le mois précédent.

 

 

Mardi 16 octobre, 15h15 : la production industrielle américaine rebondit en septembre.