Angela Merkel a de quoi pavoiser : en un peu plus de trois ans, elle a participé à pas moins de dix plans de sauvetage de la zone euro. Les Sarkozy, Berlusconi, Monti et Draghi peuvent aller se rhabiller. Il faut dire que la Chancelière allemande est le seul dirigeant eurolandais à avoir traversé les quatre dernières années de crise dans leur totalité.
Mieux, en dépit des critiques et de certaines apparences, Mme Merkel a réussi à ancrer l’UEM dans une conception allemande de l’économie. Ainsi, l’Allemagne est définitivement devenue la locomotive économique, financière et politique de la zone euro. La raison de cette triple domination est simple : au cours des dix dernières années, nos voisins germaniques sont les seuls à avoir tenu leurs engagements en termes de modernisation de leurs structures économiques, d’assainissement des dépenses publiques et de réduction des déficits.
Bien loin de ce sens du sacrifice et de la responsabilité, la France n’a cessé d’augmenter le poids des dépenses publiques dans le PIB et de refuser de modernisation son économie, en particulier son marché du travail. Dans ce cadre, alors qu’il y a encore une décennie, la France pouvait imposer sa voix devant celle de l’Allemagne à l’ensemble de la zone euro, elle est aujourd’hui contrainte de courber l’échine.
Le récent revirement de François Hollande est d’ailleurs tout à fait symptomatique de ce changement de donne. Pendant sa campagne, puis fraîchement élu à la Présidence de la République, celui-ci n’avait effectivement de cesse de soutenir qu’il allait faire plier les Allemands et rediriger l’UEM vers une voie française. Cinq mois après, toutes ces belles promesses ont été oubliées et les dirigeants français sont désormais réduits à approuver les choix allemands, tout en essayant de faire croire à Mme. Merkel qu’ils vont vraiment réduire leurs déficits publics.
Seulement voilà, les solutions proposées par le Président et le gouvernement français ne vont pas dans le bon sens. En effet, elles sont principalement axées sur une augmentation des impôts de 20 milliards d’euros. Déjà pénalisée par l’une des pressions fiscales les plus élevés du monde (en pourcentage du PIB), l’économie hexagonale va donc encore souffrir et s’enliser dans une récession historique. Bien loin des engagements d’inversion de tendance, le chômage va encore progresser et dépasser les 12 % d’ici la fin 2013. Le déficit public augmentera donc encore l’an prochain et la dette avec. Cette dernière devrait alors avoisiner les 95 % du PIB.
D’ores et déjà, la remontée intempestive de l’euro face au dollar met en péril la croissance française et eurolandaise, mais aussi la viabilité du dernier plan de sauvetage validé cette semaine par la cour allemande de Karlsruhe. En effet, aussi incroyable que celui puisse paraître, les annonces de la BCE, puis le blanc-seing des Sages allemands ont déjà annihilé les chances de sortie de crise et rendu inévitable l’élaboration d’un nouveau plan de sauvetage dans les trois prochains mois. Et pour cause : à chaque fois que l’euro s’apprécie de 10 %, la croissance est amputée d’environ 0,4 point. Avec un euro à 1,30 dollar, la récession va donc s’aggraver. Dès 2012, la variation annuelle moyenne du PIB devrait être négative. Quant à celle de 2013, elle devrait au mieux atteindre 0,2 %. Et ce tant pour la France que pour la zone euro dans son ensemble.
Les replis du PIB seront évidemment encore plus forts dans les pays du Sud. Ce qui se traduira par une nouvelle augmentation du chômage et une aggravation de la crise sociale qui, au fur et à mesure des semaines, devient de plus en plus dramatique. Les 700 milliards du MES risquent donc de s’avérer insuffisants. Mais quand nos dirigeants vont-ils enfin comprendre que le seul moyen de sortir de la crise de la dette publique réside dans la restauration d’une croissance forte et durable ? Il est toujours facile de dire que tout ira mieux dans deux ans. Cela fait plus de dix ans que les dirigeants français et eurolandais nous servent la même « soupe ». Avec pour résultats : de moins en moins de croissance et de plus en plus de chômage.
Et si l’Allemagne est l’un des rares pays qui réussit encore à sortir la tête de l’eau, c’est tout simplement parce que c’est l’un des seuls qui a mis en place une véritable « rupture » économique. Mais, les Allemands ne sont pas dupes. Ils savent très bien que leurs partenaires eurolandais finiront par les entraîner dans le siphon de la récession. Face à ce danger et devant le scepticisme de la population, les Instituts germaniques se livrent désormais à un comparatif dangereux : la sortie de l’Allemagne de la zone euro lui coûterait-elle plus cher que son maintien ? Si, pour la quasi-totalité des pays eurolandais, une sortie serait largement plus coûteuse qu’un maintien, la différence est beaucoup moins flagrante pour nos voisins d’outre-Rhin.
Le simple fait de poser une telle question montre d’ailleurs combien la zone euro est en danger. Enfonçant le clou, la cour de Karlsruhe n’a pas manqué de poser deux conditions. Primo, l’engagement allemand ne devra pas dépasser les 190 milliards d’euros, sans approbation du Bundestag. Secundo, les deux chambres du Parlement allemand devront être consultées sur les opérations et décisions du MES. Cela promet des tensions et des lourdeurs dont se passerait bien la zone euro. Même si les investisseurs n’ont pas voulu relever ces détails déterminants, ces derniers montrent néanmoins que les Allemands auront de plus en plus de mal à accepter de nouveaux plans de sauvetage. A moins que les autres pays eurolandais, et en particulier la France, s’engagent vers le chemin de la réduction des dépenses et des déficits publics.
Lorsque, dans trois mois, la récession se sera intensifiée et que les déficits reprendront le chemin de la hausse, il faudra forcément trouver une nouvelle voie. Pas celle des plans de sauvetage à répétition voué d’avance à l’échec, mais celle d’une véritable refonte de la gouvernance de la zone euro, avec notamment un couple franco-allemand réconcilié vers plus d’efficacité économique. Mme Merkel a fait tout ce qu’elle a pu. Ce sera désormais à M. Hollande de faire le maximum, car, pour l’instant, il en est très loin…
Marc Touati