Croissance US, Marchés et Politique : Au-delà des apparences (E&S n°200)

 

Humeur :

Voyous, voyous !

Après l’annonce par Nicolas Sarkozy de la création d’une taxe sur les transactions financières, notamment destinée à punir les « méchants spéculateurs », c’est au tour de François Hollande de sortir l’artillerie lourde contre le secteur financier. En effet, lors de son « show » de lancement de campagne, celui-ci n’a pas hésité à annoncer que son pire ennemi était « le monde de la Finance ». Rien que ça ! A l’évidence, quelle que soit l’issue des prochaines élections présidentielles, les financiers et les banquiers vont devoir raser les murs. Comme nous l’écrivions il y a déjà deux ans et le rappelions encore il y a trois mois, la finance et la banque françaises vont devenir la nouvelle sidérurgie des années 2010, c’est-à-dire un secteur complétement sinistré. Il faut donc prévenir de toute urgence les jeunes étudiants qui voudraient emprunter cette voie : soit ils changent d’orientation tout de suite, soit, s’ils continuent sur ce chemin, ils devront se préparer à quitter la France pour trouver un job. En fait, les seules destinations susceptibles de les accueillir restent, pour le moment, les Etats-Unis, l’Asie (et notamment Singapour), quelques pays émergents et, dans une moindre mesure, Londres. Pour le reste, adieu veaux, vaches, cochons…

Bien entendu, il ne s’agit pas pour nous de dépeindre l’univers bancaire et financier comme un monde parfait. Loin s’en faut. Comme partout, ce secteur produit aussi pas mal de voyous. Je peux en témoigner : Ayant passé la première partie de ma vie dans les cités HLM d’Orly et la seconde dans l’univers bancaire et financier, tout en côtoyant une partie du monde politique, je pense humblement qu’il y a certainement autant de voyous dans ces trois mondes pourtant si différents. Les voyous de la finance sont évidemment bien mieux habillés et bien plus policés, mais derrière le vernis, certains ne valent pas mieux que ceux des cités. Il y en a même qui passent régulièrement dans les médias, bien qu’aillant pléthores de condamnations et d’escroqueries à leur « actif », mais qui se permettent de donner des leçons. Ils correspondent parfaitement à l’image que l’on veut donner du « méchant financier » auprès du grand public : imbu de sa personne, méprisant et roublard. Il est clair que si la Finance se résumait à ce type d’individus, François Hollande et Nicolas Sarkozy auraient raison de vouloir lui déclarer la guerre. Mais de la même façon qu’il serait stupide de masquer les côtés sombres de la Finance, il serait tout aussi inepte de « jeter le bébé avec l’eau du bain » et de laisser croire que punir les financiers suffirait pour sortir de la crise.

Certes, les marchés et les banques ont une lourde part de responsabilité dans la crise financière de 2008-2009. Il est vrai que depuis une vingtaine d’années, la finance s’est dévoyée et s’est jetée à corps perdu dans les bras des meilleurs ingénieurs et mathématiciens de la planète. Grâce à leur « intelligence extrême », ces derniers ont laissé croire que l’on pouvait augmenter le rendement sans augmenter le risque. C’est ainsi qu’ils ont transformé des dettes subprimes, c’est-à-dire très risquées, en des produits particulièrement complexes notés AAA par les agences de notations. Cette manipulation n’a donc pas été le fruit de voyous en col blanc, mais de sommités apparemment au-dessus de tout soupçon ! Bien sûr, il y eut aussi le cas Madoff, mais dont la « stratégie » dite de la cavalerie est vieille comme le monde et a d’ailleurs pu s’observer dans tous les secteurs d’activité. Toujours est-il que le secteur bancaire et financier a péché par orgueil et a été puni. D’ores et déjà et avant même les déclarations des candidats à la présidentielle française, les banques nationales ont commencé à fortement diminuer leurs effectifs sur les activités de marchés. Elles ont également réduit au maximum le « prop trading » (spéculation avec les fonds propres), ainsi que la fabrication de produits complexes et/ou toxiques. Bref, les ingénieurs et mathématiciens sont priés de retourner à leurs équations et surtout de reprendre leurs recherches dans l’industrie qui a tant besoin d’innovations.

Si le secteur de la finance est donc bien en partie coupable de la crise dite des subprimes, il ne faudrait pas pour autant leur imputer toutes les crises qui ont suivi et notamment celle de la dette publique. En effet, ce ne sont ni les marchés, ni les banques qui ont demandé aux Etats d’augmenter démesurément les dépenses publiques, ni de laisser déraper les déficits et les dettes et ce, sans croissance économique forte à la clé. Non, cette gabegie de dépenses publiques inefficaces est de l’entière responsabilité des dirigeants politiques depuis plus de vingt ans. D’ailleurs, dans le cadre de ces dérapages, les gouvernements divers et variés étaient bien contents de trouver les banques et les marchés pour acheter leurs bons du Trésor. Aussi fou que cela puisse paraître, on se retrouve donc dans une situation analogue à celles qui prévalaient au Moyen-Âge, lorsque les Seigneurs surendettés et incapables de rembourser leurs dettes enfermaient leurs créanciers ou faisaient croire qu’ils étaient des criminels. C’est bien connu, quand on veut se débarrasser de son chien, on dit qu’il a la rage…

Seulement voilà, nous sommes en 2012 et il n’est pas acceptable de laisser nos dirigeants (présents ou futurs) adopter une telle pratique. Le pire est que cette stratégie du bouc-émissaire finira par coûter cher à l’économie française. Tout d’abord, n’oublions pas que près de 70 % de la dette publique hexagonale est détenue par des investisseurs étrangers. Si l’on effraie ces derniers, ils rechigneront à mettre la main à la poche, ce qui se traduira par une forte augmentation des taux d’intérêt et une aggravation de la récession, donc du chômage et de la dette publique. Ensuite, si les banques et les marchés sont mis au rebut, les entreprises et les ménages accéderont de plus en plus difficilement au crédit, d’où une baisse de l’investissement et de la consommation, avec, in fine, une nouvelle dégradation de l’activité. Enfin, dans un monde ouvert et en pleine crise existentielle de la zone euro, cette nouvelle posture de la France risque encore de jeter le doute sur la pérennisation de l’UEM, avec les toutes les conséquences dévastatrices que cela générera en termes de croissance et d’emploi. En conclusion, ces dernières semaines ont déjà donné le « la » de l’après-présidentielle : tous aux abris ! Le drame est que, comme cela s’observe souvent, les voyous de la finance et aussi de la politique finiront bien par s’en sortir, et c’est « Monsieur Tout le monde » qui paiera l’addition.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?


L’Oncle Sam se redresse et la zone euro souffre toujours.


La publication des comptes nationaux Outre-Atlantique pour le quatrième trimestre nous confirme la montée en puissance de l’Oncle Sam.

En effet, après un petit début d’année 2011 (+0,4 % au premier trimestre), le PIB américain a affiché une croissance de +1,3 % au deuxième trimestre et de +1,8 % au troisième, pour finalement croître de 2,8 % au T4. Le PIB atteint donc +1,7 % en moyenne sur 2011 et l’économie américaine termine l’année avec un acquis de croissance de + 0,8 %.

Le détail statistique nous confirme que la consommation des ménages américains qui progresse de 2 % (contre +2,4 % attendu par le consensus) a largement contribué à cette belle performance.

Bien qu’il soit toujours à un niveau de 8,5 % en décembre, le taux de chômage américain qui suit depuis quatre mois une tendance baissière nous indique que la consommation des ménages soutiendra significativement la croissance dans les mois à venir.

L’investissement progresse de 20 % avec une déception toutefois pour l’investissement en équipements et logiciels qui n’a augmenté que de 5,3 % après +16,2 % au troisième trimestre.

Sur le front du commerce extérieur la progression des exportations demeure inchangée d’un trimestre à l’autre (+4,7 %). En revanche, les importations augmentent de 4,4 % au quatrième trimestre contre +1,2 % au troisième, soulignant le fort dynamisme intérieur.

Il faut noter que comme souvent, la véritable variable d’ajustement des comptes nationaux a été les stocks. En effet, après un déstockage au troisième trimestre  (-2 milliards de dollars) les entreprises ont fortement reconstitué leurs stocks qui passent à + 56 milliards de dollars au quatrième trimestre. Ces derniers ont donc contribué pour 1,94 % à la croissance. En d’autres termes, hors stocks, le PIB n’a progressé que de 0,8 % au quatrième trimestre.

 

La croissance américaine résiste, mais sans éclat.

Sources : BEA, Datastream

 

De l’autre côté de l’Atlantique, en dépit d’un léger mieux, les statistiques publiées cette semaine nous indiquent que la récession est bien au rendez-vous.

Certes, les indices PMI progressent d’environ deux points tant dans l’industrie manufacturière que dans les services, mais leurs niveaux restent faibles.

Dans l’industrie manufacturière tout d’abord, l’indice des directeurs d’achat est passé de 46,9 en décembre à 48,7 en janvier, soit toujours très largement sous la barre des 50 marquant la frontière entre l’expansion et le recul de l’activité.

Dans les services, l’indice PMI repasse au-dessus des 50 pour la première fois depuis le mois d’août 2011. Cependant, avec un niveau de 50,5 en janvier, il reste très loin des 57,2 atteint en mars.

Constituant de très bons indicateurs avancés de la croissance eurolandaise, les indices PMI confirment que le PIB devrait régresser de 0,5 % au quatrième trimestre. Alors que la crise de la dette est loin d’être terminée, l’approche de la récession ne fait que noircir un peu plus un tableau déjà bien sombre…

 

Comme le montrent les indices PMI, la zone euro ne devrait pas échapper à la récession.

Sources : Bloomberg, Markit.

 

En Allemagne, l’indice IFO du climat des affaires dans l’industrie progresse pour un troisième mois consécutif pour atteindre un niveau de 108,3 en janvier (contre 107,6 attendu pas le consensus). Il s’agit de son plus haut niveau depuis le mois d’août 2011.

Mieux, l’indice IFO relatif aux attentes bondit de plus de deux points, passant de 98,6 en décembre à 100,9 en janvier, soit un plus haut depuis le mois de juillet 2011.

Alors que la zone euro souffre toujours, l’Allemagne dont la résistance n’en finit pas de surprendre va une fois de plus tirer son épingle du jeu en évitant de justesse la récession. Si le PIB pourrait reculer d’environ 0,2 % au quatrième trimestre 2011, la croissance devrait être de retour au premier trimestre 2012.

 

L’indice IFO confirme que l’Allemagne pourrait éviter la récession.

Sources : Bloomberg, IFO

 

Ce n’est pas le cas de la France où la récession est quasi assurée.

En effet l’enquête INSEE du climat des affaires dans l’industrie a reculé pour un septième mois consécutif pour tomber à un niveau de 91 en janvier 2012 contre 110 en juin 2011. Les carnets de commandes globaux s’effondrent un peu plus, tombant à -32 en janvier, et les carnets de commandes étrangers régressent à -26 en janvier après -20 en décembre.

Enfin, les perspectives générales de production qui constituent un très bon indicateur avancé de la croissance française sont sans appel puisqu’elles s’écroulent à -37 en janvier. Par conséquent, après un recul attendu d’environ 0,4 % au quatrième trimestre 2011, le PIB français devrait être encore négatif au premier trimestre 2012 confirmant la récession.


Ce ne sera pas le cas de la France…

Sources : Datastream, INSEE.

 

Le découplage se confirme donc entre l’Oncle Sam et la zone euro. Ainsi du fait de son acquis de croissance de 0,8 % fin 2011, le PIB américain pourrait afficher une hausse de 2,4 % cette année. Parallèlement, la zone euro va certainement tomber en récession dès le quatrième trimestre et son PIB affichera au mieux une progression de 0,7 % cette année…

Jérôme Boué


.La météo économique de la semaine écoulée :

 


 

 


Les Marchés:

Taux longs : le calme, avant la tempête ?