Dette publique : Don’t stop the party…

 

Avec la dette publique, c’est un peu comme avec un célèbre liquide vaisselle jaune : « quand il n’y en a plus, il y en a encore… ». En effet, à peine a-t-on résolu, du moins en apparence, la crise de la dette publique grecque, que d’autres crises du même type apparaissent. Bien sûr, tout le monde songe aux négociations autour du plafond de la dette publique américaine. Pour autant, ces dernières relèvent plus du feuilleton hollywoodien à rebondissements, dont les Américains ont le secret, que d’un véritable danger systémique. En effet, les Républicains tentent simplement d’affaiblir au maximum l’Administration Obama, de manière à distancer ce dernier dans la course à la Présidence de 2012. Ils n’ont donc pas intérêt à engager une dégradation de la note des Etats-Unis, qui serait évidemment dramatique pour l’ensemble de la planète économico-financière.

De plus, il ne faut pas oublier que le ratio dette publique/PIB, qui avoisine désormais les 100 % outre-Atlantique, n’est que le rapport entre un stock de dettes et un flux de revenus. Or, comparer un stock à un flux a peu de sens économique. En fait, le véritable enjeu réside dans le comparatif entre le flux de paiement des intérêts de la dette publique et le flux de croissance économique. Et, de ce point de vue, les Etats-Unis sont très loin de la faillite. Et pour cause : la progression de leur PIB en valeur dépasse largement la charge d’intérêts de la dette publique, en l’occurrence 5,2 % contre 1,7 %. En d’autres termes, la bulle de la dette publique ne sévit pas aux Etats-Unis. Pour éviter un tel écueil, ces derniers devront stabiliser leur croissance autour des 2,8 % en volume et des 5 % en valeur, tout en réussissant à réduire leurs déficits publics structurels. Et ce, notamment en réduisant leurs dépenses publiques inefficaces, en particulier celles de fonctionnement.

Car, c’est bien là que se situe l’erreur fondamentale de la politique budgétaire de Barack Obama. Ce dernier a crû qu’il suffisait d’augmenter les dépenses publiques pour relancer la croissance. A croire qu’il a fait une partie de ses études à l’ENA… De 36 % en 2007, la part des dépenses publiques dans le PIB américain est passée à 43 % en 2009 et à 41,5 % en 2010 et 2011. Face à une telle débauche de moyens, on aurait pu s’attendre à un fort rebond du PIB. Malheureusement, il n’en a rien été, puisque la croissance annuelle de ce dernier oscille entre 2 % et 3 % depuis 2009. En d’autres termes, la crise autour du plafond de la dette publique américaine ne fait que sanctionner une erreur stratégique. Une fois le compromis trouvé, il faudra « simplement » que les Etats-Unis retrouvent leur dynamisme en matière de croissance et d’emploi, ce qui ne pourra se faire qu’en maintenant une pression fiscale modérée et en réduisant les dépenses publiques inefficaces. Après s’être européanisé sous l’influence d’Obama, l’Oncle Sam devra donc rapidement « redevenir américain », s’il ne veut pas se faire souffler la place de première puissance économique mondiale par la Chine avant la fin de l’actuelle décennie…

Mais quand bien même demeureraient-ils fragilisés, les Etats-Unis paraissent peu enclins à disparaître en tant qu’entité économique et financière de premier plan. Un tel avantage n’est malheureusement pas acquis pour la zone euro. C’est en cela que la crise de la dette publique américaine nous apparaît beaucoup moins dangereuse que celle sévissant au sein de l’Union Economique et Monétaire. Certes, les Eurolandais sont parvenus à un « accord historique » le 21 juillet dernier, mais ils n’ont fait qu’éteindre un premier incendie qui aurait dû être circonscrit il y a au moins deux ans. Surtout, ils ont oublié l’essentiel, en l’occurrence la faiblesse structurelle de la croissance de la zone euro et l’absence de gouvernance économique. Bien entendu, le Président Sarkozy nous a promis que des efforts seraient réalisés sur ce dernier point. Cependant, compte tenu de l’importance des effets d’annonce non-suivis d’effets en la matière, nous sommes en droit de craindre qu’il s’agira plus d’ajustements cosmétiques et/ou de marketing que de réformes de fond. Mais, l’essentiel réside dans le fait qu’à la différence des Etats-Unis, quasiment aucun pays de la zone euro ne génère une croissance économique suffisamment forte pour absorber le poids annuel des intérêts de la dette publique. Seuls trois pays font exception à la règle : l’Allemagne, les Pays-Bas et le Luxembourg. Ce résultat n’est évidemment pas le fruit du hasard, mais bien le produit de nombreuses années de réformes structurelles, de modernisations économiques et de réduction des dépenses publiques.

Outre-Rhin, le poids de ces dernières dans le PIB est ainsi passé de 54,8 % en 1995 à 43,6 % en 2007 et seulement 45 % en 2011 en dépit de la crise de 2008-2009. Sur la même période, ce ratio a augmenté plus ou moins fortement dans la quasi-totalité des pays de la zone euro. En Grèce, il est par exemple passé de 43,2 % à 50 % (avec un pic à 53,2 % en 2009). On comprend dès lors pourquoi les Allemands sont si réticents à rester les fourmis qui se sont serrés la ceinture pendant dix ans pour payer les dérapages des cigales. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ces dernières ne se situent pas seulement au sud de l’Europe. Ainsi, la France a fait passé son ratio dépenses publiques/PIB de 49,5 % en 1990 à 56,7 % en 2010. Et tout ça pour quoi ? Pour une croissance toujours plus molle, un emploi moribond et des inégalités en augmentation. Dans ces conditions, il est clair que si la France ne fait pas le chemin inverse en 2012, le couple franco-allemand volera en éclat et la zone euro avec.

En attendant, la crise de la dette publique fera encore parler d’elle et continue d’ores et déjà d’inquiéter les marchés. D’ailleurs, après une baisse épidermique le 22 juillet, les taux d’intérêt à dix ans des obligations des Etats en difficulté demeurent particulièrement élevés : 10,90 % au Portugal, 6 % en Espagne et 5,75 % en Italie. Quant aux obligations françaises, si leur taux a légèrement baissé, il se situe encore à 3,30 %, soit 70 points de base de plus que celui de leurs homologues allemandes. En d’autres termes, la crise de la dette publique eurolandaise est non seulement loin d’être terminée, mais pourrait susciter de nombreuses mauvaises surprises à très court terme. Les marchés n’ont donc pas été convaincus par les accords « historiques » européens et semblent prêts à reprendre en cœur le refrain des Black Eyed Peas : Don’t stop the party…

Marc Touati