Japon, yen, marchés : malédictions ? (E&S n°164)

 

Humeur :

La malédiction japonaise.

Les « Bears » n’ont vraiment aucun respect. Après deux ans de mutisme et d’erreurs récurrentes, ils ont tiré partie des émeutes sanglantes en Lybie pour reprendre du poil de la bête, applaudissant des deux mains la flambée des cours du pétrole. Cette dernière était effectivement susceptible de casser la croissance mondiale et alimentait par là même leur scénario de dégringolade boursière. Continuant sur ce terrain glissant du cynisme, ils viennent désormais de dépasser les bornes, en justifiant leurs sombres perspectives par les catastrophes sismiques et nucléaires japonaises. Certains d’entre eux nous ont même interpellés cette semaine en lançant sans vergogne « On vous avait bien dit que les marchés boursiers finiraient par baisser ! »

Malheureusement, ce comportement n’est cependant pas nouveau. Combien de prévisionnistes ont, en effet, tenu un discours similaire au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, au début de la guerre en Irak ou encore lors de la faillite sauvage de Lehman Brothers. Autant d’évènements qui étaient, par définition, non prévisibles et qui ont pourtant été utilisés par certains pour valider la « pertinence » de leur scénario. A ce « petit jeu pernicieux », il est clair que les Cassandre ont de beaux jours devant eux. Et pour cause : compte tenu d’un environnement mondial de plus en plus complexe et dangereux, il est inévitable que les crises et les catastrophes en tous genres se multiplieront au cours des prochaines années.

En attendant, après déjà vingt de déflation, c’est, une fois encore, le Japon qui fait l’objet de toutes les inquiétudes. Au-delà du drame humain engendré par le séisme et le tsunami de la semaine dernière, c’est surtout le risque nucléaire qui fait craindre le pire. A l’évidence, l’Archipel nippon n’avait vraiment pas besoin d’un tel marasme, qui ne fait qu’aggraver un déclin qui a commencé au début des années 1990. Avant cette triste période, le Japon faisait figure de modèle économique. Tout semblait lui réussir. Il disposait d’une croissance structurelle d’environ 6 % par an, d’un taux de chômage tout aussi structurel d’environ 2 % et s’était solidement installé depuis les années 60 à la deuxième place de l’économie mondiale. A tel point que le Japon paraissait en mesure de talonner les Etats-Unis et d’imposer le yen comme un concurrent sérieux à l’hégémonie du dollar au sein du Système Monétaire International. Sûr de lui, le gouvernement japonais consentait même à satisfaire les souhaits des pays occidentaux, en décidant d’apprécier fortement le yen. Cette décision fut en fait l’erreur de trop et constitua le point de départ d’une descente aux enfers que les plus grands « Bears » de l’époque n’auraient pu imaginer. Ainsi, qu’elles soient immobilière, boursière ou bancaire, toutes les bulles qui s’étaient formées dans l’Archipel éclatèrent les unes après les autres.

Pourtant, juchées sur leur piédestal, les autorités japonaises ne se rendirent pas compte de la gravité de la situation, laissant notamment le yen s’apprécier et la déflation s’installer. Ce n’est vraiment qu’après le tremblement de terre de Kobé en janvier 1995 que le gouvernement décida d’employer les grands moyens, mais il était déjà trop tard. Certes, l’effort de reconstruction permit de relancer quelques peu la croissance, mais il ne s’agissait là que d’un répit. Le mal était beaucoup plus profond. D’autant que la population nipponne vieillissait et commençait même à décroître.

Les chiffres illustrant cette déchéance sont éloquents : de 6 % en 1990, la croissance structurelle nipponne est passée à 1,5 % en 2000 et à 1,3 % aujourd’hui. Et si le maintien de l’emploi à vie dans certaines grandes entreprises a permis de limiter la hausse du taux de chômage, ce dernier est tout de même passé de 2,1 % en 1990 à 5,1 % actuellement. La dégradation la plus impressionnante réside dans l’évolution des comptes publics. D’un excédent de 1,9 % du PIB en 1990, ces derniers sont passés à un déficit annuel compris entre 7 % et 10 % du PIB depuis la fin des années 90. Conséquence logique de cette fuite en avant, la dette publique a flambé de 68 % en 1990 à 142 % en 2000 et à 220 % en 2010.

C’est d’ailleurs en cela que la catastrophe naturelle et humanitaire qui vient de toucher le Japon paraît difficilement surmontable. Car, même si les Japonais sont stupéfiants de dignité et de self control, ils n’ont quasiment plus de marge de manœuvre pour relancer la machine. Certes, dans la mesure où 97 % de la dette publique de l’Archipel est détenue par des Japonais, ils n’ont pas besoin de faire appel aux fonds internationaux. Sauf qu’avec un niveau de 220 %, la dette publique devient véritablement dangereuse. De même, forte de 1 000 milliards de dollars de réserves de changes, la Bank of Japan peut injecter des liquidités. Néanmoins, ces fonds ne sont pas inépuisables et risquent de s’évaporer très vite. Enfin, en rapatriant leurs capitaux de l’étranger, les Japonais alimentent la hausse du yen, cassant par là même le peu de croissance économique qui leur reste.

Dans ce cadre, le Japon risque de repasser par la case récession. De là à annoncer, comme le font certains, l’effondrement de l’économie mondiale et des marchés financiers, il y a néanmoins un pas que nous ne franchirons pas. Tout d’abord, parce qu’après la destruction viendra aussi le temps de la reconstruction, qui amènera son lot de croissance. En outre, il faut reconnaître que l’impact d’une éventuelle récession nipponne à l’échelle de la planète sera limité. Non seulement parce que celle-ci sera temporaire, mais surtout parce que le Japon ne représente plus que 5,8 % du PIB mondial (en parité de pouvoir d’achat), contre 10 % en 1990. De même, si dans les années 1980, l’Archipel contribuait à hauteur de 0,6 point à la croissance annuelle du PIB mondial, cette contribution n’est plus que de 0,1 point depuis la fin des années 1990 et est même passée à 0,07 point depuis 2005.

Si le drame humain que connaît actuellement le Japon est évidemment horrible, son impact économique international restera donc limité. Il ne faudrait donc pas que les « Bears » l’instrumentalisent excessivement pour justifier leurs prévisions d’écroulement de la planète économico-financière. Que ces derniers soient néanmoins rassurés, ils auront certainement l’occasion de se rattraper lors des prochaines catastrophes. Qu’ils n’oublient simplement pas que c’est de l’obscurité que naît la lumière…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Economie américaine : peut mieux faire.


En dépit d’une semaine statistique en demi teinte, la reprise est bien en marche et l’inflation reste sous contrôle outre-Atlantique.

 

Certes, alors que le consensus attendait une hausse de 0,6 %, la production industrielle américaine a décliné en février pour la première fois depuis juin 2009 (-0,1 %), mais cette contre performance doit être relativisée du fait de la révision haussière du mois de janvier à +0,3 % , contre -0,1 % initialement.

Le détail statistique indique que la production industrielle américaine a été essentiellement tirée vers le bas par le secteur public (-4,5 %) et plus précisément par la production d’électricité (-8,7 %) et de gaz (-3,8 %). Dans ce cadre, le taux d’utilisation des capacités de production a logiquement reculé de 76,4 % en janvier à 76,3 % en février

 

Sachant qu’un point ne fait pas une tendance, il faut toutefois relativiser le petit recul dans l’industrie en février. D’autant que le glissement annuel de la production industrielle reste toujours consistant puisqu’il affiche un niveau de +5,6 % en février confirmant que la reprise est bien là.

 

Il est également important de souligner la bonne tenue de la production manufacturière qui, soutenue par le secteur automobile (+4,2 %) progresse de 0,4 % en février, portant son glissement annuel à +6,9 %.

 

Plus globalement, il faut mettre en perspective les chiffres de l’industrie outre-Atlantique, puisque les Etats-Unis sont à 75 % une économie de services.

 

La production industrielle américaine est toujours solide.

 

Sources : Federal Reserve, Datastream

 

Par ailleurs, le secteur de la construction reste encore extrêmement fragile. En effet, les mises en chantier qui étaient repassées sous la barre des 600 000 depuis octobre 2010, semblaient avoir sorti la tête de l’eau avec une progression de 18,5 % en janvier à 618 000. Malheureusement, ce rebond fut de très courte durée puisque ces dernières ont affiché en février leur plus forte chute depuis 1984 (-22,5 %) pour tomber à 479 000. Il s’agit d’un plus bas depuis leur plancher en avril 2009 à 477 000.

 

Les permis de construire qui constituent un indicateur avancé des mises en chantier ne sont pas à la fête non plus. Ainsi après avoir repris des couleurs en décembre 2010 pour atteindre 627 000, ces derniers ont depuis repris le chemin de la baisse pour tomber à 517 000 en février soit une chute de 8,2 % et un plus bas historique.

 

En d’autre termes, le secteur de la construction qui fut à l’origine de la crise reste très fragile, constituant avec l’emploi un des derniers verrous à faire sauter pour libérer totalement l’économie américaine.

 

Le bout du tunnel est encore loin pour le secteur de la construction…

 

Sources : Department of Commerce, BEA, Datastream

 

Parallèlement, après avoir augmenté de 0,4 % en janvier, l’indice des prix à la consommation tiré par la hausse des prix du pétrole et des matières premières a progressé de 0,5 % en février. De fait, l’inflation a atteint 2,1 % en février contre 1,6 % en janvier, soit son niveau le plus élevé depuis avril 2010. Il n’y a cependant pas de risque de dérapage inflationniste outre-Atlantique

 

En effet, la hausse de l’inflation est essentiellement due à des facteurs exogènes (hausse du pétrole et des matières premières) qui par définition sont temporaires. Ainsi, hors énergie et alimentation, le glissement annuel des prix à la consommation a atteint un niveau de 1,1 % confirmant que l’inflation reste toujours bien sous contrôle outre-Atlantique. D’ailleurs, à l’inverse de la BCE qui a un objectif global d’inflation, la Fed quant à elle tient compte du Core CPI, le seul type d’inflation qu’elle peut combattre puisqu’elle ne dépend pas de facteurs exogènes.

 

 


L’inflation est en hausse mais reste toujours sous contrôle.

 

Sources : Bureau of Labor Statistics, Datastream


Enfin, l’indicateur avancé du Conference Board affiche de belles couleurs puisque après un petit début d’année (+0,1 %), ce dernier a progressé de + 0,8 % en février. En effet, si le secteur de la construction reste encore grippé, tous les moteurs de l’économie sont en marche outre-Atlantique à commencer par la consommation des ménages sans oublier l’investissement et le retour de fortes créations d’emplois.

 

Le cercle vertueux investissement-emploi-consommation est donc bien en marche aux Etats-Unis et le PIB pourrait croître de 4 % en rythme annualisé au premier trimestre 2011.

 

Jérôme Boué



La météo économique de la semaine écoulée :

 



Les Marchés:

Seule une baisse du yen peut sauver le Japon.


C’est certainement l’un des plus grands paradoxes qui affecte le Japon depuis une vingtaine d’années : en dépit d’une économie atone et plongée dans la déflation, le Japon continue de pâtir d’un yen surévalué.

Les tentatives pour essayer d’inverser cette tendance douloureuse ont toutes été vaines. L’une des origines principales de cette anomalie réside dans l’importance des avoirs nippons à l’étranger. En effet, dans la mesure où ces derniers sont régulièrement rapatriés vers l’Archipel, le yen s’apprécie mécaniquement.

La catastrophe humanitaire et nucléaire qui vient de toucher le Japon a porté ce paradoxe à son paroxysme. Ainsi, malgré les risques de nouvel écroulement durable de l’économie nipponne, le yen s’est fortement apprécié sous l’effet de la vigueur des rapatriements de capitaux investis à l’international.

Cette appréciation est d’autant plus injustifiée que, comme nous l’avons expliqué dans l’humeur et comme le tableau ci-dessous le synthétise, l’économie nipponne est en déclin depuis vingt ans.

Le Japon est définitivement tombé de son piédestal.