Croissance mondiale, Twin Deficits, BOE : nouvelles normes ? (E&S n°159)

 

Humeur :

La triste France des twin deficits

Le mardi 8 février 2011 a été une journée bien triste pour l’économie française. Et pour cause : à quelques minutes d’intervalle, deux publications sont venues rappeler que cette dernière restait frappée par la « malédiction » des twin deficits. Ainsi, en 2010, le déficit extérieur français a atteint 51,44 milliards d’euros, soit seulement 5 milliards de moins que le sommet de 2008. Dans le même temps, après un pic de 137,99 milliards d’euros en 2009, le déficit budgétaire a réalisé un nouveau record historique de 148,8 milliards de déficit budgétaire l’an passé… Qui dit mieux ?

Au-delà de leur énormité, ces deux évolutions reflètent surtout l’ampleur du manque d’efficacité de l’économie française. En effet, s’il était à la rigueur compréhensible de creuser le déficit extérieur en 2008 lors de l’écroulement du commerce mondial, il est inacceptable de voir ce déficit augmenter de 7,2 milliards d’euros en 2010 par rapport à 2009, alors que les échanges internationaux ont atteint des sommets l’an passé. Certes, les exportations françaises ont tout de même progressé de 13,5 % en 2010, atteignant un niveau de 392, 5 milliards d’euros. C’est honorable, mais toujours très loin des 951,9 milliards d’euros enregistrés par les exportations allemandes. Autrement dit, si le PIB allemand ne représente « que » 29 % de plus que celui de la France, les exportations allemandes dépassent de 142 % leurs homologues françaises !

Cet écart n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat de choix stratégiques optimaux outre-Rhin. Tout d’abord, au niveau des entreprises qui ont su, très vite, se positionner sur les biens à hautes valeurs ajoutées et notamment les biens d’équipement. Ces derniers représentent 50 % des exportations allemandes, contre seulement 20 % des exportations françaises. Parallèlement, les exportateurs germaniques ont pris, très tôt, le virage du monde émergent et notamment de l’Asie, tandis que les Français sont restés focalisés sur la zone euro. Pas de chance, cette dernière est la lanterne rouge de la croissance mondiale depuis dix ans… Autrement dit, le creusement du déficit extérieur français en 2010 constitue une véritable contre-performance et confirme, à quelques exceptions près, la mauvaise spécialisation sectorielle et géographique des exportations françaises.

Mais, en plus de ces choix stratégiques défectueux, les exportations françaises pâtissent également du manque de modernisation de l’économie hexagonale. Car, si les entreprises exportatrices allemandes produisent encore massivement sur leur territoire national, c’est surtout parce que, depuis dix ans, l’Allemagne a engagé des réformes structurelles draconiennes. A commencer par la réduction de la pression fiscale et réglementaire sur les entreprises, la diminution du coût du travail et la baisse des dépenses publiques. A l’inverse, la France a continué d’accroître la pression fiscale et réglementaire, ainsi que les dépenses publiques, sans moderniser son appareil productif et notamment son marché du travail.

En d’autres termes, si les entreprises françaises délocalisent de plus en plus, ce n’est pas parce qu’elles n’aiment plus leur pays, mais simplement par nécessité de rester en vie dans un monde de plus en plus concurrentiel. Voilà pourquoi, si les entreprises hexagonales réussissent à vendre à l’étranger, elles le font de plus en plus en produisant directement depuis l’étranger. Ce qui ne transparaît évidemment pas dans les chiffres des exportations françaises.

Parallèlement, l’augmentation de 13,8 % des importations en 2010, à 443,96 milliards d’euros, montre aussi que la résistance de la consommation hexagonale a largement profité à nos concurrents étrangers, sans réussir à booster la croissance et l’emploi sur le territoire national. Et pour cause, lorsqu’un Français consomme 100 euros, 50 euros sont des produits importés. Il s’agit donc encore d’une erreur de politique économique majeure : soutenir uniquement la consommation revient à perdre au moins la moitié du soutien public en achat de produits étrangers, ce qui ne se traduit évidemment pas par des emplois sur le territoire national…

Fort heureusement, pour 2011, notamment grâce à la dépréciation de l’euro et à la bonne tenue du commerce mondial, le déficit extérieur français devrait légèrement reculer vers les 45 milliards d’euros. Pour autant, il continuera de rester élevé et de peser sur la croissance du PIB.

Sur la même longueur d’onde, le record historique du déficit budgétaire rappelle que la France est structurellement handicapée par sa mauvaise gestion des deniers publics. En effet, si le creusement de ce déficit était logique en 2009 lors de la plus grave récession que la France ait connue depuis l’après-guerre, sa nouvelle augmentation en 2010 en dépit d’une croissance de 1,5 % est tout à fait anormale. Et encore, nous ne disposons pas des chiffres des déficits sociaux et locaux qui devraient aggraver la donne… Ces évolutions montrent donc que la France reste sous perfusion publique et est incapable de s’émanciper sur la seule base des moteurs privés. Dans ce cadre, même si une réduction du déficit public global est probable pour 2011, celle-ci sera très modérée et donc très éloignée des objectifs gouvernementaux. Nous anticipons un niveau de 7 % du PIB, contre moins de 6 % annoncés par Bercy.

Il ne faut effectivement pas rêver : le repli du déficit public ne peut pas tomber du ciel. Il ne peut être que le fruit de réformes structurelles, notamment en matière de baisse des dépenses publiques. Malheureusement, l’absence de volonté politique pour réduire ces dernières se traduira par une augmentation de la pression fiscale, ce qui finira par casser le peu de croissance que connaîtra la France en 2011 et limitera par là même la réduction du déficit public.

Que l’on ne s’y trompe pas, les twin deficits français ne sont pas le produit d’une « malédiction divine », ils résultent simplement des erreurs stratégiques réalisées depuis plus de vingt ans dans notre douce France…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

5 % de croissance mondiale : nouvelle norme ou nouvelle bulle ?


Les dernières estimations du FMI apparaissent formelles : en 2010, le PIB mondial a progressé de 5 %. Ah ! Qu’elles paraissent loin les funestes prévisions du FMI de début 2009 qui tablaient sur une décroissance de 5 % en 2009 et sur au mieux une stabilisation en 2010. En lieu et place de cette récession annoncée, l’économie planétaire a donc non seulement évité les abysses de 1929, mais surtout, elle a réussi à redémarrer sur un rythme soutenu.

En effet, il faut savoir que de 1980 à 2009, la croissance annuelle moyenne du PIB mondial n’a été que de 3,3 %. Autrement dit, en 2010, l’économie planétaire a franchi une nouvelle étape : faire mieux que par le passé.

D’où une question : cette performance est-elle le simple fruit d’un effet de rattrapage, voire d’une nouvelle bulle ou constitue-t-elle une nouvelle norme ?

Comme il y a un an, « un certain consensus » s’impose pour annoncer le retour imminent de la « forte inflation », qui sonnera le glas de le reprise. D’abord, dans le monde émergent, puis par contagion, dans l’ensemble des pays occidentaux. Dans ce cadre, le rebond de 2010 relèverait avant tout d’une bulle, alimentée par le caractère excessivement accomodant des politiques de relance monétaire et budgétaire menées à travers le monde. 2011 ne serait donc pas l’année de la confirmation, mais celle du dégonflement de cette bulle.

Nous ne partageons absolument pas ce sentiment. En effet, l’actuel rebond inflationniste observé dans le monde émergent est tout à fait normal. Il ne fait qu’accompagner la vigueur de l’activité économique.

Croissance mondiale : vers un ralentissement logique en 2011-2012

Sources : FMI, Prévisions Assya Compagnie Financière

De plus, la Chine va s’employer, cette année, à éviter la surchauffe. Elle va donc remonter ses taux d’intérêt (comme elle l’a d’ailleurs déjà fait cette semaine) et également apprécier le yuan. Selon nous, ce dernier passera de 6,58 yuans pour un dollar actuellement à 6,20 en fin d’année et 5,5 fin 2012. De la sorte, la Chine ralentira légèrement, tout en bénéficiant d’une désinflation importée conséquente. Sa croissance économique devrait ainsi se stabiliser vers les 9,5 % et son inflation autour des 4 %.

La Chine conservera une croissance soutenue sans dérapage inflationniste.

Sources : National Bureau of Statistics of China

Ce mouvement de désinflation chinois se répercutera sur l’ensemble des pays émergents, puis sur les pays dits développés.

Et c’est bien là que réside la principale erreur des Cassandre qui annoncent depuis deux ans le retour de l’hyperinflation, en vain. En l’occurrence, le fait que les pays dits émergents sont beaucoup plus réactifs que les pays dits développés.

Autrement dit, ils ont très bien compris que l’inflation devait être maîtrisée sans pour autant sacrifier la croissance économique.

Dans ce cadre, il faudra s’habituer à une croissance mondiale proche des 4 % au moins jusqu’en 2012. Cette dernière restera tirée par la Chine, l’Inde et l’ensemble des autres pays « émergés ».

Les Etats-Unis résisteront tant bien que mal, avec une croissance autour des 3,2 % cette année et l’an prochain.

Quant à la zone euro, elle restera à la traîne, avec une progression de son PIB voisine de son niveau structurel, à savoir entre 1,7 % et 2 %.

Et contrairement à ce que veulent laisser croire certains esprits bien pensants, la crise de la dette publique eurolandaise est toujours loin d’être réglée. C’est du moins ce que montre le niveau toujours élevé des spreads de taux longs vis-à-vis de l’Allemagne.


Les Etats-Unis restent la locomotive du monde développé.

Sources : FMI, Prévisions Assya Compagnie Financière

En fait, 2011 devrait constituer une année de répit, notamment grâce à la baisse probable de l’euro/dollar. Quant à 2012, elle sera certainement l’année de « vérité ». Dès le printemps, la France devra effectivement faire des choix politiques majeurs qui engageront l’avenir du couple franco-allemand et par là même celui de la zone euro.

Quelques mois plus tard, ce sera autour de l’Oncle Sam de choisir sa stratégie pour les années à venir. On comprend dès lors que l’Administration américaine sera peut-être moins encline à se priver de l’arme du dollar faible. Autrement dit, 2012 ne devrait pas constituer une année où les jeux coopératifs seront favorisés.

En conclusion, sans être une bulle, la croissance mondiale de 5 % de 2010 provient principalement d’un effet de rattrapage qui devrait s’atténuer en 2011. Selon nos estimations, le PIB planétaire devrait ainsi croître d’environ 4,2 % cette année, niveau qui pourrait désormais constituer une performance structurelle pour l’économie internationale, c’est-à-dire durable sans excès inflationniste.

 

Marc Touati


 

Quid de la croissance mondiale de 2008 à 2011 :

 


La météo économique de la semaine écoulée :

 


Les Marchés :

BoE : God Save the Queen…


Les chiffres des comptes nationaux au Royaume-Uni n’en finissent pas de créer la surprise.

Ainsi, après avoir augmenté de 1,1 % au deuxième trimestre, le PIB britannique a affiché une hausse de 0,7% au troisième (contre 0,4 % prévu par le consensus), constituant par la même une agréable surprise. A l’inverse la publication des comptes nationaux du quatrième trimestre a eu l’effet d’une douche froide. Et pour cause, alors qu’une croissance de 0,5 % était attendue par le consensus, le PIB anglais a contre toute attente chuté de 0,5 %. Ce dernier n’était plus tombé en territoire négatif depuis le troisième trimestre 2009. De fait, le glissement annuel du PIB attendu à 2,6% a affiché un niveau de 1,7 % au T4 après 2,7 % au T3.

Les mauvaises conditions climatiques à savoir le froid et la neige expliquent en partie cette contre performance. Concerné en premier lieu, le secteur de la construction qui après avoir bondit de 7 % au T2 et progressé de 3,9 % au T3, a plongé de 3,3 % au quatrième trimestre. Parallèlement le secteur minier et pétrolier régresse de 2,5% et celui des transports & communications qui avait augmenté de 2 % a reculé de 0,8 % sur la période. Enfin les services aux entreprises qui avaient connu une croissance nulle au T3 ont décliné de 0,7 % au T4. Seul le secteur manufacturier semble tirer son épingle du jeu en confirmant sa bonne tenue des trimestres précédents avec une hausse de 1,4 % sur la période.

 

La croissance au service de la livre

Sources : UK ONS, Bloomberg

La décroissance du PIB au quatriè