A l’évidence, comme lors des deux dernières campagnes présidentielles françaises, la dette publique est quasiment oubliée des débats, qui restent d’ailleurs au ras des pâquerettes. Qui se souvient du moment où la dette publique française a atteint 80 % du PIB ? Certainement pas grand monde. Ce n’est pourtant pas si vieux puisqu’il s’agit au premier trimestre 2010. A l’époque, cette barre était présentée comme fatidique et devait, soi-disant, inciter les dirigeants du pays à tout faire pour stopper l’hémorragie. Et ce, d’autant qu’au quatrième trimestre 2007, ce ratio n’était « que » de 64,3 %.
Il était alors de bon ton de penser que ce dérapage était dû à la crise et que désormais la dette publique allait être, sinon stoppée, du moins freinée. Comme nous le craignions à l’époque, il n’en a évidemment rien été. En effet, bien loin de la prise de conscience salutaire, les dirigeants politiques français ont continué leur gabegie de dépenses publiques, sans aucune efficacité, c’est-à-dire sans parvenir à redresser la croissance économique structurelle et à faire baisser significativement et durablement le chômage.
Aujourd’hui, en dépit d’une baisse artificielle au quatrième trimestre 2016, la dette publique française a atteint un nouveau record de 2 154,7 milliards de dollars, soit 97,4 % du PIB en moyenne sur l’année. Et encore, pour ne pas affoler les foules, l’usage veut que l’on compare la dette publique au PIB. Ce qui n’a finalement pas grand sens, puisque tout le PIB n’est pas public (encore heureux !). Il parait donc plus opportun de la rapporter aux recettes publiques, histoire de se rapprocher d’un ratio « dette/chiffre d’affaires ». Et là, avant de prendre connaissance de ce chiffre, il faut s’asseoir pour ne pas tomber, car ce ratio est actuellement de 180 % !
Mais, ce n’est pas tout, car, au-delà de ces chiffres qui donnent le vertige, le vrai danger réside dans l’augmentation presque exponentielle de ces derniers. Ainsi, en 1980, la dette publique n’était que de 20,7 % du PIB et 45,4 % des recettes publiques. Dix ans plus tard, c’est-à-dire en 1990, la dette publique progresse mais reste encore limitée à 35,2 % du PIB et à 75 % des recettes publiques. En 2000, en dépit des efforts réalisés pour entrer dans la zone euro et malgré la croissance forte des années 1998-2000, la dette publique monte à nouveau, pour atteindre 59 % du PIB et 117,8 % des recettes publiques. Présentés alors comme des sommets, ces niveaux vont pourtant être pulvérisés au cours des années suivantes, pour atteindre les pics actuels, qui ne sont malheureusement qu’une étape vers d’autres plus hauts.
C’est en cela qu’au-delà de son stock de dette faramineux, la puissance publique française apparaît durablement fragilisée. Et ce d’autant que le vieil adage selon lequel il suffirait de vendre quelques « bijoux de famille » pour réduire massivement la dette publique n’est plus applicable aujourd’hui dans l’Hexagone. Et pour cause, ces bijoux, en l’occurrence les actions cotées et les OPCVM détenus par les administrations publiques, avoisinent les 500 milliards d’euros. C’est certes appréciable, mais largement insuffisant pour casser la spirale de la dette et de la croissance molle. Et quand bien même l’Etat français vendrait tous ses « trésors », tels que la Joconde, le château de Versailles et autres actifs non mobilisables, il n’arriverait même pas à rembourser son stock de dette. Et bien oui, c’est triste à dire mais l’actif net de l’Etat français est négatif. Cette notion est assez simple : elle représente l’actif de la puissance publique française duquel on soustrait sa dette. D’un point de vue comptable, si un agent économique a une dette supérieure à ses actifs, cela signifie que son actif net est négatif, et qu’il est alors en situation d’insolvabilité. A moins de trouver un financier extérieur, également appelé « chevalier blanc », il sera bientôt mis en faillite.
À cela, certains objectent que, si cette situation peut entièrement se comprendre pour une entreprise, elle ne semble pas devoir s’appliquer à un État. En effet, un État dispose généralement d’un horizon très long et n’aura pas à rembourser sa dette en une seule fois, sauf en situation de guerre. Pour autant, lorsque son actif net est négatif cela signifie que ce dernier ne dispose plus de marge de manœuvre pour augmenter sa dette, et doit donc inverser rapidement la tendance.
Or, c’est exactement ce qui s’observe pour l’Etat français depuis bientôt dix ans. Les chiffres de l’INSEE sont imparables. En 2015 (derniers chiffres officiels disponibles), le total des actifs de l’Etat français atteignait 795,5 milliards d’euros, alors que son passif était de 2 119,8 milliards d’euros (dont 1 826 milliards de titres de dettes). Cela signifie donc que l’actif net de l’Etat était de – 1 324,3. A titre de comparaison, ce dernier n’était « que » de – 892,7 milliards d’euros en 2011. C’est dire l’ampleur du dérapage, sachant qu’en 2016, la situation a encore empiré.
Certes, si l’on observe le compte de patrimoine de toutes les administrations publiques (c’est-à-dire Etat + collectivités locales et sociales), la situation est moins catastrophique. Ainsi, en 2015, toujours selon la méthode de valorisation des actifs de l’INSEE, le total des actifs de celles-ci était de 3 204,2 milliards d’euros, contre un total des passifs de 2 936,9 milliards d’euros. Leur actif net serait ainsi de + 267,3 milliards d’euros, contre encore + 507,2 milliards d’euros en 2011 et + 884 milliards d’euros en 2007. Au rythme de l’augmentation de la dette publique, il est donc à peu près certains que cet actif net deviendra négatif dès 2017. Autrement dit, même en vendant tous leurs actifs, les administrations publiques au sens large ne pourront pas combler leur endettement.
Bien sûr, en dépit de cette cinglante réalité, il est encore possible de souligner que le principal actif de l’État français n’est pas mesurable, puisqu’il s’agit de sa capacité à lever l’impôt. Il est vrai que la France peut encore s’appuyer sur d’importantes recettes fiscales, notamment liées aux performances de ses entreprises et à une richesse patrimoniale conséquente. Ces deux « vaches à lait » permettent donc à l’État de ponctionner encore et encore, du moins jusqu’à épuisement, ce qui risque de se produire dans quelques trimestres, si ce n’est déjà fait.
Dès lors, la négativité de son actif net sera mise en exergue. L’État français perdra encore en crédibilité et verra les taux d’intérêt de ses emprunts flamber, ce qui ne manquera pas de casser encore un peu plus l’investissement, la croissance et l’emploi. Plus personne ne pourra alors nier la situation de faillite de notre très cher Etat.
Marc Touati