Chine, Allemagne, France, Zone euro : les uns et les autres. (E&S n°145)

 

Humeur :

Et pendant ce temps, la Chine pavoise.


C’est certainement en voyageant à travers la planète et en particulier dans le monde dit « émergent » que l’on peut vraiment se rendre compte de l’ampleur des dégâts dans le monde dit « développé », en particulier en Europe et encore plus dans l’Hexagone. En effet, pendant que les Européens se chamaillent pour essayer de définir une nouvelle réglementation des hedge funds, pendant que les dirigeants de la BCE commencent à s’invectiver pour savoir s’il faut assouplir ou durcir la politique monétaire, pendant que la Fed essaie de rassurer les marchés en activant de nouveau la planche à billets et pendant que les Français s’étripent pour une réforme des retraites a minima, les pays émergents et notamment la Chine s’installent sur le chemin d’une croissance forte et durable.

Ainsi, non content d’avoir résisté à la crise de 2008-2009 et d’avoir laissé seuls les pays développés s’enfoncer dans la récession, le monde émergent ou plutôt émergé continue de faire preuve d’un dynamisme à toute épreuve. Si bien qu’il est désormais devenu LA locomotive structurelle de la croissance mondiale. Aux commandes de cette dernière, la Chine apparaît intouchable. Certes, les mauvaises langues diront qu’au troisième trimestre 2010, la croissance chinoise a ralenti. Il est vrai qu’après avoir atteint 10,2 % au deuxième trimestre, le glissement annuel du PIB chinois n’est plus que de 9,6 %. Quelle horreur ! En outre, il ne faut pas oublier qu’à la différence des pays développés, qui ont souvent tendance à amplifier les chiffres de croissance, la Chine a plutôt tendance à amoindrir ses performances, de manière à limiter les pressions internationales récurrentes qu’elle reçoit pour apprécier le yuan. Depuis une dizaine d’années, il est ainsi fréquent que les révisions statistiques officielles du FMI fassent état d’une croissance chinoise plus importante que celle qui avait été annoncée par Pékin.

Toujours est-il que même avec 9,6 % de croissance au troisième trimestre et au moins 10,5 % en moyenne sur l’année 2010, la Chine va apporter une contribution de 1,3 point à la croissance mondiale, soit environ un tiers de cette dernière. Cette situation n’est d’ailleurs pas nouvelle, puisque, depuis dix ans, la Chine apporte chaque année entre 1 et 1,6 point à la progression annuelle du PIB de la planète, soit une contribution moyenne de 1,3 point. Sur la même période, la contribution moyenne des Etats-Unis a été de 0,4 point, celle de la zone euro de 0,2 point et celle du Japon de 0,1 point. La Chine est donc devenue de facto la locomotive indéfectible de la croissance internationale. Sa part dans le PIB mondial mesurée en parité de pouvoir d’achat devrait même avoisiner les 14 % dès 2010, contre 20,5 % pour les Etats-Unis, 14,2 % pour la zone euro et 5,8 % pour le Japon. Rappelons que cette part n’était que de 2 % dans les années 80…

Quant à l’argument selon lequel seuls 400 millions de Chinois vivent correctement, c’est-à-dire selon les normes occidentales, laissant ainsi sur le bord de la route plus de 900 millions de personnes, la Chine le balaie d’une main, en soulignant que cela montre le potentiel de croissance qui existe encore dans l’Empire du Milieu. Et lorsque l’on sait qu’en 2000, il n’y avait que 100 millions de Chinois qui vivaient correctement, on comprend qu’en Chine tout est possible. C’est d’ailleurs là que réside l’une des grandes erreurs des économistes qui prévoyaient l’écroulement de la Chine en 2009. En effet, selon eux, la récession mondiale ne pouvait qu’enfoncer cette dernière car l’essentiel de son dynamisme était basée sur les exportations. Ce jugement était évidemment erroné, puisque que le premier moteur de la croissance chinoise est désormais la demande intérieure, en particulier l’investissement des entreprises et la consommation des ménages. A cet égard, il est illustratif de noter que, depuis le printemps 2006, le glissement annuel des ventes au détail oscille entre 12 % et 23 %. Avec une performance de 18,8 % en septembre 2010, cette vigueur s’avère donc plus que pérenne…

Bien entendu, tout n’est pas rose en Chine. D’aucuns annoncent même qu’une crise démographique et/ou démocratique et/ou financière est inévitable. Ils ont certainement raison, car les crises font forcément partie du développement économique. Pour autant, à la différence des Occidentaux et notamment des Européens, les Chinois savent anticiper. Aussi, ils disposent d’ores et déjà d’au moins quatre airbags pour éviter une crise durable. Les deux premiers résident dans une épargne et un investissement très élevé, puisque que ces deux moteurs économiques représentent respectivement 50 % et 45 % du PIB chinois. Le troisième est relatif à la faiblesse de l’endettement public qui avoisine les 20 % du PIB. Autrement dit, en cas de coup dur, Pékin pourra actionner sans difficulté l’arme du déficit public. Enfin le quatrième airbag reste le plus impressionnant puisqu’il s’agit des réserves de changes qui ont encore atteint en septembre un nouveau record de 2 648 milliards de dollars. La Chine dispose ainsi d’un « trésor de guerre » qu’elle pourra utiliser sans coût et librement en cas de difficulté économique. Et avant que de telles réserves ne se tarissent, il est clair que les concurrents de la Chine auront eu le temps de s’épuiser.

Mais comme si tout ceci ne suffisait pas, Pékin veut aussi ménager son taux de change. Ainsi, alors que la parité des pouvoirs d’achat fait état d’un niveau d’équilibre de 3,5 yuans pour un dollar, la Chine refuse d’apprécier fortement sa devise. Tout au plus a-t-elle accepté dernièrement de faire un petite geste en acceptant de passer de 6,80 à 6,65 yuans pour un dollar. Pourtant, dans la mesure où 70 % de ses exportations sont des produits à contenu technologique, la Chine pourrait se passer d’un tel soutien artificiel. Néanmoins, Pékin veut simplement montrer au monde qu’il fera tout pour soutenir sa croissance et qu’il ne se laissera pas imposer quoi que ce soit par qui que ce soit. Autrement dit, en plus de sa puissance économique, financière et militaire, la Chine veut prouver qu’elle dispose d’une véritable puissance politique.

Face à cette force et à ce volontarisme, les difficultés françaises pour faire passer une petite réforme des retraites apparaissent vraiment ridicules. Elles prouvent une fois encore que la France et plus globalement le Vieux Continent, auxquels s’associeront peut-être un jour les Etats-Unis, sont vraiment largués…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

L’Allemagne accélère, la France toujours en première.


Après avoir retrouvé au deuxième trimestre 2010 sa place de leader de la croissance eurolandaise, l’Allemagne n’a pas l’intention de s’arrêter en si bon chemin. Ainsi, alors que l’indice composite des directeurs d’achat recule depuis trois mois dans la zone euro, les indicateurs allemands ont retrouvé le chemin de la hausse en octobre. Et ce tant dans l’industrie que dans les services.

L’activité allemande reste forte tant dans l’industrie que dans les services.

Sources : Markit, Bloomberg

Mais, comme si cela ne suffisait pas et alors qu’une légère baisse était attendue, l’indice du climat des affaires de l’enquête IFO a encore progressé en octobre. Avec un niveau de 107,6, il atteint même un plus haut depuis mai 2007.

En route vers les 4 % de croissance.

Sources : IFO, Bundesbank, Datastream

Mieux, cette vigueur s’observe à la fois en matière de perception de la situation présente et sur le front des perspectives d’activité. Avec un niveau de 105,1, ces dernières ne sont plus qu’à 0,5 point de leur plafond de juillet 2010, qui constitue un sommet historique, jamais atteint depuis la réunification allemande.


Les perspectives d’activité proches de leur sommet historique.

Sources : IFO, Bundesbank, Datastream

Autrement dit, après avoir déjà atteint 3,8 % au deuxième trimestre 2010, le glissement annuel du PIB allemand est bien parti pour se stabiliser durablement autour des 4 %.

Et, même si l’euro fort risque de limiter son dynamisme économique, l’Allemagne restera protégée par l’ampleur des réformes qu’elle a menées depuis dix ans et dont elle récolte aujourd’hui les fruits.

A l’inverse, la France, qui n’a réalisé que des réformettes, peinera à retrouver une croissance forte.

Certes, en octobre, l’indicateur du climat des affaires en France a gagné 3 points, passant de 101 à 104, contre une moyenne de long terme de 100. Cette amélioration notable s’observe dans tous les secteurs d’activité. Ainsi, que ce soit dans l’industrie ou les services, l’indice du climat des affaires passe au-dessus des 100 (qui représente la moyenne de long terme) pour la première fois depuis le printemps 2008 (à respectivement 104 et 101). Dans le commerce de détail, l’indicateur d’activité est encore plus impressionnant puisqu’il atteint 109, un plus haut depuis le début 2008.

Encore mieux, le détail des enquêtes indique que la plupart des indicateurs avancés sont au beau fixe. Dans l’industrie par exemple, les perspectives personnelles de production, qui présentent l’une des plus fortes corrélation avec la croissance à venir, sont passées de – 11 en juillet dernier à + 4 en septembre et + 16 en octobre, un sommet depuis avril 2008. Dans les services, les perspectives d’activité continuent d’augmenter et ne sont plus qu’à un point de leur niveau de long terme. Quant aux perspectives de ventes dans le commerce de détail, elles passent de – 4 en juillet à + 5 en septembre et + 10 en octobre, contre une moyenne de long terme de + 1.

En d’autres termes, il y a encore une dizaine de jours, lors de la réalisation de ces enquêtes, tout paraissait au mieux dans le meilleur des mondes et la France semblait enfin s’engager sur le chemin d’une reprise appréciable et durable. Malheureusement, depuis lors, deux phénomènes sont apparus et risquent de mettre à mal ce redressement. Il s’agit, d’une part, de la forte hausse de l’euro et, d’autre part, de la dégradation du climat social.

S’il est certainement encore trop tôt pour tirer des conséquences définitives de ce double dérapage, il est clair que la confiance risque de repartir en forte baisse dès la prochaine enquête de l’INSEE. En effet, au-delà du coût des blocages et du ralentissement de certaines activités, qui pourraient coûter de 0,1 à 0,2 point de PIB, les tensions sociales devraient surtout peser sur le moral des chefs d’entreprise. Or, sans confiance, la croissance ne fera pas long feu.

Pis, l’image internationale de la France commence déjà à souffrir, avec toutes les conséquences négatives que cela génère en termes d’investissements étrangers dans l’Hexagone. Lorsque l’on sait que 70 % de la dette publique française est détenue par des non-résidents, un prolongement et a fortiori une aggravation de la situation sociale pourraient susciter une fuite de capitaux conséquente, avec hausse des taux d’intérêt à la clé, donc moins de croissance, moins d’emplois, plus de déficits publics…

D’ailleurs, au-delà du satisfecit qu’elles procurent au premier regard, les enquêtes de l’INSEE d’octobre recèlent aussi quelques facteurs d’inquiétudes. Ainsi, dans l’industrie, les carnets de commandes globaux stagnent à – 23, soit 6 points au-dessous de leur niveau de long terme. De même, en dépit d’une activité favorable, les perspectives d’emploi dans le commerce de détail se replient à – 4, contre – 2 en septembre et une moyenne de – 1 depuis 1991. Enfin, le climat des affaires dans le bâtiment reste cinq points en deçà de sa moyenne de long terme.

Prolongeant ces bémols, les enquêtes des directeurs d’achat d’octobre font état d’un contexte de décélération. Dans l’industrie, l’indice synthétique est passé de 56 en septembre à 55,2. Dans les services, la baisse a été encore plus sévère : 55,3 en octobre contre 58,2 le mois précédent et encore 61,1 en juillet dernier.

La croissance française s’affaisse déjà.

Sources : INSEE, Reuters, Bloomberg

En conclusion, l’amélioration du climat des affaires des enquêtes INSEE doit être relativisée et ne peut pas être extrapolée dans le temps. Non seulement parce qu’elle reste fragile, mais surtout parce que la hausse de l’euro et la dégradation du climat social devraient inverser rapidement et fortement la tendance. C’est vraiment dommage…

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Marc Touati



La météo économique de la semaine écoulée :

 

 


Les Marchés:

Une politique monétaire trop accommodante partout, sauf dans la zone euro.


A la suite de notre article de la semaine dernière sur la nécessité pour la Fed de ne pas paniquer, de nombreux lecteurs ont demandé de rappeler le mode de calcul du taux Taylor. Conformément à notre volonté de répondre au plus près aux questions de nos clients, il nous a donc paru opportun d’expliciter la formation de ce taux pour les Etats-Unis, mais aussi pour la zone euro et le Royaume-Uni.

Le taux Taylor correspond au taux d’intérêt directeur optimal en fonction de la croissance et de l’inflation. Ainsi, ce taux optimal est égal au taux d’intérêt neutre (c’est-à-dire sans impact positif ou négatif sur l’inflation et la croissance) auquel on ajoute deux « primes de risque ».

La règle de Taylor, une règle d’or ?

Taux optimal de la politique monétaire =

Taux neutre + 0,5 (inflation effective – objectif d’inflation) + 0,5 (croissance effective – croissance potentielle).

La première correspond à l’écart qui existe entre l’inflation effective et l’objectif d’inflation fixé par la banque centrale. La règle de décision est alors simple : si l’inflation effective est supérieure à l’objectif de la banque centrale, le taux Taylor est poussé à la hausse e