C’est certainement en voyageant à travers la planète et en particulier dans le monde dit « émergent » que l’on peut vraiment se rendre compte de l’ampleur des dégâts dans le monde dit « développé », en particulier en Europe et encore plus dans l’Hexagone. En effet, pendant que les Européens se chamaillent pour essayer de définir une nouvelle réglementation des hedge funds, pendant que les dirigeants de la BCE commencent à s’invectiver pour savoir s’il faut assouplir ou durcir la politique monétaire, pendant que la Fed essaie de rassurer les marchés en activant de nouveau la planche à billets et pendant que les Français s’étripent pour une réforme des retraites a minima, les pays émergents et notamment la Chine s’installent sur le chemin d’une croissance forte et durable.
Ainsi, non content d’avoir résisté à la crise de 2008-2009 et d’avoir laissé seuls les pays développés s’enfoncer dans la récession, le monde émergent ou plutôt émergé continue de faire preuve d’un dynamisme à toute épreuve. Si bien qu’il est désormais devenu LA locomotive structurelle de la croissance mondiale. Aux commandes de cette dernière, la Chine apparaît intouchable. Certes, les mauvaises langues diront qu’au troisième trimestre 2010, la croissance chinoise a ralenti. Il est vrai qu’après avoir atteint 10,2 % au deuxième trimestre, le glissement annuel du PIB chinois n’est plus que de 9,6 %. Quelle horreur ! En outre, il ne faut pas oublier qu’à la différence des pays développés, qui ont souvent tendance à amplifier les chiffres de croissance, la Chine a plutôt tendance à amoindrir ses performances, de manière à limiter les pressions internationales récurrentes qu’elle reçoit pour apprécier le yuan. Depuis une dizaine d’années, il est ainsi fréquent que les révisions statistiques officielles du FMI fassent état d’une croissance chinoise plus importante que celle qui avait été annoncée par Pékin.
Toujours est-il que même avec 9,6 % de croissance au troisième trimestre et au moins 10,5 % en moyenne sur l’année 2010, la Chine va apporter une contribution de 1,3 point à la croissance mondiale, soit environ un tiers de cette dernière. Cette situation n’est d’ailleurs pas nouvelle, puisque, depuis dix ans, la Chine apporte chaque année entre 1 et 1,6 point à la progression annuelle du PIB de la planète, soit une contribution moyenne de 1,3 point. Sur la même période, la contribution moyenne des Etats-Unis a été de 0,4 point, celle de la zone euro de 0,2 point et celle du Japon de 0,1 point. La Chine est donc devenue de facto la locomotive indéfectible de la croissance internationale. Sa part dans le PIB mondial mesurée en parité de pouvoir d’achat devrait même avoisiner les 14 % dès 2010, contre 20,5 % pour les Etats-Unis, 14,2 % pour la zone euro et 5,8 % pour le Japon. Rappelons que cette part n’était que de 2 % dans les années 80…
Quant à l’argument selon lequel seuls 400 millions de Chinois vivent correctement, c’est-à-dire selon les normes occidentales, laissant ainsi sur le bord de la route plus de 900 millions de personnes, la Chine le balaie d’une main, en soulignant que cela montre le potentiel de croissance qui existe encore dans l’Empire du Milieu. Et lorsque l’on sait qu’en 2000, il n’y avait que 100 millions de Chinois qui vivaient correctement, on comprend qu’en Chine tout est possible. C’est d’ailleurs là que réside l’une des grandes erreurs des économistes qui prévoyaient l’écroulement de la Chine en 2009. En effet, selon eux, la récession mondiale ne pouvait qu’enfoncer cette dernière car l’essentiel de son dynamisme était basée sur les exportations. Ce jugement était évidemment erroné, puisque que le premier moteur de la croissance chinoise est désormais la demande intérieure, en particulier l’investissement des entreprises et la consommation des ménages. A cet égard, il est illustratif de noter que, depuis le printemps 2006, le glissement annuel des ventes au détail oscille entre 12 % et 23 %. Avec une performance de 18,8 % en septembre 2010, cette vigueur s’avère donc plus que pérenne…
Bien entendu, tout n’est pas rose en Chine. D’aucuns annoncent même qu’une crise démographique et/ou démocratique et/ou financière est inévitable. Ils ont certainement raison, car les crises font forcément partie du développement économique. Pour autant, à la différence des Occidentaux et notamment des Européens, les Chinois savent anticiper. Aussi, ils disposent d’ores et déjà d’au moins quatre airbags pour éviter une crise durable. Les deux premiers résident dans une épargne et un investissement très élevé, puisque que ces deux moteurs économiques représentent respectivement 50 % et 45 % du PIB chinois. Le troisième est relatif à la faiblesse de l’endettement public qui avoisine les 20 % du PIB. Autrement dit, en cas de coup dur, Pékin pourra actionner sans difficulté l’arme du déficit public. Enfin le quatrième airbag reste le plus impressionnant puisqu’il s’agit des réserves de changes qui ont encore atteint en septembre un nouveau record de 2 648 milliards de dollars. La Chine dispose ainsi d’un « trésor de guerre » qu’elle pourra utiliser sans coût et librement en cas de difficulté économique. Et avant que de telles réserves ne se tarissent, il est clair que les concurrents de la Chine auront eu le temps de s’épuiser.
Mais comme si tout ceci ne suffisait pas, Pékin veut aussi ménager son taux de change. Ainsi, alors que la parité des pouvoirs d’achat fait état d’un niveau d’équilibre de 3,5 yuans pour un dollar, la Chine refuse d’apprécier fortement sa devise. Tout au plus a-t-elle accepté dernièrement de faire un petite geste en acceptant de passer de 6,80 à 6,65 yuans pour un dollar. Pourtant, dans la mesure où 70 % de ses exportations sont des produits à contenu technologique, la Chine pourrait se passer d’un tel soutien artificiel. Néanmoins, Pékin veut simplement montrer au monde qu’il fera tout pour soutenir sa croissance et qu’il ne se laissera pas imposer quoi que ce soit par qui que ce soit. Autrement dit, en plus de sa puissance économique, financière et militaire, la Chine veut prouver qu’elle dispose d’une véritable puissance politique.
Face à cette force et à ce volontarisme, les difficultés françaises pour faire passer une petite réforme des retraites apparaissent vraiment ridicules. Elles prouvent une fois encore que la France et plus globalement le Vieux Continent, auxquels s’associeront peut-être un jour les Etats-Unis, sont vraiment largués…
Marc Touati