« Paroles, Paroles, Paroles… » Ce refrain lancinant d’une célèbre chanson des années 70 pourrait parfaitement être repris par les différents gouvernements qui se sont succédés en France depuis une trentaine d’années. En effet, au-delà des promesses électorales en tous genres rarement tenues, les nombreux premiers ministres , ministres de l’économie, du budget et autres s’époumonent chaque année pour promettre, la main sur le cœur, que le déficit public français sera fortement réduit l’année suivante, notamment grâce à des efforts draconiens en matière de réduction des dépenses et à une croissance comprise entre 2 et 2,5 %.
Cet automne ne faillit évidemment pas à cette règle, avec néanmoins une différence : jamais le déficit public français n’a été aussi élevé : environ 8 % du PIB en 2010. De même, jamais la dette publique hexagonale n’a été aussi forte, en l’occurrence autour des 83 % du PIB.
Face à ce triste constat, deux conséquences logiques s’imposent. D’une part, le gouvernement doit, plus que jamais, montrer à la France et au monde qu’il va enfin s’appliquer à réduire cette gabegie dangereuse. Il en va de sa crédibilité internationale, mais aussi du maintien de son rating AAA, sans lequel l’Etat français ne pourra plus financer aussi facilement ses déficits, entraînant alors l’ensemble du pays dans une situation catastrophique. D’autre part, compte tenu de l’ampleur historique du déficit de 2010, il paraît aisé, voire inévitable, de pouvoir réduire celui-ci, ne serait-ce que grâce au retour de la croissance économique.
Sur ce dernier point, le projet de budget se veut d’ailleurs un peu moins irréaliste que ses prédécesseurs. En effet, de 2000 à 2008, les prévisions d’octobre de Bercy ont été quasiment toujours les mêmes : à savoir une croissance d’environ 2,5 % pour l’année suivante. Or, la réalité a été tout autre, puisque de 2001 à 2009, la croissance annuelle moyenne du PIB français fut de 1,2 %.
Devant une telle « réussite », les dirigeants du pays se sont enfin résolus à devenir un peu plus réalistes. Ainsi, ils anticipent une croissance de 1,5 % pour 2010, ce qui devrait être assez facile à réaliser, puisque l’acquis de croissance du PIB français est déjà de 1,3 % au sortir du deuxième trimestre 2010. Quant à 2011, la prévision « bercyenne » fait état d’une progression du PIB de 2 %. Là aussi, cela apparaît tout à fait jouable. Et ce, notamment parce que, compte tenu de la mollesse des dernières années, un mouvement technique de restockage et de ré-investissement devrait s’opérer dès cette année et s’installer en 2011. Compte tenu de cet effet de rattrapage, une croissance de 2 % semble donc largement réalisable.
Trois petits bémols doivent néanmoins être mentionnés sur cette perspective. Primo, si l’euro ne revient pas vers les 1,20 dollar et si, a fortiori, il continue de s’apprécier autour des 1,35 dollar, il faudra amputer la croissance française d’au moins 0,7 point. Secundo, si la BCE entame une phase de resserrement monétaire avant l’été prochain, la reprise de l’investissement sera freinée et la consommation souffrira de plus en plus.
D’où notre « Tertio », à savoir le ralentissement déjà avancé des dépenses des ménages. En effet, après avoir reculé de 1,5 % en juin, puis rebondi mécaniquement de 2,7 % en juillet grâce aux soldes, les dépenses en produits manufacturés ont de nouveau chuté de 1,6 % en août. En dépit d’un retour en territoire positif, leur glissement annuel reste faible à seulement +1,2 %. A l’évidence, nous sommes loin des performances habituelles de la consommation, notamment en phase de reprise, qui permettaient à la croissance française d’affronter vents et marées sans trop de difficultés.
L’origine de cette décrue est malheureusement simple : l’automobile. Ainsi, après avoir été artificiellement soutenue par les primes gouvernementales, la consommation automobile s’est logiquement écroulée depuis le début 2010, et ce malgré la fin progressive des primes et les rabais importants consentis par les constructeurs. A l’instar des évolutions observées en 1996-97, lors de la mise en place de primes analogues, la flambée de consommation de l’an passé n’a donc été qu’une anticipation des dépenses de cette année, d’où un écroulement inévitable aujourd’hui. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, puisque au-delà des baisses de 1,6 % et 1,5 % enregistrées en juillet et août, les dépenses dans le secteur automobile ont chuté de 11,2 % depuis le début de l’année et leur glissement annuel affiche un niveau peu flatteur de – 10,4 %. Certes, grâce à une épargne toujours pléthorique, les Français disposent encore de quelques réserves pour consommer. Mais, attention, comme cela s’est encore observé en juillet, ils concentrent leurs dépenses sur les périodes de soldes. Dès lors, la consommation des ménages continuera de croître, mais seulement à un rythme d’environ 1,4 % tant cette année qu’en 2011.
En d’autres termes, même si elle reste envisageable, la prévision d’une croissance à 2 % en 2011 est loin d’être définitivement assurée.
C’est alors que les promesses gouvernementales en termes d’augmentation des recettes fiscales et de réduction des dépenses prennent toute leur importance. Tout d’abord, il est clair qu’en rabotant les niches fiscales sans réduire les prélèvements obligatoires dans leur ensemble, le gouvernement va mécaniquement réduire la confiance et la croissance dans l’Hexagone. Ce qui s’ajoute aux hypothèses ci-dessus. Ensuite, en annonçant une stabilisation des dépenses de fonctionnement, le ministre du budget réitère les travers de ses prédécesseurs qui ont fait des promesses identiques avec pour seuls résultats une forte augmentation de ces mêmes dépenses. Ces dernières ont ainsi augmenté de 14,4 milliards d’euros en 2009 (soit + 4,1 % en valeur et environ + 3,5 % en volume) et de 87,6 milliards d’euros depuis 2002 (+ 31,3 % en valeur et autour des 17 % en volume).
Nous voulons donc bien croire une nouvelles fois les déclarations gouvernementales, mais pardonnez nous de rester prudents. Voilà pourquoi, nous estimons que le déficit public français devrait avoisiner les 7 % du PIB en 2011 et que la dette publique frôlera les 85 % du PIB. C’est tout le problème des promesses non tenues : au bout d’un certain temps, elles ne sont plus prises au sérieux.
Marc Touati