Deux ans déjà.

 

C’était il y a tout juste deux ans, le 15 septembre 2008 pour être précis : en quelques heures, le monde allait basculer dans sa plus grave crise financière depuis celle de 1929. Et ce, principalement par le biais d’une erreur humaine, en l’occurrence celle d’Henri Paulson, alors secrétaire d’Etat au Trésor américain qui, par esprit de vengeance (en tant qu’ancien patron de Goldman Sachs) a décidé de laisser faire faillite la quatrième banque d’affaires américaine Lehman Brothers. Bien sûr, cette dernière a, elle aussi, fait des erreurs en pratiquant de nombreux et dangereux excès. Fallait-il pour autant la tuer sèchement ? La suite de l’histoire a évidemment montré que ce choix était lourd de conséquences, que nous subissons d’ailleurs encore aujourd’hui. Pis, il faut souligner que les acquéreurs des actifs de Lehman (Barclays aux Etats-Unis, Nomura en Europe) ont ensuite réalisé d’excellents résultats grâce à ces derniers. Autrement dit, l’ancien fleuron de Wall Street méritait au pire un démantèlement mais certainement pas la mort.

Toujours est-il que, à cause de la bêtise et l’irresponsabilité de quelques-uns, cela s’est produit, entraînant le monde dans un chaos encore plus profond que celui provoqué par les attentats du 11 septembre 2001. Bien entendu, ces derniers ont été plus meurtriers que la « catastrophe » du 15 septembre 2008, mais leurs conséquences psychologiques ont été identiques : en quelques heures, tous les repères auxquels le monde économico-financier se raccrochait ont disparu, laissant celui-ci en proie aux doutes et à toutes les peurs. Les Cassandre ont alors surfé sur la vague de la psychose pour faire croire que la planète allait sombrer dans une récession bien plus grave que celle des années 1930. Ce scénario était tellement consensuel que défendre, comme nous le faisions à l’époque, la perspective d’une reprise mondiale dès la fin 2009 paraissait complètement illusoire, voire inepte.

C’est pourtant exactement ce qui s’est passé. En effet, à la différence des années 1930 et tirant les leçons des erreurs de l’époque, les dirigeants de la planète ont su sauver les banques et éviter par là même une faillite systémique. Les autorités monétaires ont également très vite réagi en baissant fortement leurs taux d’intérêt (même si, comme d’habitude, la BCE s’est illustrée en refusant d’aller jusqu’au bout du processus d’assouplissement monétaire comme l’ont fait la Fed, la BoE, la Banque Nationale Suisse, la Banque du Canada…). Enfin, les Etats ont également mis en place des plans de relance pharaoniques, même si, là aussi, la zone euro s’est distinguée par l’étroitesse de cette relance, elle-même liée à des déficits publics structurellement excessifs depuis plus de dix ans. Au total, grâce à ces « remèdes de cheval », la récession abyssale tant attendue a été évitée. Si bien que deux ans après la « déflagration Paulson », la croissance mondiale a déjà retrouvé les 4 % à 4,5 %, les bourses ont repris le chemin (certes encore chaotique) du rebond et de plus en plus de banques retrouvent une rentabilité très appréciable.

Cependant, en dépit de ces réussites, deux questions principales demeurent. Premièrement, la reprise est-elle pérenne ? Deuxièmement, le monde économico-financier a-t-il changé positivement depuis le début de la crise ? A ces deux questions, nous répondons par l’affirmative, tout en apportant néanmoins quelques nuances.

Ainsi, en plus de montrer la résistance du système capitaliste et celle de la croissance mondiale face à l’adversité, cette crise a confirmé le rôle de plus en plus déterminant du monde émergent. En effet, celui-ci a non seulement su éviter la récession et est devenu, de surcroît, la locomotive de la croissance internationale. Dans le même temps, l’économie américaine a réussi à ne pas tomber dans le piège de la déflation, reprenant assez rapidement le chemin de la croissance. Dans ce cadre, la reprise a pu s’installer durablement, malgré un inévitable ralentissement. A l’inverse, les pays vieillissant et/ou trop rigides, en l’occurrence ceux de la zone euro et le Japon, ont été les plus touchés par la crise et sont aussi ceux qui connaissent le plus faible rebond. Cette croissance structurellement molle est d’autant plus dommageable qu’elle engendre un fort risque de nouvelle crise, à savoir celle de la dette publique. Et pour cause : dans la plupart des pays incriminés, il n’y a même pas assez de croissance pour payer les intérêts de la dette publique. Pour eux, la crise est donc en mode pause, mais pourrait très vite être réactivée.

D’où notre deuxième question sur les changements intervenus grâce (ou à cause) de la crise, et en particulier sur les marchés financiers. Avant tout, ne soyons pas dupes, et comme nous l’avons déjà mentionné dans cette même rubrique au cours des deux dernières années, il est illusoire de croire que la spéculation pourrait disparaître. Cette dernière fait effectivement partie intégrante de la vie des marchés. Sauf à fermer ces derniers, la spéculation est donc inévitable. Pour autant, cette dernière peut être encadrée et limitée. C’est ainsi qu’avec la crise, 60 % des hedge funds ont disparu. De même, les banques ont massivement réduit voire supprimé leur property trading (c’est-à-dire la spéculation avec leurs fonds propres). En outre, la mathématisation extrême des produits financiers a été revue en forte baisse. Enfin, la transparence et le contrôle des risques par les acteurs financiers ont été améliorés. Le chantier n’est évidemment pas encore terminé, mais le chemin parcouru est déjà considérable.

Mais si les marchés et les banques ont su s’adapter, à défaut d’être révolutionnés, certains acteurs économiques ont continué leurs dérapages et en particulier les Etats. En effet, sous prétexte de la nécessité de sauver le système, ces derniers ont souvent repris ou conservé leurs vieilles habitudes de laxisme budgétaire, avec deux principaux travers : la faible efficacité de la dépense publique et le réflexe de l’augmentation des impôts pour tenter de réduire les déficits. Or, il est clair que si ces deux pratiques continuent, la crise de l’endettement privé deviendra une crise de l’endettement public. Et dans ce cas, il n’y aura plus grand monde pour jouer le rôle de prêteur en dernier ressort. A part peut-être les pays émergents et notamment la Chine, qui resteront alors définitivement les grands gagnants de la crise. C’est certainement là que réside le grand enseignement de ces deux dernières années : ceux qui ne sont pas réactifs et refusent de se remettre en question en se réformant et en modernisant leur économie sont voués à l’échec. Espérons que les dirigeants des pays dits développés sauront s’en souvenir, avant la prochaine crise.

Marc Touati