France-Allemagne : les écarts se creusent.

 

Depuis la publication des premières estimations de croissance pour le deuxième trimestre des deux côtés du Rhin, le débat fait rage : et si l’Allemagne était tout simplement en train de reprendre sa place de champion économique européen, loin devant ses partenaires de la zone euro, et en particulier de la France ? En effet, alors que le gouvernement français s’enorgueillit d’une croissance hexagonale de 0,6 % au deuxième trimestre (faisant fi que, hors stocks, cette croissance a été de 0 % : cf. l’Humeur de la semaine dernière), la progression du PIB allemand sur la même période a été de 2,2 %, un record absolu depuis la réunification.

Bien entendu, à l’instar de la situation française, une grande partie de cette flambée s’explique par un effet de restockage massif (c’est du moins ce qu’il est possible de supposer car le détail des chiffres ne sera connu que le 24 août). De même, compte tenu du fait que, pendant la dernière crise, le PIB allemand a beaucoup plus chuté que son homologue français, il est logique que la correction haussière soit plus forte outre-Rhin. Ainsi, sur l’ensemble de la dernière récession, c’est-à-dire du deuxième trimestre 2008 au premier de 2009, le PIB germanique a plongé de 7 %, contre une baisse de « seulement » 3,9 % dans l’Hexagone. Pour autant, la différence entre le rebond spectaculaire de l’Allemagne et la reprise molle de la France a suffi pour relancer les inquiétudes sur le couple franco-allemand qui, en dépit des apparences et des déclarations de ses dirigeants, ne cesse d’accumuler les divergences économiques.

Tout d’abord, il faut noter qu’au sortir du deuxième trimestre 2010, les PIB allemand et français restent tous deux inférieurs à leur niveau d’avant crise, mais dans une proportion quasiment identique : respectivement – 2,7 % et – 2,2 %. Autrement dit, si le gouvernement français a souvent défendu au cours des derniers trimestres que sa politique de soutien à l’activité a été meilleure qu’en Allemagne, ce n’est désormais plus le cas.

Et c’est là que le bât blesse, car, pour parvenir au même résultat, la France a continué d’augmenter massivement ses dépenses publiques, tandis que l’Allemagne a continué de se serrer la ceinture. Ainsi, en 2009, les dépenses publiques représentaient 47,6 % du PIB outre-Rhin, contre 55,6 % dans l’Hexagone. En d’autres termes, la France a déjà utilisé toutes ses cartouches, alors que l’Allemagne a su faire preuve de parcimonie de manière à mieux profiter de la reprise.

Ce comportement n’est d’ailleurs pas nouveau et correspond à la différence de stratégie économique qui s’est installée depuis une dizaine d’années de chaque côté du Rhin. En effet, depuis le début des années 2000 et quelle que soit la couleur politique du gouvernement au pouvoir, les Allemands ont réussi à moderniser profondément leur économie. Ils ont par exemple réduit l’impôt sur les sociétés de 35 % à 20 % et baissé les salaires réels d’un commun d’accord entre le patronat et les syndicats. Ils ont également diminué de nombreuses dépenses inefficaces, ainsi que le montant de nombreuses prestations sociales. Ils ont enfin amélioré la fluidité de leur marché du travail ou encore augmenté l’âge légal de la retraite. Autant de réformes structurelles qui ont permis aux entreprises de continuer d’investir et de rester compétitives face à la concurrence internationale. Dès lors, si la crise a été très difficile pour l’économie allemande, cette dernière paraît désormais mieux armée pour affronter les prochaines années.

Dans le même temps, et là aussi quelle que soit la couleur politique du gouvernement en place, la France a refusé de moderniser son économie et de faire la rupture structurelle tant annoncée depuis des décennies. Ainsi, bien loin de l’esprit de sacrifice et de responsabilité des Allemands, les dirigeants français ont continué de dilapider des deniers qu’ils n’avaient pas, maintenant le pays sous une perfusion certes agréable mais ô combien coûteuse et inefficace. Et pour cause : la gabegie de dépenses publiques n’a absolument pas permis d’éviter la crise, la montée du chômage, l’augmentation des inégalités et de la pauvreté. Pis, plutôt que de s’excuser de ces erreurs stratégiques, les dirigeants français n’hésitent pas à critiquer la politique allemande qui aurait sacrifié la consommation au profit de l’investissement. Madame Lagarde a même été jusqu’à souligner qu’une grande partie des difficultés économiques françaises étaient due à la rigueur allemande. De quoi retourner Jean de La Fontaine dans sa tombe puisque c’est désormais la cigale qui fait des remontrances à la fourmi…

Certes, il faut reconnaître que, dans leur volonté de rigueur, les Allemands ont certainement été un peu loin. Cependant, cette stratégie a été voulue par le peuple, confirmant que ce dernier garde un fort sens de l’abnégation et une vision d’avenir déterminante. D’ailleurs, n’oublions pas que la faiblesse de la consommation allemande n’est pas la seule conséquence de la politique économique gouvernementale mais surtout de la baisse de la population qui s’observe depuis 2005. Réciproquement, la bonne tenue de la consommation française s’explique en grande partie par les perfusions en tous genres mais aussi par la vigueur de la natalité. C’est d’ailleurs là que réside l’un des grands paradoxes du couple germano-français : les uns préparent l’avenir en faisant des réformes, mais font peu d’enfants pour en profiter ; les autres refusent les réformes mais font beaucoup d’enfants qui devront affronter des lendemains difficiles…

Car, ne nous leurrons pas, la différence de stratégies entre les deux côtés du Rhin aura forcément des répercussions conséquentes. L’écart de croissance observé au deuxième trimestre 2010 montre que ces dernières ont déjà commencé. Dès lors, si la France continue de refuser la réalité en appliquant les vaines recettes d’augmentation des dépenses publiques, d’inefficacité de la pression fiscale et de rigidités réglementaires prohibitives, les écarts économiques vont encore se creuser. Celle-ci finira forcément par subir une dégradation de la note de sa dette publique et un discrédit international. Marquée par dix années d’efforts permanents, l’Allemagne risque alors de refuser de payer pour les dérapages français, entérinant un divorce latent du couple franco-allemand et mettant fin par là même à la zone euro. Après vingt ans de poker menteur, la partie est désormais sur le point de se terminer. Le pire n’est pas encore certain, mais, au fil des années, les chances de l’éviter s’amenuisent…

Marc Touati