Perspectives 2010-2011 : Arrêtons d’avoir peur.

 

C’est malheureusement une triste réalité : la peur domine le monde. En effet, lorsqu’un individu, une entreprise ou encore un pays ont peur, ils sont paralysés et n’ont même plus la force d’aller vers l’avant. Autrement dit, ils n’ont plus aucune chance de gagner. A l’inverse, celui qui suscite la peur est quasiment assuré de l’emporter. C’est là l’une des raisons principales pour lesquelles, il est souvent avancé que le pessimiste est généralement un optimiste qui serait devenu réaliste, ou encore que le Bear market a plus de chance de s’imposer que le Bull Market. Et pour cause : en instillant la peur, le pessimisme et le Bear market ont automatiquement tendance à devenir auto-réalisateurs.

Pour autant, si ce cas de figure se réalise régulièrement, il est loin d’être inévitable. L’histoire économique nous en a souvent fourni la preuve. Sans remonter aux calendes grecques, les évolutions économiques et financières des dix dernières années sont particulièrement éloquentes. Ainsi, fin 2001, au lendemain des attentats du 11 septembre et un an après le début du krach Internet, qui osait imaginer un redémarrage de la croissance mondiale dès 2002-2003 ? De surcroît, dès la fin 2002, la perspective de la guerre en Irak semblait donner crédit à un scénario en W. Ainsi, en dépit de leur erreur manifeste de prévision selon laquelle la récession mondiale durerait plusieurs années, les Cassandre profitèrent de cette nouvelle guerre et des peurs qu’elle allait engendrer pour revenir sur le devant de la scène. Pourtant, en particulier grâce au monde émergent, qui, lui, n’a pas le temps d’avoir peur, et aussi grâce à la volonté effrénée de l’Oncle Sam de redémarrer et de tourner le dos au défaitisme, ce scénario funeste a été évité. Dès lors, la croissance mondiale a pu retrouver un niveau de 5 % de 2004 à 2006, soit 1,5 point de plus que son niveau moyen observé depuis les années 70. Autrement dit, par peur du W et à l’instar du boulimique qui a peur de ne pas arriver à se rassasier, les dirigeants politiques et monétaires de la planète, en particulier aux Etats-Unis, ont été trop loin. Seulement voilà, une fois que le boulimique a trop mangé, il finit souvent par vomir ses excès. C’est exactement ce qui s’est passé de 2007 à 2009, avec la crise des subprimes, puis le krach boursier et la récession mondiale.

A tel point que la peur s’est de nouveau généralisée, entraînant le monde dans un pessimisme irraisonné qui amenait même le FMI à annoncer une baisse du PIB mondial de 5 % tant en 2009 qu’en 2010. Et ce, alors que la relance budgétaire internationale représentait plus de 9 % du PIB mondial et que les taux d’intérêt monétaires étaient drastiquement abaissés à travers la planète. Grâce à ces « antidépresseurs » et aussi grâce à la résistance des pays émergents, qui n’ont toujours pas le temps d’avoir peur, le règne de l’effroi et de la fin du monde imminente a donc été vaincu. Malheureusement, c’était sans compter les déboires de la zone la plus inquiète du monde et, par là même, la moins encline à investir et à faire de la croissance. En l’occurrence, la zone euro. Ainsi, à l’instar, de la guerre en Irak en 2003, la crise grecque a relancé le Bear Market et a donné un nouveau crédit au scénario du W. Le problème est que si les Américains et les pays émergents réussissent généralement à lutter contre la peur, cette dernière constitue une seconde nature pour les Européens. D’où la très rapide et très facile généralisation des scénarios « catastrophe » : explosion de la zone euro, nouvelle crise bancaire, contagion à l’ensemble de la planète… Bref, les Cassandre ont encore de beaux jours devant elles.

Cependant, comme cela a pu s’observer en 2002 et en 2009, c’est lorsque l’on est trop sûr de gagner que la défaite pointe le bout de son nez. Ainsi, à nouveau arrogants, les Bearish oublient que l’économie reprend toujours le dessus. Ainsi, avec une croissance mondiale de 4 % en 2010, le pessimisme n’a aucune raison de l’emporter. Et ce d’autant qu’une performance quasiment identique devrait être enregistrée en 2011. En effet, avec un baril de brut stabilisé entre 70 et 80 dollars, avec des taux d’intérêt durablement bas (en dépit d’une inévitable remontée progressive d’ici l’automne aux Etats-Unis) et grâce au mouvement de réinvestissement mondial, la croissance du PIB de la planète devrait au moins avoisiner les 3,5 % en 2011, c’est-à-dire exactement son niveau moyen depuis plus de trente ans. Autrement dit, la tentation boulimique des années 2004-2006 devrait être évitée.

Quant à la zone euro, pas de panique. Tout d’abord, il ne faut pas oublier qu’elle ne représente plus que 14 % du PIB mondial, contre 13 % pour la Chine (les PIB étant mesurés en parités de pouvoir d’achat). Sa croissance molle n’aura donc pas de conséquences dramatiques. Ensuite, grâce à la baisse de l’euro, le PIB eurolandais devrait croître d’au moins 2,5 % en 2011, soit 1 point de plus que le niveau de sa croissance structurelle. Enfin, avec une inflation de 2 %, la variation du PIB eurolandais en valeur devrait atteindre 4,5 % en 2011, soit 1,3 point de plus que la charge d’intérêts de la dette. En d’autres termes, l’incendie de la dette publique pourrait être éteint grâce au retour de la croissance.

Bien sûr, des inquiétudes demeureront. Ainsi, au-delà des risques géopolitiques internationaux, les autorités de la zone euro devront enfin mettre en œuvre des mesures d’assainissement des dépenses publiques, de transparence et de meilleure efficacité de leur politique monétaire et budgétaire. Il est clair que si tel n’était pas le cas, la crise eurolandaise pourrait reprendre du poil de la bête et asphyxier la reprise en cours. Comme quoi, même en recherchant des facteurs d’optimisme, la peur reste toujours tapie dans un coin, prête à bondir. D’où la nécessité d’être encore plus vigilant et combatif à son égard.

Pour finir, ne l’oublions pas : notre prévision d’une croissance mondiale de plus de 3,5 % tant cette année qu’en 2011, qui engendrera notamment une reprise boursière forte et durable, n’est pas du simple « wishfull thinking ». Comme d’habitude, elle s’appuie sur les fondamentaux économiques : des cours du pétrole et des matières premières à des niveaux adéquats, un euro/dollar autour de son niveau d’équilibre, des taux d’intérêt bas, un investissement productif soutenu à travers le monde et une accélération de la révolution des Nouvelles Technologies de l’Energie. La cerise sur le gâteau serait que, pour une fois, les dirigeants eurolandais réussissent à mettre leur dogmatisme en veilleuse et à faire preuve de pragmatisme. Et, même s’ils n’y parviennent pas, ce n’est pas si grave puisque nous aurons au moins le gâteau. Alors arrêtons d’avoir peur et de nous faire manipuler : la croissance est là, ne la gâchons pas et profitons-en !

Marc Touati