Cac 40, Etats-Unis, Rigueur : du chaud et du froid (E&S n°128)

Humeur :

Ne confondons pas rigueur et assainissement.


C’est donc le nouveau mot à la mode dans la zone euro : rigueur. Ainsi, après trente ans de laxisme et d’augmentation des dépenses publiques (à l’exception de quelques pays courageux qui ont su moderniser leur économie), les Etats de la zone euro ont enfin décidé de réduire leur déficit structurel. Cette décision est évidemment louable et surtout indispensable, dans la mesure où, dans l’ensemble de ces pays, la croissance économique générée chaque année ne suffit même pas pour payer les intérêts de la dette publique. Autrement dit, le simple remboursement de la dette requiert d’augmenter le déficit, donc la dette… et le cercle pernicieux n’en finit plus. Du moins jusqu’à ce que la note du pays soit dégradée, avec remontée des taux d’intérêt à la clé, donc aggravation de la charge d’intérêts de la dette et, enfin, généralisation de la crise grecque à la plupart des pays eurolandais.

Bien que cette sombre perspective soit connue depuis des années, il aura fallu attendre que la zone euro soit au bord de l’explosion pour enfin réagir. « Mieux vaut tard que jamais ! » diront certains. Pour autant, on n’efface pas trente ans de mauvaise gouvernance économique en quelques jours. Pis, alors que les marchés et le monde entier ont les yeux rivés sur les choix stratégiques des dirigeants politiques eurolandais, ces derniers rééditent les mêmes erreurs que par le passé, en mettant de nouveau en péril la croissance économique. Car si l’assainissement des finances publiques est indispensable, il ne doit pas non plus « casser » l’activité, sous peine d’augmenter à nouveau les déficits, donc la dette…

Or, bien loin de ce bon sens économique, les pays eurolandais qui ont pour le moment annoncé des plans de rigueur ont tous fait la même erreur : imaginer qu’il suffit d’augmenter les impôts pour réduire le déficit public. La palme de la contre-productivité, pour ne pas dire de l’amateurisme, revient à la Grèce qui, avec la bénédiction du FMI, a notamment annoncé l’augmentation de 2 points de son taux de TVA de 21 % à 23 %. Le problème est que, si déjà avec un taux de TVA à 21 %, l’économie parallèle représente 30 % du PIB grec, quel sommet va-t-elle atteindre avec une TVA de 23 % ?

Mais, dans cette volonté de diminuer les déficits par l’augmentation des impôts, la Grèce est suivie de près par tous les autres pays dits du Club Med, à savoir le Portugal, l’Espagne et l’Italie, qui ont tous décidé d’accroître une pression fiscale déjà prohibitive. La conséquence de ces mesures est donc simple : déjà anémique, voire inexistante pour certains d’entre eux, la croissance va être amputée de 1 à 2 points par an pendant les trois prochaines années. Cette nouvelle décélération ne manquera évidemment pas de réduire les recettes fiscales, via une diminution de l’assiette de ces dernières. De plus, en maintenant le chômage à un niveau élevé, elle accroîtra les dépenses sociales. Et, au final, le déficit public augmentera de nouveau. A l’instar de ce qui s’observe depuis plus de vingt ans, l’écart entre les objectifs annoncés par les Etats eurolandais et les résultats réellement obtenus risque donc d’être énorme. A croire que l’inefficacité de la politique économique fait partie intégrante des gènes eurolandais…

D’ailleurs, en dépit de ces évidences, de plus en plus d’hommes politiques français, tous bords confondus, n’hésitent pas à demander une augmentation des impôts, qui serait, à leurs yeux, la seule solution pour sortir la France du marasme de la dette publique. Certains vont même encore plus loin, en réclamant une augmentation des dépenses publiques pour accompagner la hausse des impôts. Comment peut-on encore avancer de tels arguments ? Surtout si l’on sait que le poids des dépenses publiques dans le PIB de la France est l’un des plus élevés du monde. En 2010, il a même atteint un niveau de 56 %, du jamais vu dans l’histoire économique française depuis l’après-guerre.

Pourtant, en dépit de ces trente ans d’augmentation tendancielle, la croissance structurelle de la France n’a cessé de reculer, le taux de chômage reste élevé et le taux de pauvreté augmente depuis plus de cinq ans. Autrement dit, ces piètres résultats confirment que l’augmentation des dépenses publiques n’est absolument pas une solution viable pour relancer la France sur le chemin d’une croissance forte et durable. Et ce, d’autant que ce laxisme s’accompagne automatiquement d’une aggravation de la pression fiscale, qui porte en elle les germes de la croissance molle.

Le pire est que, même lorsque les dirigeants politiques affirment une volonté farouche de réduire ces dépenses, c’est exactement le contraire que l’on observe. Certes, on pourrait penser que, compte tenu de la gravité de la récession l’an passé, seules les dépenses sociales ont augmenté, ce qui, à la rigueur, pourrait se comprendre. Mais tel n’est pas le cas. Ainsi, en 2009, les dépenses de fonctionnement de l’ensemble des administrations publiques ont augmenté de 4,1 % (c’est-à-dire de 14,4 milliards d’euros) et atteignent un sommet de 367,2 milliards d’euros, soit 34,4 % de l’ensemble des dépenses publiques ! Depuis 2002, elles ont flambé de 3,5 % par an, soit plus du double de l’inflation annuelle moyenne (en l’occurrence 1,7 %). En huit ans, elles ont ainsi explosé de 87,5 milliards d’euros. Et ce, alors qu’à l’instar de leurs prédécesseurs, les ministres du budget successifs nous avaient promis que leur augmentation serait nulle…

Soyons clairs : ce comportement est inacceptable et surtout dangereux, car il n’est pas possible de demander aux Français de se serrer la ceinture alors que les dépenses de fonctionnement des administrations publiques augmentent deux fois plus que l’inflation depuis bientôt dix ans. Plutôt que de vouloir constamment augmenter les impôts en vain, nos dirigeants nationaux et régionaux doivent absolument montrer l’exemple et réduire, ou « à la rigueur » stabiliser, leurs dépenses de fonctionnement. Si ce choix avait été fait et concrétisé dès 2002, la France disposerait aujourd’hui d’une marge de manœuvre potentielle de près de 90 milliards d’euros et serait donc exempte de rigueur.

Plutôt que de se faire les chantres de l’austérité mal placée, les dirigeants français et eurolandais devraient donc engager un véritable assainissement de leurs dépenses. En soutenant la croissance, la baisse de l’euro leur permet d’ailleurs de faire passer cette pilule en douceur sans entraver l’activité. Mais attention, si la crise récente de la zone euro n’est pas utilisée pour enfin mettre un place cet assainissement, il n’est pas sûr qu’une nouvelle chance nous sera donnée lors de la prochaine crise…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Les Etats-Unis confirment, la zone euro trime…


Bien sûr, certains ont pu être déçus par la très légère révision baissière de la croissance du PIB des Etats-Unis au premier trimestre (qui est passée de 3,2 % à 3 % en rythme annualisé). Pour autant, la vigueur durablement retrouvée de l’économie américaine ne fait plus aucun doute.

Ainsi, depuis son point bas du deuxième trimestre 2009, le PIB américain a progressé de 2,7 %. Après avoir reculé de 2,4 % en moyenne sur l’année 2009, il affiche dès la fin du premier trimestre 2010 un acquis de croissance de 2 %. Et ce, non seulement grâce à la vigueur retrouvée de la consommation, mais aussi grâce au net rebond de l’investissement des entreprises.

Mieux, les derniers indicateurs avancés de ces deux locomotives de la croissance américaine ont continué de surprendre par leur vigueur.

Bien sûr, la stagnation de la consommation en avril a de quoi surprendre, voire décevoir. Néanmoins, l’augmentation parallèle de 0,4 % des revenus ce même mois indique qu’il ne s’agit que d’une pause. Cette dernière permet notamment aux ménages d’assainir leur situation financière, via une augmentation de leur taux d’épargne à 3,6 %.

En outre, il ne faut pas oublier qu’en avril, les ventes au détail ont enregistré leur septième mois consécutif de hausse, affichant désormais un glissement annuel de 8,8 %, un plus haut depuis juillet 2005. Après avoir fortement progressé depuis le troisième trimestre 2009, la consommation des ménages au sens des comptes nationaux devrait donc continuer sur sa lancée dans les prochains trimestres.

La « fièvre acheteuse » ne fait que (re-) commencer.

Sources : Dept of commerce- Bureau of *Census, Datastream

Et ce d’autant que l’indice du Conference Board relatif à la confiance des particuliers a encore progressé de 5,6 points en mai. Depuis son plancher de février 2009, cet indicateur avancé de la consommation a flambé de 38 points. Avec un niveau de 63,3 en mai, il atteint même un plus haut depuis mars 2008. S’il reste évidemment encore loin de ses sommets des années 2004-2007 et a fortiori de ceux des années 1998-2000, il montre néanmoins que les ménages américains ont retrouvé une dose d’espoir suffisante pour sortir définitivement de la crise.

D’ailleurs, l’indice des perspectives d’activité des ménages de cette même enquête du Conference Board a progressé de 7,9 points en mai, réalisant un bond de 58 points depuis son plancher de février 2009. Avec un niveau de 85,3, il atteint même un point haut depuis août 2007, c’est-à-dire avant le début de la crise des subprimes.

Les ménages américains retrouvent la foi en l’avenir…

Sources : Conference Board, Datastream

Mais cet optimisme retrouvé ne se cantonne pas à la consommation. En effet, après avoir déjà progressé de 19 % et de 12,7 % (en rythme annualisé) respectivement au quatrième trimestre 2009 et au premier de 2010, l’investissement en équipements des entreprises devrait encore se renforcer au cours des prochains trimestres. C’est non seulement ce que confirment la bonne orientation des indices ISM relatif aux commandes, mais aussi la nouvelle progression de 2,9 % des commandes de biens durables en avril. Le glissement annuel de ces dernières atteint désormais un niveau de 21,6 %, un sommet historique depuis mars 1984 !

Une reprise vertigineuse de l’investissement des entreprises…

Sources : Dept of commerce- Bureau of *Census, Datastream

Mieux, les commandes de biens d’équipement ont progressé de 7,4 % en avril et de 9,2 % hors matériels de défense. Leurs glissements atteignent des niveaux faramineux de respectivement 36,1 % et 43,4 %. Si des effets de base expliquent en partie ces performances vertigineuses, ces dernières indiquent néanmoins que la reprise de l’investissement sera forte et durable et se traduira également par d’importantes créations d’emplois.

Le cercle vertueux investissement-emploi-consommation est donc bien en train de s’installer et surtout de s’intensifier outre-Atlantique.

Bien loin de ce dynamisme, l’économie eurolandaise continue son chemin de croix vers le difficile retour d’une croissance d’au mieux 1,5 % cette année. C’est notamment ce qu’ont confirmé la baisse de l’indice PMI des directeur d’achat dans l’industrie et la quasi-stabilisation de celui relatif aux services en mai.

Comme le montre le graphique ci-dessous, ces deux évolutions confirment que le glissement annuel du PIB de la zone euro écrête aux alentours des 1,5 %.

Le chemin de croix de la zone euro continue…

Sources : Reuters, Eurostat, Bloomberg

Mais ce n’est pas tout, car si, jusqu’à il y a encore quelques mois, la France mettait en exergue la résistance de sa consommation pour justifier ses bons choix stratégiques, l’heure de la correction a désormais sonné.

Et bien oui, les montagnes russes continuent pour la consommation des ménages en France. En effet, après avoir progressé de 2,2 % en novembre-décembre 2009, puis plongé de 4 % en janvier-février 2010 pour rebondir de 1,6 % en mars, la consommation en produits manufacturés a rechuté de 1,2 % en avril. Cette extrême volatilité confirme la fragilité de la consommation française. Cette dernière a effectivement été sous perfusion l’an passé grâce à la prime automobile et subit aujourd’hui le contrecoup de la fin de cette même prime.

Les chiffres parlent d’eux mêmes puisqu’après avoir explosé les compteurs en 2009, la consommation automobile a chuté de 18,7 % en janvier-février 2010, pour se reprendre très légèrement en mars et enfin replonger de 9,5 % en avril. Depuis le début de l’année, cette locomotive de la consommation, voire de l’économie française dans son ensemble, enregistre ainsi un recul de 23,6 %. Son niveau atteint même un plancher depuis janvier 2009.

Malheureusement, cette dégringolade n’est pas une surprise puisqu’elle ne fait que rééditer l’expérience de la précédente prime à la casse des années 1996-97. C’est bien là le drame de la politique économique française : les dirigeants passent, mais les recettes et surtout les erreurs restent les mêmes.

France : la consommation en danger.

Sources : INSEE, Datastream

En outre, il faut noter qu’à côté de l’automobile, tous les secteurs de la consommation réalisent une baisse significative en avril. A commencer par le textile-cuir qui recule de 1,2 %. Autrement dit, après avoir soutenu à bout de bras la croissance française, puis avoir stagné sur l’ensemble du premier trimestre 2010, la consommation des ménages commence à fatiguer et ne pourra pas rééditer ses exploits de la dernière décennie. Il faut donc se préparer à une croissance durablement molle de la consommation, qui devrait tout juste dépasser les 1,2 % cette année.

C’est dans ce contexte que, très logiquement, le climat des affaires dans l’Hexagone a stagné en mai. Avec un niveau de 96, il reste certes appréciable mais demeure inférieur à sa moyenne de long terme (100) et montre ainsi que la croissance française n’a toujours pas retrouvé son rythme de croisière, qui oscille entre 1,5 % et 1,8 %. Pour réussir à le dépasser et comme l’heure est enfin à l’assainissement des dépenses publiques, il faudra donc des soutiens extérieurs. Ces derniers résideront dans la baisse de l’euro et dans le rebond du commerce mondial qui pourront permettre à l’économie française de retrouver une croissance supérieure à 2 % en 2011.

Autrement dit, la baisse salutaire de l’euro tombe à pic pour faire passer la pilule des restrictions budgétaires. En revanche, si le gouvernement « s’amuse » à ré-augmenter les impôts, le soufflet de la croissance retombera aussitôt et les déficits repartiront à la hausse. Il ne faut donc surtout pas confondre assainissement des dépenses publiques et rigueur fiscale, car, sinon, la consommation et la croissance de la France ne s’en remettront pas.

 

Marc Touati

 



La météo économique de la semaine écoulée :

 


 

Les Marchés :

Cac 40 : un boulevard entre 3 500 et 4 500 ?


2 519 points le 9 mars 2009, 3 378, deux mois plus tard, puis retour à 3 000 le 10 juillet, avant de rebondir autour des 4 000 points de décembre 2009 à janvier 2010, pour redescendre à 3 600 en février, et enfin revenir au-dessus des 4 000 en avril.