Tremblement de terre à Haïti, crise grecque, volcan islandais, marée noire dans le Golfe du Mexique, crise de la zone euro, secousses sur les marchés financiers. Depuis le début 2010, les catastrophes se suivent et focalisent toutes les attentions. A tour de rôle, elles font la une des médias, inquiètent, effraient, puis finissent par se faire oublier, pour peu qu’un nouveau drame vienne prendre leur place sur le devant de la scène. Ainsi va la vie et il ne servirait à rien de s’en plaindre. Pourtant, si les crises passent et s’oublient, elles laissent toujours des traces plus ou moins douloureuses. Dans le cas des catastrophes naturelles, humanitaires ou écologiques, ces traces sont évidemment plus dramatiques que lors des crises économiques. Cependant, s’il est possible de mettre un point final géographique et temporel aux premières, les secondes sont beaucoup plus difficilement maîtrisables. Ainsi, il est clair qu’après onze ans d’erreurs de gouvernance économique et monétaire et quatre mois d’atermoiements qui ont mis le feu au chaudron eurolandais, le plan de sauvetage décidé le 9 mai est enfin venu éteindre l’incendie. Comme nous l’expliquions dans notre « Réaction » du 10 mai, il a effectivement permis de montrer au monde que les dirigeants eurolandais étaient convaincus de la nécessité de pérenniser la zone euro et surtout d’en faire une terre de croissance soutenue. Les deux maîtres-mot de ce plan sont donc bien « solidarité » et « efficacité ».
Le problème est que, vu l’ampleur des dégâts, la confiance est très difficile à restaurer. Et ce, d’autant que les déclarations sans lendemain des dirigeants eurolandais depuis des années font pléthore. Ainsi, dans l’article 2 du Traité de Maastricht, n’est-il pas indiqué que l’Union doit « promouvoir un développement harmonieux et équilibré des activités économiques dans l’ensemble de
Pis, la dégénérescence de la situation européenne avant le 9 mai a remis en scelle les bearish (c’est-à-dire les Cassandre des marchés boursiers) qui, après de multiples tentatives de retour en 2009, s’étaient finalement résignés à retourner dans leurs pénates. Seulement voilà, c’était sans compter la confusion, le manque de réactivité et le dogmatisme des dirigeants politiques et monétaires eurolandais. Si bien qu’aujourd’hui, en dépit du sauvetage indubitable de la zone euro, les bear market sont redevenus à la mode. Pour les faire fuir une nouvelle fois, il n’y a donc qu’une seule solution : le retour de la croissance. En effet, si les tenants du « krach de 2009 pire que 1929 » ont perdu l’an passé, c’est uniquement parce que la croissance mondiale est revenue vers les 4 % dès le début 2010. Si les Cassandre se sont tus lors des craintes de faillite de Dubaï c’est parce que le grand frère Abu Dhabi a été présent et a su montrer qu’il sauverait Dubaï grâce à sa croissance. Enfin, si les bearish sont revenus sur les marchés avec la crise grecque, c’est parce que la zone euro n’a pas su faire preuve de solidarité et surtout n’a pas su réaliser une croissance suffisamment forte, ne serait-ce que pour rembourser les intérêts de la dette publique.
Ainsi, au-delà du plan de sauvetage de la zone euro, les dirigeants eurolandais doivent surtout confirmer que tout sera fait pour restaurer une croissance forte dans les prochains mois. Pour y parvenir et compte tenu de la nécessité de réduire leurs déficits publics, ils peuvent seulement compter sur une politique monétaire encore plus accommodante. La marge de manœuvre sur les taux directeurs étant réduite, la seule arme reste donc la dépréciation de l’euro/dollar. Aussi, en reculant très prochainement sous les 1,20 dollar, celui-ci permettra à la croissance de revenir vers les 2 à 2,5 % d’ici 2011. La croissance en valeur (c’est-à-dire augmentée de l’inflation) avoisinera les 4 %, soit environ 0,5 point de plus que la charge d’intérêts de la dette publique. La crise de la dette sera alors en voie de résorption et la zone euro sauvée pour au moins quelques années.
Le seul bémol de ce scénario favorable et, selon nous, fort probable, réside dans le fait qu’il ne se dénoue qu’à partir de la fin 2010, voire du début 2011. Or, six mois c’est long. Autrement dit, il ne faut surtout pas que les dirigeants eurolandais déçoivent d’ici là. En fait, l’idéal serait tout simplement que la pression mondiale exercée depuis quelques mois sur la zone euro se réduise progressivement, de manière à dépassionner le débat. Ce qui permettra à la fois d’engager les réformes annoncées et d’éviter de nouveaux mouvements sociaux et de nouvelles vagues spéculatives. Cette prise de recul est d’autant plus nécessaire que les bear market rodent de nouveau et sont prêts à toutes les rumeurs pour retrouver l’ascendant.
La question est donc simple : comment éloigner le spectre de la crise et détourner le prisme médiatique mondial des dirigeants de la zone euro ? Dans une dictature, la réponse aurait été simple, mais comme fort heureusement, nous sommes en démocratie, la seule solution réside dans la réalisation d’un évènement international encore plus fort que les vicissitudes de la zone euro et qui permette enfin de penser à autre chose. Une catastrophe géopolitique n’est évidemment pas souhaitable, non seulement pour des raisons humanitaires, mais aussi parce qu’elle ne ferait que mettre de l’huile sur le feu. Non, le seul évènement qui puisse nous éloigner durablement de la psychose de la crise est forcément sportif pour ne pas dire festif. Et cela tombe bien, car dans moins d’un mois la coupe du monde de football va commencer, occupant les esprits et s’imposant sur la scène médiatique internationale. Les buts, les cartons jaunes, les « ola » et autres coups francs vont donc pouvoir remplacer les déficits publics, la charge d’intérêt de la dette, les déclarations peu amènes d’Angela Merkel ou encore les « méchants spéculateurs ». En trois mots : Vivement le Mondial ! En espérant simplement que les résultats sportifs ne seront pas à l’aune de la réalité économique et que les pays de la zone euro ne seront pas laminés par les pays dits émergents…
Marc Touati