Grèce, France, Australie, Brésil : le monde change (E&S n°124)

 

Humeur :

Et pendant ce temps, le volcan grec bouillonne…


Alors que l’opinion publique européenne s’est focalisée pendant une semaine sur le volcan islandais et sur son nuage de cendres qui a bloqué le ciel d’Europe au nom du sacro-saint principe de précaution, un autre volcan, peut-être encore beaucoup plus dangereux, a continué de monter en puissance. Il s’agit bien entendu du volcan grec qui, en dépit de l’aide annoncée des pays de la zone euro, semble avoir désormais atteint un point de non retour.

En effet, en ayant accepté de consentir à la Grèce, en cas de besoin, un prêt exceptionnel de 30 milliards d’euros à un taux d’au moins 5 %, les dirigeants de la zone euro ont implicitement indiqué aux marchés que leurs craintes étaient justifiées. Et pour cause : prêter à la Grèce à un taux de 5 %, alors que les taux dix ans de nombreux pays eurolandais oscillent entre 3 et 3,5 % revient à avouer que le risque de défaillance sur les obligations de l’Etat grec n’est pas une simple spéculation mais une réalité. Et ce, d’autant que de 2001 à 2008, c’est-à-dire depuis l’entrée de la Grèce dans la zone euro jusqu’à la crise de 2008 et le début des suspicions sur les comptes publics grecs, le différentiel de taux dix ans entre la Grèce et l’Allemagne évoluait entre 0,1 et 0,4 point.

La faiblesse de ce spread de taux était d’ailleurs logique, puisqu’elle correspondait à l’espoir que la zone euro deviendrait une entité unifiée au sein de laquelle la solidarité entre les pays serait inébranlable. La situation actuelle est évidemment bien différente puisqu’elle montre que, bien loin du principe de solidarité, les pays de la zone euro acceptent de prêter à la Grèce si et seulement si cette dernière leur reverse une prime de risque conséquente. Autrement dit, au-delà de valider les craintes des marchés sur la dette grecque, la décision des dirigeants eurolandais sur le prêt potentiel de 30 milliards confirme aux yeux du monde que la zone euro n’est plus cet havre de stabilité et de solidarité prévu initialement. Pis, les déclarations acerbes de certains pays et notamment des autorités allemandes montrent qu’un jeu non-coopératif est en train de s’installer, remplaçant les soutiens par les sanctions.

La réaction des marchés ne s’est évidemment pas faite attendre, puisque le taux dix ans des obligations de l’Etat grec a continué de flamber, jusqu’à dépasser les 8,95 % le 23 avril. Un niveau qui devient à la fois surréaliste et extrêmement dangereux. A titre de comparaison, le taux des obligations à dix ans de la Thaïlande, qui affiche certes une dette publique de « seulement » 50 % du PIB, mais qui est aussi dans une situation politique extrêmement délicate, n’est que de 3,6 %. Au Pérou, ce taux est de 5,9 %. Plus proche de nous géographiquement, le taux d’intérêt des obligations à dix ans de la Hongrie est de 6,4 %. Quant au Portugal, prochain pays de la zone euro sur la liste rouge du dérapage de la dette publique, le taux dix ans de ses obligations d’Etat est de « seulement » 4,7 %.

Autrement dit, il y a bien un acharnement des marchés, mais aussi des dirigeants eurolandais, sans oublier le FMI et la BCE sur cette pauvre Grèce. Et plus le temps passe, plus les taux d’intérêt augmentent, plus la récession s’aggrave et plus les déficits deviennent explosifs. Si bien que la situation grecque est devenue inextricable. En effet, si la Grèce obéit aux injonctions de ses partenaires de la zone euro qui veulent lui imposer une hausse des impôts et une baisse des dépenses publiques, la récession va empirer et la crise sociale, débutée il y a un an, va vraiment dégénérer. Il paraît donc peu probable que le gouvernement grec prenne le risque d’engager le pays dans une situation où seule l’armée pourra maintenir le calme. Pour autant, si les mesures exigées ne sont pas appliquées, les taux d’intérêt continueront de flamber et le soutien des pays de la zone euro se fera de plus en plus discret, mettant définitivement la Grèce au pied du mur.

Face à ce dilemme cornélien, de plus en plus d’investisseurs commencent à choisir leur camp. Ainsi, une rumeur s’installe progressivement sur les marchés : la Grèce va utiliser au maximum les « aides » ou plutôt la carte de crédit à taux élevés proposée par la zone euro en laissant croire qu’elle engagera rapidement une politique de rigueur sans précédent. Puis, devant la pression de la rue, elle refusera de mettre en pratique cette politique suicidaire et se mettra sous la protection du FMI. Ce dernier sera alors chargé de négocier un rééchelonnement voire un moratoire de la dette avec les créanciers de la Grèce, en vertu de l’argument déjà maintes fois utilisé pour de nombreux pays émergents : mieux vaut récupérer une partie des créances et que de faire une croix sur leur totalité.

Cette situation n’imposera pas dans un premier temps de sortie de la zone euro mais obligera la Grèce à instaurer un contrôle des changes actif. Lorsque l’on sait que la banque centrale grecque a recensé plus de 10 milliards d’euros d’expatriation de capitaux grecs sur les seuls deux premiers mois de l’année 2010, il y a effectivement de quoi s’inquiéter. D’où une dernière issue possible : le retour de la Drachme, avec forte dévaluation à la clé, augmentation de l’inflation, donc remboursement de la dette publique en monnaie de singe et redémarrage progressif de la croissance.

Si ce cas de figure paraissait inimaginable au plus grand nombre il y a encore quelques mois, voire quelques semaines, sa probabilité va croissante et sa crédibilité se répand encore plus rapidement qu’un nuage de cendres à travers l’Europe. Nous nous retrouvons donc dans une situation analogue à celle du Royaume-Uni en 1992 ou de l’Argentine en 2000. A chaque fois, l’impensable est devenu réalité. En effet, la sortie de la livre sterling du SME et la fin du peg 1 peso = 1 dollar paraissaient inimaginables. Pourtant, devant la réalité économique et sociale d’une récession dramatique, la nécessité d’un remède de cheval s’est logiquement imposée. La bonne nouvelle est qu’une fois la pilule avalée, la croissance est revenue durablement.

C’est malheureusement ce qu’ont oublié les dirigeants politiques et monétaires de la zone euro depuis plus de dix ans : il ne sert à rien de vouloir imposer un euro fort, un taux refi trop élevé, une inflation inférieure à 2 %, un magma de réglementations inutiles ou encore de refuser une harmonisation des conditions fiscales et réglementaires, ainsi qu’une plus grande efficacité budgétaire. Tôt ou tard, la réalité économique reprend le dessus et la facture des erreurs du passé doit être réglée avec pertes et fracas…

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

France : la crise est enfin digérée, mais…


Enfin ! Après un an de rebond fragile, signe d’une reprise économique molle, le climat des affaires en France commence à véritablement décoller. Ainsi, que ce soit dans l’industrie, les services, le commerce de détail et le bâtiment, tous les indicateurs avancés de l’activité hexagonale enregistrent une nette augmentation en avril (seul le bâtiment manque à l’appel avec une petite hausse d’un point). Les hausses les plus marquantes sont enregistrées dans l’industrie et les services.

L’indice du climat affaires progresse même de six points dans ce dernier secteur. Avec un niveau de 98 en avril, il n’est plus qu’à deux points de sa moyenne de long terme. Mieux, les plus fortes améliorations sont enregistrées sur le front des perspectives de demande et d’emploi. Ce dynamisme retrouvé est d’ailleurs corroboré par l’indice synthétique de l’enquête des directeurs d’achat dans les services qui progresse de 4 points, à 57,8. Autrement dit, il est d’ores et déjà possible de dire que les services retrouvent aujourd’hui leur santé d’avant crise.

Cette embellie s’observe également dans l’industrie manufacturière. Cette fois-ci, l’indicateur synthétique augmente de 4 points sur le mois d’avril, ce qui, avec un niveau de 97, lui permet de se situer à seulement 3 points de sa moyenne de long terme. Surtout, avec un niveau de + 8 (soit une progression de 11 points sur un mois), l’indice des perspectives générales de production atteint un plus haut depuis août 2007. A l’époque, la croissance du PIB culminait à 2,5 %.

Un climat des affaires favorable sans être euphorique.

Sources : INSEE, Datastream

Seul bémol, les carnets de commandes étrangers ont légèrement baissé en avril, confirmant que l’industrie française profite peu du rebond international, notamment parce que ses principaux clients sont dans la zone euro, qui demeure encore le parent pauvre de la croissance mondiale. A l’inverse, les carnets de commandes globaux continuent de progresser, confirmant par là même que la demande nationale poursuit son amélioration. Et ce, en particulier dans le secteur automobile.

 


Croissance française : vers 1,5 % en 2010 et 2 % en 2011.

Sources : INSEE, Bloomberg, Datastream

Enfin, cerise sur le gâteau, le climat des affaires dans le commerce de détail a bondi de 7 points en avril, dépassant de 5 points sa moyenne de long terme. De quoi rappeler que, les ménages français vont continuer de consommer massivement.

C’est d’ailleurs ce que confirme l’évolution de la consommation en produits manufacturés en mars. En effet, après deux mois de baisse, cette dernière a progressé de 1,2 %, une fois de plus tirée par le secteur automobile, dans le sillage du prolongement des promotions proposées par les concessionnaires.

Pour autant, à l’image de l’ensemble de l’économie française, la reprise de la consommation reste fragile. Ainsi, il faut noter qu’en dépit de la hausse de mars et compte tenu de la forte baisse des deux mois précédents, la consommation en produits manufacturés chute de 1,9 % sur l’ensemble du premier trimestre.

Ce résultat est évidemment de mauvais augure pour la croissance du PIB du premier trimestre qui sera connue le 12 mai. Dans le meilleur des cas, celle-ci devrait atteindre 0,4 %, montrant par la même que la croissance forte est toujours hors de portée.

En outre, il faut également noter que la résistance de la consommation tient à une épargne très élevée dans laquelle les Français ont déjà commencé à puiser, utilisant ainsi leurs dernières cartouches. Enfin, la résistance de la consommation tient aussi à la faiblesse des taux d’intérêt. Dès lors, la remontée de ces derniers au plus tard à partir de l’automne prochain devrait grever quelque peu la consommation.

L’économie française restera donc tirée par la consommation, mais à un rythme mou, qui ne permettra pas de compenser la baisse du PIB enregistrée l’an passé.


La consommation retrouve des couleurs.

Source : INSEE, Datastream


En conclusion, l’activité économique française a enfin digéré les affres de la crise et se dirige désormais vers une croissance appréciable. Pour autant, ne rêvons pas, nous sommes en France, c’est-à-dire dans un pays où la croissance structurelle oscille autour de 1,5 %. Dans ce cadre, compte tenu des améliorations évoquées précédemment, mais aussi des dangers persistants (notamment en matière d’évolution des cours des matières premières et de stabilité de la zone euro), la croissance française devrait atteindre 1,5 % en 2010.

Pour 2011, en espérant que l’euro continuera de baisser et qu’une solution « à l’amiable » sera trouvée à la crise grecque, la croissance hexagonale pourrait atteindre 2 %. Tout cela est donc très positif, mais montre néanmoins que la croissance forte n’est pas pour demain.…

Marc Touati

 



La météo économique de la semaine écoulée :

 

 


Les Marchés :

Australie, Brésil, Canada : le nouvel ABC des marchés (1ère partie)


Qu’on le veuille ou non, la crise financière de 2008-2009 a définitivement modifié le rapport de forces au sein de la planète économique. Tout d’abord, comme nous l’expliquions la semaine dernière, elle a sacré la Chine comme la grande gagnante économique, financière et politique. Ensuite, elle a montré qu’en dépit d’une perte de vitesse, l’économie américaine reste toujours beaucoup plus réactive que celle de la zone euro, qui est d’ailleurs la grande perdante de cette crise. Et, vu la déliquescence de la situation grecque, cette régression de la zone euro dans le concert des Nations n’est malheureusement pas terminée.

Enfin, même si le sujet est encore peu abordé, la crise a fait apparaître certains pays comme de nouveaux « grands » sur lesquels il va falloir de plus en plus compter au cours des prochaines années. Hasard de la sémantique et alors que l’Europe reste plombée par ses PIGS (Portugal, Italy, Greece, Spain), ces nouveaux pays forts sont en train de devenir le nouvel ABC des marchés et de la croissance mondiale : Australie, Brésil, Canada.

Dans le sillage du dynamisme chinois, l’Australie est ainsi l’un des rares pays développés à ne pas avoir connu de récession en 2009. Tout au plus son PIB a-t-il baissé de 0,9 % sur le seul quatrième trimestre 2008. Depuis, il s’est nettement rattrapé, puisqu’il a progressé de 2,7 %. Mieux, l’indice du climat des affaires de la National Australia Bank ne cesse de flamber depuis un an, indiquant qu’après avoir atteint un plancher de 0,8 % au premier trimestre 2009, le glissement annuel du PIB australien devrait dépasser les 4 % sans difficulté dans les prochains trimestres.

L’Australie sur un nuage de croissance.

Sources : NAB, ABS, Bloomberg

Autrement dit, non seulement l’Australie est passée au travers de la crise, mais, en plus, elle est déjà sur le chemin de la croissance forte. Certains pourraient conclure hâtivement que ce rebond est uniquement dû à la remontée des cours des matières premières. Il n’en est rien. S’il est clair que le renchérissement de ces dernières a joué positivement sur le PIB australien, il ne faut pas oublier que la part de l’agriculture dans celui-ci n’est que de 4 %, contre 26 % pour l’industrie et 70 % pour les services.

De même, s’il est vrai que la Chine représente 15 % des exportations de l’Australie et tire donc mécaniquement ces dernières, le véritable moteur de la croissance australienne réside dans la dynamique de sa demande intérieure. Ainsi, la consommation des ménages a augmenté de 2,7 % en 2009 et n’a pas enregistré un seul trimestre de baisse depuis le troisième trimestre 1993. Parallèlement, en dépit d’une légère baisse au quatrième trimestre 2008 et au premier de 2009, l’investissement a retrouvé le chemin de la hausse dès le deuxième trimestre 2009 et a même atteint un nouveau sommet historique au quatrième. Il représente désormais 30,5 % du PIB australien.

Devant cette croissance soutenue et équilibrée, le dollar australien est alors devenu une sorte de valeur refuge. Ainsi, après avoir atteint un sommet historique face au dollar américain en juillet 2008, puis baissé fortement jusqu’à la fin 2009, le dollar australien revient aujourd’hui vers ses sommets d’avant-crise.

Le dollar australien, superstar.