Etats-Unis, France, Zone euro : Croissance ou hausses d’impôts ? (E&S n°122)

Humeur :

France : l’impôt qui va faire déborder le vase.


Les années passent, les gouvernements changent, mais malheureusement, les erreurs restent les mêmes. Ainsi, depuis plus de trente ans, les dirigeants politiques de l’Hexagone essaient toujours de résoudre les problèmes économiques et financiers de la France par la même mesure : l’augmentation des impôts. A chaque fois, c’est la même ritournelle : on crée un impôt, souvent présenté comme temporaire, pour colmater une brèche, mais le « temporaire » devient du « permanent » et de nouvelles brèches apparaissent.

Ce n’est d’ailleurs pas étonnant que la France ait souvent été l’instigatrice de nouveaux impôts, qui furent ensuite exportés à travers le monde. Le plus célèbre est évidemment la Taxe sur la Valeur Ajoutée. Créée en 1954 par Maurice Lauré uniquement pour les grandes entreprises, elle fut très vite appliquée au Commerce de détail en 1966 par Valéry Giscard d’Estaing, alors Ministre des Finances. La TVA devient alors une « vache à lait » pour les finances publiques françaises, dans la mesure où elle constitue un impôt indolore car directement appliqué au prix des produits achetés. Elle constitue ainsi l’impôt le plus lucratif, mais aussi le plus inégalitaire puisqu’il est payé de la même façon quels que soient les revenus. Mais peu importe, la recette est trop bonne et le taux de TVA va être constamment augmenté : initialement fixé à 17,6 %, son taux normal va donc passer à 18,6 % le 1er avril 1991, puis 20,6 % à compter du 1er août 1995. Seule exception à la règle du « toujours plus d’impôt », ce taux va redescendre à 19,6 % le 1er avril 2000, tout en restant néanmoins l’un des plus élevés du monde.

Mais l’inventivité de l’administration fiscale ne s’est évidemment pas limitée à la TVA. Ainsi, la TIPP (taxe intérieure sur les produits pétroliers), les cotisations exceptionnelles sur les alcools et tabacs, les taxes sur les assurances, sur l’immobilier, sur le patrimoine et autre ISF ont alimenté les comptes publics depuis des années. Mieux, ou plutôt pire, deux impôts déterminants vont être créés dans les années 1990 pour combler le trou de la Sécurité Sociale. A chaque fois, le discours et les bonnes intentions sont les mêmes : l’impôt est temporaire et sera supprimé dès que les comptes sociaux seront assainis. « Et mon œil ? » pourrait-on dire trivialement. Car ces deux impôts sont la CSG, créée par le gouvernement Rocard en novembre 1991, puis la CRDS en 1996 par le gouvernement Juppé. Dans les deux cas, la recette de l’impôt est encore plus « formidable » que d’habitude puisque son assiette concerne tous les revenus et qu’il est directement prélevé à la source. Et là encore, le « temporaire » va devenir du « définitif ».

De plus, la CSG-Rocard et la CRDS-Juppé confirment, s’il en était besoin, que la volonté d’augmenter les impôts en France dépasse les clivages politiques. Elle est en fait ancrée dans les gênes de nos dirigeants politiques et de nos hauts-fonctionnaires, pour qui la résolution d’un déficit ne peut pas passer par une baisse des dépenses, mais uniquement par une augmentation des impôts. Ce comportement à sens unique est tel que l’on dénombre aujourd’hui plus de 215 impôts et taxes dans notre douce France, qui est d’ailleurs logiquement devenue l’un des pays au monde où la pression fiscale est la plus forte.

Mais ce n’est pas tout, car même lorsque nos dirigeants annoncent des baisses d’impôts, ces derniers continuent d’augmenter. Ce fut par exemple le cas avec le deuxième mandat de Jacques Chirac, au cours duquel une baisse des taux d’imposition sur le revenu a certes été pratiquée, mais a été plus que compensée par l’augmentation des impôts locaux. Plus dernièrement, la vraie-fausse suppression de la taxe professionnelle (TP) nous a encore montré que le marketing fiscal français était particulièrement puissant, puisque cette taxe a déjà été remplacée par la Contribution économique territoriale (CET). Et parce que la fiscalité française n’est pas assez complexe, ce nouvel impôt sera composé de deux taxes : la Cotisation Locale d’Activité (CLA) assise sur les bases foncières et la cotisation complémentaire (CC) assise sur la valeur ajoutée. Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué ? Toujours est il que de tels artifices vont finalement obliger de nombreuses entreprises de services en France à payer plus de CET que de TP. Nous retrouvons donc la vieille recette appliquée depuis plus de trente ans dans l’Hexagone : baisser ou supprimer un impôt, mais faire en sorte qu’il soit plus que compensé par la création et/ou l’augmentation d’autres impôts.

Et ce n’est pas encore terminé, car, plutôt que d’essayer de faire avaler l’ensemble de ces pilules en restaurant un minimum de confiance, donc de croissance, le gouvernement français est sur le point de créer encore un nouvel impôt pour financer le « trou de la retraite par répartition ». Et ce tout en limitant une partie des niches fiscales. Le message est donc clair : Nicolas Sarkozy n’a pas été élu pour augmenter les impôts, mais le gouvernement Fillon va le faire. Ce dernier ne s’en cache d’ailleurs pas, puisqu’il annonce que le taux de prélèvements obligatoires sera augmenté de 2 points de PIB d’ici 2013 à 43 %. Madame Lagarde a beau rappeler que ceci est dû à la fin des mesures fiscales de relance, cela ne change rien. Car si l’on anticipe que le PIB français va augmenter de 2,8 % en valeur par an d’ici 2013, l’augmentation du taux de prélèvements obligatoires signifie bien que ces derniers vont croître beaucoup plus que le PIB.

Et c’est cela qui est inacceptable : car l’augmentation d’une pression fiscale qui est déjà l’une des plus élevées du monde va mécaniquement casser la croissance. Pis, elle risque d’inciter certaines personnes physiques et morales à franchir le pas de la délocalisation. « Manque de patriotisme » diront certains. Peut-être. Mais, dans un monde ouvert, on ne peut pas se voiler la face en pensant qu’une aggravation et une complexification permanente des impôts depuis trente ans seront constamment acceptées sans rechigner. En vertu de l’adage historiquement vérifié du « trop d’impôt tue l’impôt »; il est donc à craindre que la nouvelle hausse de la fiscalité en France réduira l’assiette fiscale et par là même les recettes de l’Etat. De ce fait, elle finira par accroître le déficit public, donc la dette, puis les taux d’intérêt, ce qui ne manquera pas d’affaiblir la croissance, donc d’aggraver encore le chômage et le déficit… et le cercle pernicieux continuera jusqu’à ce que les dirigeants français comprennent enfin que la France sera bientôt aussi menacée que la Grèce par la crise de la dette publique.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

Croissance 2010 : plus de 3 % aux Etats-Unis; 1,5 % en France et dans la zone euro.


Après déjà six mois de redémarrage, l’économie américaine continue sur sa lancée. Les dernières enquêtes des directeurs d’achat dans l’industrie et les services sont d’ailleurs formelles : une croissance de 3 % en 2010 constitue désormais un plancher.

Croissance américaine : après les 3 %, les 4 % sont déjà dans le viseur.

Sources : BEA, ISM, Bloomberg

Comme le montre le graphique ci-dessus, l’indice ISM dans l’industrie manufacturière est même en phase avec un glissement annuel du PIB supérieure à 5 % et l’indice ISM non-manufacturier avec un niveau de 4 %.

Mieux, en dépit d’une petite baisse corrective dans l’industrie, les perspectives d’emploi sont au beau fixe et montrent que le glissement annuel de l’emploi devrait dépasser les + 1 % à l’horizon de l’automne prochain. Pour atteindre un tel niveau, la job machine américaine devrait ainsi créer près 1,5 million d’emplois nets d’ici octobre prochain. La baisse du chômage amorcée depuis novembre dernier devrait donc se prolonger et même s’intensifier dans les prochains mois, le taux de chômage avoisinant les 9 % fin 2010.

Les créations d’emplois vont s’intensifier.

Sources : BLS, ISM, Bloomberg

Autrement dit, l’économie américaine est bien repartie sur la route d’une croissance durable et soutenue, accompagnée d’une baisse conséquente du chômage. Et ce, avant même de bénéficier de la relance 2010 de 450 milliards de dollars d’investissements publics. La surchauffe est donc déjà au coin de la rue, ce qui imposera à la Réserve fédérale américaine d’augmenter son taux objectif des federal funds dès l’été prochain. Ce resserrement monétaire restera néanmoins mesuré (pas plus de 1,5 % à l’horizon du début 2011), de manière à permettre à la croissance américaine de se stabiliser entre 3 % et 4 %.

Bien loin de cette dynamique, la zone euro devra, comme d’habitude, se contenter d’une croissance molle. Certes, les indicateurs des directeurs d’achat dans l’industrie et dans les services continuent de progresser. Néanmoins, les niveaux actuellement atteints montrent que la croissance de la zone euro devrait écrêter autour des 2 % d’ici l’automne et avoisiner les 1,5 % sur l’ensemble de l’année 2010.

Zone euro : 1,5 % de croissance, pas beaucoup plus.

Sources : Eurostat, Bloomberg

La stagnation de la production industrielle en février tant en Allemagne qu’en France montre d’ailleurs que la situation reste encore très fragile.

Et oui, encore un zéro pointé pour l’industrie française. Ainsi, après avoir logiquement rebondi en janvier de 1,1 %, notamment grâce à la poursuite des effets de la prime à la casse, la production industrielle hexagonale a déjà retrouvé le chemin de la stagnation. Et ce, en dépit des bons résultats de l’enquête INSEE dans l’industrie du même mois. Autrement dit, les chefs d’entreprise industrielle veulent encore y croire, mais les résultats effectifs ne sont pas à l’aune de leurs espoirs.

Certes, ce n’est pas non plus la bérézina. Ainsi, en dépit de cette stagnation de février, la production industrielle affiche un acquis de croissance de 1,2 % pour le premier trimestre 2010 par rapport au quatrième trimestre 2009.

Dès lors, même si la production enregistre une nouvelle stagnation en mars, sa variation trimestrielle laisse anticiper une croissance du PIB soutenue pour le premier trimestre. Selon nos estimations, cette dernière devrait avoisiner les 0,4 %. De quoi permettre à la croissance française d’atteindre sans trop de difficulté les 1,5 % sur l’ensemble de l’année 2010.

France : une industrie toujours convalescente.

Comparativement à la récession de 2009, la France a donc bien sorti la tête de l’eau. Pour autant, il ne faut pas se voiler la face : une croissance de 1,5 % en 2010 reste largement insuffisante pour permettre une forte baisse du chômage. Elle apparaît d’autant plus décevante qu’elle s’accompagnera d’un déficit d’au moins 8 % du PIB.

De quoi rappeler qu’en France, le dixième de point de croissance coûte particulièrement cher en termes de finances publiques. D’où la tentation, pour ne pas dire la maladie, de vouloir constamment augmenter les impôts (cf. l’Humeur). Ce qui ne revient finalement qu’à affaiblir la croissance, donc à aggraver les déficits publics…

Et c’est bien là que réside le problème essentiel de l’économie française. Certes, la reprise est là, mais elle reste sous perfusion publique et particulièrement molle. Ainsi, la nouvelle baisse de 1,6 % de la production de biens d’équipement en février, soit un glissement annuel de – 0,6 %, montre que l’investissement reste faiblard, freinant par là même le retour des créations d’emplois.

En d’autres termes, le cercle vertueux de croissance « investissement-emploi-consommation » est toujours loin d’être d’actualité. Il faut s’habituer à vivoter avec une croissance molle et un emploi moribond au moins jusqu’en 2012.

 

Marc Touati

 



La météo économique de la semaine écoulée :

 

 



 


Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :

 

Rappel de nos prévisions économiques et financières

 

Pour visualiser les tableaux et les graphiques, merci de consulter le fichier pdf.