Humeur :
France : la démagogie triomphe encore…
Après la recherche de boucs-émissaires que nous explicitions la semaine dernière dans cette même rubrique, la France vient de franchir une nouvelle étape dans sa quête démagogique de déresponsabilisation. Ainsi, après les méchants spéculateurs, puis les vilains chefs d’entreprise qui n’hésitent pas à délocaliser, c’est désormais l’Allemagne qui est coupable de tous nos maux. C’est du moins ce que défend la ministre de l’économie Christine Lagarde qui, bien loin de son professionnalisme habituel, s’est lancée dans un dénigrement en règle de la stratégie économique allemande. Et ce, alors que la crise grecque et plus globalement celle de la zone euro, sont loin d’être terminées. A croire que la France a véritablement envie de mettre de l’huile sur le feu. Le discours défendu par notre ministre est simple : en décidant de moderniser son appareil productif, l’Allemagne a retrouvé une forte compétitivité à l’export, mais a sacrifié sa demande intérieure. Dans la mesure où cette dernière est devenue structurellement faible, les importations allemandes de produits fabriqués par ses partenaires eurolandais et notamment français se sont taries, ce qui a alimenté la croissance molle de l’ensemble de la zone euro.
Certes, le constat ainsi établi est en partie vrai. En effet, après la grave récession de 2003 et devant la baisse de sa population depuis 2005, les différents gouvernements allemands, sociaux démocrates comme chrétiens libéraux, ont engagé leur pays sur la voie d’une profonde réforme, ou plutôt d’une rupture, pour reprendre une terminologie chère à Nicolas Sarkozy, du moins pendant sa campagne présidentielle. Les mesures prises ont effectivement été draconiennes : gel des retraites, gel des salaires, baisse de l’impôt sur les sociétés de 35 % à 20 %, réduction des charges sociales, augmentation du taux de TVA de 16 à 19 %, fluidification du marché du travail, réduction des contraintes règlementaires pour les entreprises et les ménages, baisse des dépenses publiques. Autant de décisions qui ont radicalement transformé et modernisé l’économie allemande.
Mais ce n’est pas tout. Car, si les entreprises allemandes réussissent à exporter en dépit d’un contexte concurrentiel de plus en plus difficile et d’un euro trop fort, c’est aussi parce qu’elles ont su mettre en œuvre des stratégies offensives. Des stratégies tournées vers des niches, vers l’innovation et la qualité des produits. Ainsi, très tôt, les entreprises allemandes se sont spécialisés sur les biens d’équipement, qui représentent plus de 50 % de leurs exportations, contre seulement 22 % pour celles de la France. De même, alors que la plupart des pays eurolandais se sont contentés de chercher des marchés étrangers à l’intérieur de la zone euro, les entreprises allemandes ont très vite décidé de gagner des parts de marché dans le monde émergent, notamment en Europe de l’Est et surtout en Asie. Et cela tombe bien, puisque les terres les plus dynamiques sont justement ces dernières, alors que la zone euro affiche les plus mauvaises performances de croissance depuis dix ans. En d’autres termes, si les différents gouvernements français avaient eu le courage d’engager les réformes allemandes et si la population et les partenaires sociaux hexagonaux les avaient acceptées avec le même goût du sacrifice et du devoir que leurs homologues d’outre-Rhin, la France serait certainement au moins aussi compétitive que l’Allemagne.
Mais bien loin de ces réformes, de ce courage et de cette volonté, la France a continué d’augmenter ses dépenses publiques, sa pression fiscale et ses rigidités réglementaires. Bien sûr, certaines réformettes ont été pratiquées ici ou là, histoire de faire bonne figure, mais les chiffres sont sans appel : de 2001 à 2009, la croissance annuelle moyenne française a été de 1,1 %, son déficit extérieur cumulé de 189 milliards d’euros. Dans le même temps, ses déficits publics ont atteint 3,9 % du PIB en moyenne chaque année, soit un total de près de 550 milliards d’euros. Enfin, sa dette publique est passée de 57 % du PIB en 2001 à près de 80 % en 2009, soit un niveau actuel supérieur à 1 500 milliards d’euros.
Si le résultat allemand est encore plus dramatique en matière de croissance (seulement 0,5 % en moyenne par an de 2001 à 2009, notamment à cause d’une récession de 5 % l’an passé, contre 2,2 % en France) et identique en terme de dette publique, l’Allemagne affiche des performances bien plus honorables sur les autres fronts. A savoir, un déficit public moyen de 2,5 %, avec deux années de quasi-équilibre en 2007 et 2008, et, surtout, un excédent commercial cumulé de 1 340 milliards d’euros sur les neuf dernières années. Bien sûr, une partie de cet excédent colossal est lié à la faiblesse de la demande intérieure que la France aimerait tellement voir plus soutenue, ce qui devrait, soi-disant, relancer ses exportations. Encore faudrait-il que ces dernières soient compétitives. Pour autant, il ne faut pas oublier deux points. D’une part, la faiblesse de la demande intérieure allemande est structurelle car liée à la baisse de la population. D’autre part, ce sont les Allemands qui ont démocratiquement choisi de sacrifier temporairement leur demande intérieure pour réussir à moderniser leur économie. Les critiquer pour ce choix douloureux mais salutaire constitue donc une ingérence particulièrement déplacée. Surtout en provenance de France, qui depuis plus de trente ans, a préféré le laxisme et le dogmatisme à la rigueur et au pragmatisme. Lorsque la France critique l’Allemagne pour sa stratégie c’est donc un peu comme si un aveugle conseillait un borgne sur le chemin à suivre ou comme si la cigale faisait des remontrances à la fourmi… A la rigueur, le seul grief valable à l’égard de l’Allemagne réside dans sa lutte maladive contre l’inflation et dans sa quête effrénée d’un euro fort. Pour autant, il faut arrêter de vouloir se déresponsabiliser et de chercher des coupables à nos maux partout, sauf en France. Malheureusement, il faut reconnaître que ce comportement est un peu structurel dans l’Hexagone. Et ce, notamment parce que la culture économique y est très faible et souvent politisée dans le mauvais sens du terme.
Une nouvelle preuve vient d’ailleurs de nous en être donnée au travers des résultats du premier tour des élections régionales. En effet, alors que la quasi-totalité des Présidents sortants de région ont augmenté les dépenses et surtout les impôts, leurs administrés ont continué de voter massivement pour eux. Autrement dit, indépendamment des clivages politiques, les Français semblent persuadés que seule l’augmentation des dépenses publiques et de la pression fiscale permettra à la France de sortir de cette crise. Or, c’est exactement le contraire qu’essaie de mettre en œuvre l’Allemagne à juste titre depuis dix ans. C’est d’ailleurs là que réside le risque principal pour l’avenir de la zone euro. En effet, l’écart se creuse entre la volonté de réforme de l’Allemagne et celle de la fuite en avant favorisée dans de nombreux pays de la zone euro, y compris en France. Dès lors, compte tenu de ce décalage durable, l’Allemagne risque d’en avoir assez de payer pour les erreurs des autres. N’oublions pas que la construction européenne a principalement progressé grâce à la volonté franco-allemande. Si ce couple bas de l’aile ou si la France continue d’attaquer injustement l’Allemagne, cette dernière pourrait bien être tentée de jeter l’éponge. Et si, finalement, le premier pays à sortir de la zone euro n’était pas la Grèce, mais l’Allemagne…
Marc Touati
Quid de l’économie cette semaine ?
Etats-Unis : une sortie de crise sans dérapage inflationniste.
Pendant que les pays de la zone euro se querellent et s’enlisent dans la mollesse économique et le chaos politique, la caravane américaine de la croissance poursuit son chemin, sans excès et surtout sans dérapage inflationniste.
Ainsi, en dépit des conditions climatiques difficiles, en particulier dans l’Est des Etats-Unis, la production industrielle a continué de progresser en février. Avec une hausse de 0,1 % au cours de ce dernier mois, elle enregistre ainsi son huitième mois consécutif d’augmentation, soit une croissance totale de 5,5 % au cours de cette période.
La poursuite de la reprise industrielle confirme que cette dernière peut se prolonger en dépit de la fin des soutiens à l’activité automobile. Ainsi, alors que la production a baissé de 4,4 % en février dans ce secteur d’activité, elle a progressé de 0,4 % dans les biens d’équipement et de 1 % dans l’informatique-électronique.
La croissance de la production industrielle retrouve ses niveaux d’avant crise.
Sources : Federal Reserve et Datastream
Certes, le taux d’utilisation des capacités de production n’augmente que modérément, mais il progresse de façon continue depuis juillet 2009. Avec un niveau de 72,7 % en février, il retrouve même son niveau de décembre 2008. Et cette amélioration s’observe dans tous les secteurs d’activité.
Autrement dit, le redémarrage industriel est bien en train de se généraliser à l’ensemble de l’économie américaine. D’ailleurs, la poursuite de la remontée du glissement annuel de la production industrielle en février confirme que la variation annuelle du PIB américain devrait avoisiner les 3 % dès le premier trimestre 2010.
Et ce, d’autant que les indicateurs avancés des enquêtes ISM des directeurs d’achat indiquent que cette croissance soutenue va se prolonger au cours des trimestres suivants.
Une croissance du PIB à 3 % dès le premier trimestre 2010.
Sources : BEA, Federal Reserve et Datastream
Bien entendu, la rechute des mises en chantier de logements neufs et des permis de construire en février pourraient apparaître décevantes. Néanmoins, compte tenu des intempéries climatiques, leur baisse reste limitée.
D’ailleurs, avec un niveau annualisé de 575 000, les mises en chantier affichent encore une hausse de 20 % par rapport à leur plus bas d’avril 2009. De même, avec un niveau de 612 000 en février, les permis de construire réalisent une progression de 22,9 % par rapport à leur plancher d’avril 2009.
La reprise de la construction est poussive mais résistante.
Sources : BEA, Department of Commerce et Datastream
Autrement dit, même si elle reste poussive, la reprise du secteur de la construction est bien plus résistante que certains veulent le laisser penser.
En outre, le caractère progressif de la reprise économique américaine a une vertu, en l’occurrence, la faiblesse durable des pressions inflationnistes. En effet, bien loin des craintes de retour de la forte inflation, les prix à la production et à la consommation restent largement sous contrôle outre-Atlantique.
L’inflation américaine toujours largement sous contrôle…
Sources : Bureau of Labor Statistics, Datastream
Ainsi, après avoir logiquement augmenté depuis l’été 2009, en correction de la baisse des mois précédents, les prix à la consommation ont stagné en février. Après avoir atteint 2,8 % en décembre 2009, puis 2,6 % en janvier, leur glissement annuel a continué de reculer, atteignant désormais 2,3 %. Hors énergie et produits alimentaires, la faiblesse de l’inflation est encore plus visible, puisqu’en augmentant de seulement 0,1 % en février, le core CPI affiche un glissement annuel de seulement 1,3 %, un plus bas depuis février 2004.
Et cette inflation contenue devrait se prolonger dans la mesure où son indicateur avancé, en l’occurrence l’évolution des prix à la production reste également très sage.
Les prix à la production sont également sages.
Sources : Bureau of Labor Statistics, Datastream
Après quatre mois consécutifs d’augmentation, les prix à la production ont effectivement reculé de 0,6 % en février. Si leur glissement annuel demeure encore élevé à 4,7 %, c’est essentiellement via des effets de base haussiers, qui devraient s’estomper et même s’inverser dans les prochains mois.
D’ailleurs, le glissement annuel du PPIX (c’est-à-dire hors énergie et produits alimentaires) a poursuivi son mouvement de baisse amorcé en décembre dernier et atteint désormais 1 %.
En d’autres termes, l’inflation américaine a été, est et restera sous contrôle. Heureusement que la Fed et le gouvernement américain n’ont pas exagéré les risques inflationnistes, car s’ils n’avaient pas engagé leur politique de forte relance monétaire et budgétaire, les Etats-Unis se seraient certainement enlisés dans la déflation. De quoi rappeler (en particulier aux dirigeants de la BCE) que « l’ennemi public numéro un » n’est plus l’inflation mais la croissance molle et le chômage…
Marc Touati
France : il ne faut pas exagérer les risques inflationnistes.
En février 2010, les prix à la consommation ont augmenté de 0,6 %, soit leur plus forte progression mensuelle depuis mars 2008. Compte tenu d’une augmentation de « seulement » 0,4 % en février 2009, leur glissement annuel se tend mécaniquement de 0,2 point, atteignant un niveau de 1,3 %, un plus haut depuis novembre 2008. Présentée ainsi, l’inflation de février 2010 pourrait amener certains observateurs hâtifs à déclarer que la forte inflation est de retour dans l’Hexagone et qu’il faut donc se préparer à des lendemains difficiles en matières de pouvoir d’achat et de taux directeurs de la BCE.
L’inflation se tend, mais sans excès.
Sources : INSEE et Datastream
Mais en fait, il n’en est rien. En effet, l’augmentation de février est avant tout une correction de l’effet soldes de janvier. Et pour cause : la principale origine de l’inflation de février réside dans l’augmentation de 1,1 % des prix des produits manufacturés, qui ne vient même pas compenser la baisse de 1,9 % enregistrée en janvier. Autrement dit, après avoir baissé leurs prix pendant les soldes, les distributeurs de produits manufacturés les ont logiquement augmentés en février, sans pour autant déraper. La raison en est simple : compte tenu de la faiblesse de la demande, se lancer dans une forte hausse des prix, même après les soldes, serait suicidaire.
L’autre grande raison de la progression des prix en février est tout aussi « relativisable », dans la mesure où il s’agit de l’augmentation saisonnière des prix liée aux vacances scolaires : + 32,4 % pour les prix dans les hébergements de vacances et + 7,1 % pour les voyages touristiques. Conscients de la diminution potentielle des dépenses, les professionnels de l’hôtellerie et de la restauration ont donc vraisemblablement préféré compenser la baisse des volumes par la hausse des prix. Solution possible à court terme mais dangereuse pour la saison prochaine. Enfin, la troisième raison principale de la hausse des prix de février est liée à l’augmentation également saisonnière des tarifs d’assurances (notamment + 2,5 % pour l’assurance automobile).
En d’autres termes, les trois mobiles principaux d’augmentation des prix en février sont tous saisonniers et non extrapolables. Cela signifie donc qu’une correction baissière devrait s’observer dès le mois de mars. Ainsi, même si les prix à la consommation augmentent encore de 0,1 % en mars (hypothèse haute), leur glissement annuel ne sera que de 1,2 %. De plus, même si les prix continuent de croître de 0,2 % par mois sur l’ensemble de l’année, l’inflation annuelle moyenne ne sera que de 1,5 % en 2010.
Autrement dit, l’hyperinflation n’est toujours pas pour demain. Dans certains secteurs, la déflation est même toujours présente, dans la mesure où certaines entreprises en grave difficulté sont contraintes de réduire leur prix pour ne pas disparaître, entraînant leurs concurrents dans la spirale de la baisse des prix et in fine de la diminution de l’emploi. Car, si les prix baissent, les entreprises sont obligées de réduire leurs coûts, notamment en matiè
- Le dur chemin du désendettement (suite)
- La zone euro ralentit déjà.