Humeur :
Les Français et l’Euro : le divorce ?
Ce n’est pas une surprise : les Français n’ont jamais été des chauds partisans de l’Euro. Dèjà, lors du référendum du 20 septembre 1992 sur la ratification du Traité de Maastricht, le « Oui à l’euro » ne l’avait emporté qu’avec 51,04 % des voix. Il s’agissait donc d’une avance de seulement 538 000 votants sur le camp du Non, qui n’était pourtant défendu que par des partis politiques largement minoritaires. Ensuite, certainement aveuglés par la croissance des années 1999-2000 mais surtout parce qu’ils continuaient à vivre avec des francs, les Français ont été quasiment indifférents à la création de la monnaie unique en janvier 1999. Ce n’est en fait qu’en 2002, avec l’introduction des pièces et billets en euro, puis la suppression progressive du Franc que la population hexagonale deviendra de plus en plus critique à son égard. En effet, une fois passé l’attrait des nouvelles pièces et des nouveaux billets, les Français vont très vite se plaindre de l’euro, d’abord pour des problèmes pratiques de conversion (n’oublions pas qu’en 2002, il y avait encore certains citoyens qui parlaient en anciens francs…), puis pour des problèmes d’arrondis abusifs, donc d’inflation a priori excessive.
Autrement dit, dès le début de l’Union Economique et Monétaire, les Français ont vite oublié les principaux avantages de la zone euro. A savoir, la stabilité née de la fin des vagues spéculatives contre le franc, des taux d’intérêt à long terme plus bas que par le passé ou encore la possibilité d’échanger et de voyager dans une zone de plus de 300 millions d’habitants avec la même monnaie et presque sans contrainte. Il faut dire que les dirigeants politiques français ont tout fait pour leur rappeler que la zone euro était avant tout une terre de contrainte et que si la France devait faire certaines réformes ce n’était pas à cause d’eux mais pour obéir aux directives européennes. C’est tellement plus pratique de laisser croire que les difficultés viennent des autres…
Toujours est-il qu’après dix ans de croissance molle et une récession historique, les Français ont franchi une nouvelle étape dans leur relation avec la monnaie unique : celle des regrets et peut-être même du divorce. Ainsi, selon un récent sondage Ifop pour Paris-Match, 69 % des Français regrettent le franc. Après le poids des mots et le choc des photos, voici donc la claque des chiffres. S’il ne s’agit évidemment que d’un sondage, dont la valeur scientifique est par définition limitée, ce rejet de l’Euro atteint désormais un sommet historique et doit donc par là même être pris au sérieux.
Certes, l’une des raisons principales de cette nostalgie du franc est due à une idée reçue exagérée, en l’occurrence le fait que le remplacement du franc par l’euro aurait créé des pressions inflationnistes démesurées. Bien entendu, il est clair que dans certains secteurs, notamment dans les activités liées au tourisme et à la restauration, des mouvements d’arrondis à l’euro supérieur ont inévitablement été pratiqués. Pour autant, entre 2002 et 2009, les prix à la consommation en France n’ont augmenté que de 14,8 %, c’est-à-dire à un rythme annuel moyen d’environ 1,7 %. Or, au cours des huit années précédentes, ces progressions ont été de respectivement 14,2 % et de 1,5 %. Mieux, l’inflation annuelle moyenne française a été de 1,9 % de 1990 à 2001 et de 4,4 % entre 1980 et 2001. Autrement dit, affirmer que l’inflation a été plus forte avec l’euro que sans l’euro est une contre-vérité.
Pour autant, cela n’enlève rien au malaise vécu par les Français. Au-delà des problèmes statistiques qui laisseraient entendre que l’inflation est mal mesurée en France et en Europe, le vrai fossé entre les chiffres d’inflation et le ressenti des Français s’explique principalement par le fait que les revenus d’une grande majorité d’entre eux ont trop faiblement augmenté par rapport aux prix.
En d’autres termes, la véritable raison pour laquelle la population hexagonale n’apprécie pas l’euro ne réside pas dans une inflation excessive, mais dans le fait que la création de l’UEM a été incapable de générer une croissance forte, donc un dynamisme durable de l’emploi et des revenus. Et sur ce point, force est de constater que la sagesse populaire a raison. En effet, de 1980 à 2001, en dépit des crises et des spéculations contre le Franc, la croissance annuelle du PIB français a été de 2,2 %. Mais de 2002 à 2009, celle-ci n’a été que de 1,1 %. Et ne laissons pas croire que cette défaillance soit due à la crise. Loin s’en faut, puisque que de 2002 à 2008, la progression annuelle moyenne du PIB français n’était déjà que de 1,6 %. Les variations de l’emploi sont tout aussi instructives. Ainsi, de 1990 à 2001, l’augmentation annuelle de l’emploi salarié en France a été de 1,2 %. Elle n’a été que 0,1 % de 2002 à 2009 ! Dans ces conditions, comment veut-on que les Français aiment l’euro ?
Et même si, bien entendu, l’euro est le bouc-émissaire idéal, il faut reconnaître que les erreurs de politiques monétaires et budgétaires, ainsi qu’une appréciation excessive de la devise eurolandaise ont sonné le glas de la croissance forte, qui avait déjà déclaré forfait à cause des rigidités structurelles de l’économie française. Et c’est peut-être là que réside le véritable coût de l’euro. Car, en se sentant protégées par ce dernier, les autorités gouvernementales n’ont pas souhaité s’engager dans une véritable réforme de notre économie, qui en avait pourtant bien besoin. Ce comportement n’est d’ailleurs pas seulement français, mais s’est observé dans l’ensemble des pays de la zone euro, à commencer par les pays du Sud.
Dès lors, le challenge qui nous attend est déterminant. Il consiste à sauver la zone euro et à restaurer son image auprès des citoyens. Pour ce faire, il faudra que les dirigeants français et eurolandais réussissent à réformer leurs économies de manière à les rendre plus fécondes en croissance et en emplois, tout en terminant la zone euro, c’est-à-dire en harmonisant les conditions fiscales et réglementaires et en créant un véritable budget fédéral. En revanche, s’ils n’y parviennent pas, la réticence de leur population à l’égard de la monnaie unique ira croissante, les crises du type de celle de la Grèce se multiplieront et la zone euro finira par disparaître avant 2020. Mais n’est-ce pas finalement ce que souhaitent 69 % des Français ?
Marc Touati
Quid de l’économie cette semaine ?
Le marché du travail américain résiste au froid.
En dépit de conditions climatiques exceptionnellement dramatiques en février, le marché du travail américain n’a détruit que 36 000 emplois nets, soit moitié moins que la prévision du consensus de marché.
Comme en janvier, qui était déjà marqué par une météo très difficile, la baisse de l’emploi de février est due presque exclusivement aux destructions d’emplois dans le secteur de la construction, qui est naturellement, le plus sensible aux conditions climatiques. Ainsi, après avoir détruit 77 000 postes en janvier, ce secteur en a encore supprimés 64 000 en février.
A l’inverse et pour le deuxième mois consécutif, l’industrie manufacturière et les services (qui sont pourtant également impactés, même indirectement, par le mauvais temps) ont été créateurs nets d’emplois.
Ainsi, après 20 000 personnes en janvier, l’emploi manufacturier a augmenté de 1 000 postes en février. Ce qui, compte tenu des blocages de production enregistrés sur certains jours dans l’Est des Etats-Unis, reste une très bonne performance.
Mieux, après avoir créé 20 000 emplois nets en janvier, les services en ont générés 42 000 en février. Et ce notamment grâce aux services aux entreprises qui ont créé 51 000 emplois en février et ont ainsi enregistré leur cinquième mois consécutif de hausse, soit un total de 220 000 créations de postes nettes.
Les services et l’industrie manufacturière se remettent à créer des emplois.
Sources : BLS et Datastream
Parallèlement, après avoir augmenté de 42 000 personnes en janvier, l’emploi dans le commerce de détail a stagné en février, confirmant que la consommation continue de résister outre-Atlantique.
Conséquence logique de ces performances très honorables compte tenu du contexte climatique déplorable, le taux de chômage s’est stabilisé à 9,7 %. Ce résultat montre que le recul insufflé depuis novembre dernier n’était pas un feu de paille mais bien une nouvelle tendance baissière, appelée d’ailleurs à s’intensifier dans les prochains mois.
Le taux de chômage sur une tendance durablement baissière.
Sources : BLS, BEA et Datastream
En effet, en espérant que le mois de mars soit plus clément que ses deux prédécesseurs d’un point de vue météo, les créations d’emplois devraient nettement rebondir. Et ce pendant plusieurs mois, comme l’indique la forte remontée des indices « emplois » des enquêtes ISM des directeurs d’achat dans l’industrie et les services.
Selon ces derniers, le glissement annuel de l’emploi, qui est déjà passé de – 4,9 % en juillet août à – 2,5 % en février 2010, devrait avoisiner les + 1 % d’ici septembre prochain. Pour parvenir à un tel niveau, la job machine américaine devra créer plus de 1,5 million d’emplois nets. C’est dire combien les marchés financiers sont encore loin d’imaginer les bonnes surprises qui les attendent.
Vers 1,5 million de créations d’emploi d’ici septembre 2010.
Sources : BLS, ISM et Datastream
Et ce, d’autant qu’avec les 450 milliards d’investissements publics engagés cette année par le gouvernement Obama, le rebond de la croissance mondiale vers les 4 % et le retour de la confiance, la croissance américaine atteindra sans difficulté les 3 % en 2010.
C’est d’ailleurs ce qu’indique l’évolution des indices synthétiques des enquêtes ISM des directeurs d’achat en février. Ainsi, en dépit d’un repli correctif après la flambée des derniers mois, l’indice ISM de l’industrie manufacturière reste largement au-dessus de la barre des 50, à 56,5 précisément. Quant à l’indice ISM des services, après quelques hésitations fin 2009, il remonte désormais à 53. Deux évolutions qui montrent que les 3 % constituent désormais un plancher pour la croissance américaine en 2010.
Une croissance américaine de 3 % est désormais assurée pour 2010.
Sources : BEA, ISM et Datastream
En conclusion, le cercle vertueux « investissement-emploi-consommation » a bien commencé outre-Atlantique et est loin d’être terminé.
L’amélioration du marché du travail imposera à la Fed de réagir d’ici juin 2010.
Sources : BLS et Datastream
De quoi inciter la Réserve fédérale américaine à augmenter ses taux directeurs en douceur à partir de juin prochain. Cela lui permettra d’accompagner la reprise, de rassurer les marchés sur la durabilité de cette dernière et, enfin, de sortir définitivement l’économie américaine de la crise.
Marc Touati
France : un chômage qui fait peur…
10 %. Une bien piètre performance pour le taux de chômage français qui atteint désormais un sommet depuis le quatrième trimestre 1999. Au-delà de ce triste résultat, c’est surtout la rapidité de la hausse du chômage qui a de quoi inquiéter.
Ainsi, il y a tout juste deux ans, au premier trimestre 2008, ce dernier ne représentait que 7,5 % de la population active. Une telle dégradation en si peu de temps est donc exceptionnelle.
Et ce, d’autant que le papy boom (c’est-à-dire les nombreux départs à la retraite des personnes nées pendant le baby boom) a mécaniquement freiné la progression de la population active et, avec elle, la hausse du chômage.
Cela signifie donc que si la population active avait continué d’augmenter au même rythme que dans les années 90, le taux de chômage français aurait au moins atteint les 12 % aujourd’hui.
Sans le ralentissement de la population active, la flambée du chômage aurait été encore plus grave.
Sources : INSEE et Datastream
En outre, si le papy boom a limité la détérioration du marché du travail, il n’a pas pour autant soutenu le pouvoir d’achat pour la simple raison qu’en partant à la retraite, les « papy boomers » enregistrent souvent une nette baisse de leurs revenus. Cela signifie donc que la limitation de l’augmentation du chômage n’entravera que modérément la dégradation du pouvoir d’achat.
De l’autre côté du prisme du marché du travail, la situation est encore plus dramatique, puisque le taux de chômages des moins de 25 ans a de nouveau augmenté au quatrième trimestre 2009 pour atteindre 24 %, un nouveau sommet historique. En d’autres termes, même si les pouvoirs publics ne manqueront pas de souligner que la forte hausse du chômage est due à la crise internationale, cette interprétation reste restrictive et trop facile.
Taux de chômage des moins de 25 ans : un nouveau sommet historique.
Sources : INSEE et Datastream
En effet, la crise n’a fait que rappeler les carences structurelles du marché du travail français. A savoir, en premier lieu, une mauvaise adéquation entre les diplômes et formations et les besoins des entreprises.
A cette faiblesse dramatique viennent se greffer deux autres freins. D’une part, un manque de mobilité sectorielle et géographique. D’autre part, des coûts hors salaire exorbitants et des rigidités réglementaires structurelles qui imposent aux entreprises de réfléchir à deux fois avant d’embaucher.
Dans ce cadre, en dépit d’un petit rebond de croissance et d’une quasi-stabilisation de la population active cette année, le taux de chômage français devrait rester autour des 10 % sur l’ensemble de 2010, même si une petite baisse devrait néanmoins a
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- Une semaine calme des deux côtés de l’Atlantique.