Croissance, inflation, manipulations… (E&S n°117)

Humeur :

Marre d’être manipulés…


Combien de couleuvres et de manipulations en tous genres avons-nous dû avaler au cours des toutes dernières années ? Si l’art du mensonge et de l’illusion n’est évidemment pas nouveau et n’a cessé de diriger le monde depuis des siècles, les niveaux atteints au cours des derniers trimestres relèvent de l’excellence. Pourtant, avec le développement du savoir, l’augmentation du niveau des études, notamment dans les pays développés, ou encore grâce aux NTIC, on aurait pu imaginer que de telles manigances seraient plus difficiles. Mais c’est exactement le contraire que nous subissons.

Tout a commencé à la fin des années 90 et surtout au début des années 2000, avec la mathématisation à outrance des produits et instruments financiers. Ce dérapage incontrôlé a alors laissé croire qu’il était possible d’augmenter le rendement sans augmenter le risque. L’explosion de la bulle des subprimes a ensuite remis les pendules à l’heure dès l’été 2007, mais a malheureusement généré une nouvelle arnaque, à savoir la flambée des cours des matières premières et notamment du pétrole. Aidé par l’augmentation des taux directeurs de la BCE, le dollar s’est effectivement effondré, entraînant mécaniquement une pression haussière sur le prix de l’or noir. Les plus grands spécialistes du pétrole et des matières premières ont alors juré, le cœur sur la main, que cette tension était logique et durable du fait de la pénurie de ces dernières. Et ce, en dépit de la baisse de la croissance mondiale qui en réduisait automatiquement la demande et rendait donc caduque la thèse de la pénurie. Mais qu’importe, l’arnaque fonctionnait tellement bien que le baril a culminé à 150 dollars et les cours de l’ensemble des matières premières ont atteint des sommets historiques, aggravant par là même la récession environnante. Mais ces deux premières arnaques d’envergure ont finalement été surpassées par une troisième, qui a définitivement consacré l’ère de la manipulation, en l’occurrence, la faillite sauvage de Lehman Brothers. A l’époque, certains ont voulu nous faire croire que cette banque était devenue complètement insolvable et qu’il fallait absolument la liquider sèchement pour en faire un exemple. Bien entendu, il n’en était rien. Cette décision obéissait simplement à une volonté de vengeance du secrétaire d’Etat au Trésor américain Henri Paulson, ancien patron de Goldman Sachs, concurrent historique de Lehman. En outre, cette banque était certes en difficulté et sujette à une illiquidité temporaire, mais loin de ne plus rien valoir. En reprenant respectivement les activités américaines et européennes de Lehman, Barclays et Nomura ont d’ailleurs pu vérifier que le puits n’était pas tari en dégageant des profits notables grâce à ces acquisitions et en devenant par là même les heureux gagnants de ce jeu de dupes.

Et malheureusement, les gagnants n’ont pas été nombreux. Car, en ouvrant la boîte de Pandore des faillites, Paulson a définitivement détruit les quelques piliers qui soutenaient la finance internationale et par là même l’économie mondiale. En effet, en quelques heures, tous les repères auxquels pouvaient encore se raccrocher les investisseurs ont disparu. Et c’est bien là qu’est le drame qui sévit encore aujourd’hui, à savoir l’absence de visibilité. Ainsi, qu’ils soient financiers, chef d’entreprise, dirigeants politiques, salariés ou simples citoyens, les acteurs économiques n’ont plus de vision du monde. Compte tenu de cette carence, ils sont devenus beaucoup plus enclins à tomber dans tous les pièges et arnaques de toutes les couleurs. De la sorte, ils ont crû que l’avenir qui se dressait devant eux serait pire que le cataclysme de 1929 et des années 30. Et ce, en dépit du repli des cours des matières premières, des plans de relance, du sauvetage des banques, des baisses de taux d’intérêt ou encore de l’excès de liquidités qui prévalait à travers le monde. Dans ce cadre, ils se sont mis à croire qu’une capitalisation du Cac 40 ou du Dow Jones inférieure à la valeur des fonds propres des entreprises cotées était « normal ». Ensuite, ils ont crû que la reprise ne passerait pas le printemps 2009, puis que la zone euro s’en sortirait mieux que les Etats-Unis, ou encore qu’une nouvelle crise allait émerger à cause des difficultés passagères de Dubaï, dont le PIB ne représente que 0,1 % du PIB mondial. Et tout ceci en vain.

Devant un tel échec, la manipulation va alors quitter temporairement le terrain financier pour prendre possession d’un domaine encore plus précieux : la vie humaine. Ce fut donc au tour de la psychose de la pandémie mondiale de grippe A de s’imposer. Avec le succès que nous avons heureusement évité. Pis, au contraire de ce que certains veulent encore laisser croire aujourd’hui, cette manipulation n’a même pas permis au secteur pharmaceutique de flamber en bourse. Ainsi, en 2009, ce dernier a été l’un des moins performants (seulement 13 % de hausse, contre 28 % pour le DJStoxx 600). Mais si nous avons évité 1929 et la grippe A, c’est sûr nous ne pouvions éviter le réchauffement climatique. D’où Copenhague qui, finalement, n’a servi qu’à nous rappeler qu’il était impossible et surtout dangereux d’imposer la décroissance, qui ne reviendrait finalement qu’à accroître les écarts de richesse entre les différentes zones de la planète et à générer des crises sociales majeures à travers le monde. Mieux, la rigueur exceptionnelle de l’hiver dans l’Hémisphère Nord, et ce, d’Est en Ouest, a montré que la thèse du réchauffement était loin d’être prouvée. Mais attention, vous diront certains, cette froideur est justement due à la fonte des glaciers qui perturbe le Gulfstream. Comme quoi, la manipulation en la matière a encore de beaux jours devant elle. Mais en attendant la prochaine canicule, la force de l’arnaque s’est déjà refait une santé, avec la crise grecque. En effet, après nous avoir fait croire pendant des années que la zone euro constituait une protection, elle nous montre désormais que c’est exactement le contraire. Si bien que la Grèce est reléguée aux bans des Nations. Du moins, jusqu’à ce que cette mode passe.

Mais soyez rassurés : compte tenu de l’absence de vision d’avenir et de clairvoyance, les manipulations vont continuer de s’enchaîner. Celle de la dette publique n’est certes pas encore terminée, mais sera vite relayée par le financement des retraites. De ce point de vue, et en particulier en France, nous aurons du pain sur la planche, dans la mesure où une grande majorité des Français est encore persuadée qu’on pourra continuer à assurer le financement de la retraite par répartition pendant très longtemps sans réformes majeures… Ensuite, ce sera la taxe carbone qui, soi disant, va nous permettre de retrouver un excédent commercial… Que dire alors des OGM, de la couche d’ozone, de la mutation du virus H1N1 ou encore des effets indésirables des vaccins avec adjuvent… Bref, nous ne sommes pas sortis de l’auberge de la désinformation et des contre-vérités. Face à ce déferlement passé et à venir, nous n’avons malheureusement pas de parades, mais nous pouvons néanmoins donner trois conseils à mettre en œuvre face à une idée reçue ou à une tentative de manipulation. Primo, se demander à qui profite le « crime ». Secundo, prendre du recul et retrouver une vision de moyen terme. Tertio, se référer sans cesse aux fondamentaux économiques. En adoptant ces trois stratégies, nous ne serons pas forcément immunisés contre les arnaques, mais au moins, nous aurons une chance d’y échapper.

Marc Touati


Quid de l’économie cette semaine ?

La reprise américaine s’installe sans dérapage inflationniste.


Compte tenu d’une augmentation de 5,7 % du PIB américain au quatrième trimestre (en rythme annualisé), certains n’ont pas hésité à souligner qu’un fort ralentissement se produirait outre-Atlantique dès le premier trimestre. A ce sujet, il faut d’ailleurs noter qu’une prévision identique avait été formulée par le consensus pour le quatrième trimestre 2009, après la publication d’une croissance soutenue au troisième. Autrement dit, l’histoire se répète. Et ce, jusqu’au bout, puisqu’au contraire des prévisions consensuelles d’il y a encore quelques semaines, l’économie américaine n’a pas ralenti au premier trimestre, mais a même accéléré.

Une activité manufacturière qui annonce une croissance globale de 3 % pour 2010.

Sources : Federal Reserve, BEA et Datastream

Ainsi, après six mois consécutifs de hausse, la production industrielle a continué de fortement progresser en janvier : + 0,9 % au total et + 1,2 % pour le seul secteur manufacturier, soit des progressions de respectivement 5,5 % et 4,6 % au cours des sept derniers mois.

Le taux d’utilisation des capacités de production remonte progressivement.

Sources : Federal Reserve et Datastream

Même si les niveaux d’avant-crise n’ont pas encore été retrouvés, ce rebond indique qu’une croissance américaine d’au moins 3 % devrait durablement s’imposer aux Etats-Unis. Et ce, d’autant que le taux d’utilisation des capacités de production continue de remonter progressivement. Là aussi, nous sommes toujours loin des niveaux d’avant crise. Néanmoins, la tendance est clairement haussière, signifiant par là même que la reprise de l’investissement des entreprises, qui a déjà commencé depuis l’été dernier, devrait s’intensifier en 2010. Sur le front de l’investissement logement, la progression de 2,8 % des mises en chantier en janvier indique également que la tendance est bonne, même si, compte tenu du marasme subi dans ce secteur, le redémarrage sera forcément lent, comme le montre d’ailleurs la nouvelle baisse des permis de construire en janvier.

Les mises en chantier de logement se reprennent doucement.

Sources : Department of Commerce, BEA et Datastream

Il faut dire qu’en attendant de reprendre le chemin de l’investissement logement, les ménages américains ont déjà fortement augmenté leurs dépenses de consommation. Ainsi, après une pause en septembre, les ventes au détail n’ont cessé de progresser depuis, stabilisant leur glissement annuel autour des 5 % et annonçant par là même que le glissement annuel de la consommation (au sens des comptes nationaux) devrait avoisiner les 4 % dès le premier trimestre 2010.

Consommation des ménages américains : en route vers les 4 % dès le premier trimestre 2010.

Sources : Bureau of Census, BEA et Datastream

Conséquence logique de ce retour en grâce de la croissance, l’inflation a aussi repris du « poil de la bête », confirmant que le spectre de la déflation, tant annoncé il y a encore quelques trimestres, restera bien au placard.

Ainsi, tirés également par l’augmentation du cours des matières premières en décembre, les prix à la production ont encore augmenté de 1,4 % en janvier, atteignant un glissement annuel de 4,6 % (et même 5 % pour l’indice corrigé des variations saisonnières). Hors énergie et produits alimentaires, les prix à la production n’ont cependant progressé que de 0,3 % sur un mois et de 1 % sur un an. Il n’y a donc toujours pas de quoi crier à l’hyperinflation.

Prix à la production : un bel effet de ciseau.

Sources : BLS, BEA et Datastream

Ce mouvement s’observe d’ailleurs au niveau des prix à la consommation. Ainsi, ces derniers ont augmenté de 0,2 % en janvier, atteignant un glissement annuel de 2,6 %, contre 2,7 % le mois précédent. Dans le même temps, le core CPI, c’est-à-dire l’indice des prix hors énergie et produits alimentaires a reculé de 0,1 %, montrant que les pressions inflationnistes restent largement sous contrôle.

L’inflation américaine reste largement sous contrôle.

Sources : BLS et Datastream

D’ailleurs, même si les prix continuent d’augmenter à un rythme de 0,2 % par mois jusqu’à la fin d’année (hypothèse haute), l’inflation annuelle moyenne américaine restera sous les 2,4 % en 2010 et sous les 1,5 % pour le core CPI. Autrement dit, si la Fed prépare déjà les marchés à un resserrement monétaire dans les prochains mois, ce dernier est tout à fait justifié au regard du retour de l’inflation et du fort rebond de la croissance. Mais surtout, il restera modéré compte tenu de la limitation des pressions inflationnistes.

La Fed devra augmenter ses taux directeurs mais sans excès.

Sources : BLS et Datastream

Le taux des federal funds devrait ainsi être porté à 1,5 % d’ici un an, ce qui restera encore très accommodant au regard d’une croissance économique de 3 % sur l’ensemble de l’année 2010.

 

 

Marc Touati

 

 

 

 



 

 

France : ça ralentit déjà.


L’évolution de l’économie hexagonale en 2010 serait-elle à l’image de la performance des Français aux JO de Vancouver, c’est-à-dire positivement surprenante au début, puis décevante par la suite ? A en croire la dernière enquête de l’INSEE dans l’industrie ou encore la baisse des indices des directeurs d’achat dans l’industrie et les services en février, la probabilité d’un tel cas de figure est de plus en plus forte.

En effet, à peine trois trimestres après la sortie de récession, l’industrie et l’économie françaises sont déjà en train de ralentir. Ainsi, après avoir déjà baissé d’un point en décembre 2009, puis remonté de deux points en janvier, l’indice du climat des affaires dans l’industrie a stagné en février. Avec un niveau de 91, il se situe donc toujours neuf points en deçà de sa moyenne de long terme.

Autrement dit, en dépit de son plongeon historique de 2007-2009, qui aurait pu laisser imaginer un fort rattrapage au moins technique, l’industrie hexagonale n’a même pas retrouvé son rythme de croisière et, bien pire, est déjà en train de ralentir.

La reprise s’émousse.

Sources : INSEE et Datastream

De plus, les perspectives personnelles de production sont de nouveau reparties à la baisse, avec un niveau de -6. Même punition pour les carnets de commandes, qui reculent de cinq points à l’international et stagnent dans leur globalité.

Ces évolutions apparemment décevantes sont malheureusement logiques, dans la mesure où elles ne sont que la correction de la flambée artificielle du second semestre 2009, c’est-à-dire de la perfusion sur-vitaminée issue de la prime à la casse. En effet, après avoir « explosé les compteurs », le secteur automobile doit désormais redescendre sur terre.

Certes, compte tenu des décalages entre les commandes et l