Les cinq leçons de la “crise grècque”.

Les déboires de la Grèce, dont le déficit budgétaire abyssal ( 12.3% du PIB) a précipité la crise que ce pays connait depuis plus d’un mois, nous amène à tirer cinq leçons d’économie appliquée.

La première, plus conceptuelle, nous pousse à nous interroger sur la notion « de zone monétaire optimale », que l’eurozone est censée incarner. En effet « une monnaie unique » n’est totalement  appropriée que lorsque la zone qui la reconnaît comme monnaie officielle est dotée de 3 caractéristiques : complémentarité des économies nationales, niveau de développement proche, et, surtout circulation des facteurs de production (capital, travail). On constate que la Grèce peine à remplir ces critères : niveau de développement industriel inférieur à la moyenne de la zone euro ; habitudes culturelles différentes (ainsi, la tendance à maquiller les statistiques) ; peu d’échanges, en matière de main d’œuvre, avec les autres pays de la zone. Plus globalement, certains Etats de la zone euro ont du mal à justifier leur appartenance à la zone, du point de vue purement économique.

La deuxième leçon découle de la première. C’est la fameuse  « théorie du passage clandestin », selon laquelle, un Etat peut avoir intérêt à relâcher ses efforts de rigueur, lorsqu’il se sent protéger par un processus communautaire qui le sauvera, en cas de difficultés. Autrement dit, le gouvernement grec peut envisager de continuer sa politique laxiste, s’il sait que le reste de la zone viendra à son secours, ce qui bien sûr fragilise la zone monétaire dans son ensemble. Sur ce point, nous allons voir rapidement si la zone euro est disposée à aider la Grèce, avec ou sans conditions, ou, plus exactement, si les autres pays de la zone sont en mesure d’imposer réellement des mesures d’austérité à la Grèce.

Troisième leçon : la rapidité  avec laquelle la crise grecque s’est déclenchée. Amplifiée par le marché des CDS (« Credit Default Swaps »), la « prime de risque » de la Grèce est passée rapidement de 50 à 400 points de base ; c’est -à -dire que les intérêts appliqués à la dette grecque sont supérieurs de 3 % à ceux pratiqués sur la dette allemande « benchmark » actuel des obligations en euros. Du coup, d’autres pays risquent d’être contaminés par ce mouvement de hausse : le Portugal, dans un premier temps, puis l’Espagne et l’Irlande, voire l’Italie. Ce qui oblige les instances communautaires à réagir.

Et c’est la quatrième leçon : il n’ya pas de procédure institutionnellement forte de traitement de cette crise, au niveau de la zone euro. D’une part, le traité de Maastricht  interdit à la BCE de venir au secours de la Grèce, en achetant des titres de sa dette ; d’autre part, un autre Etat (l’Allemagne, par exemple) n’a pas le droit de venir au secours des finances grecques. De ce fait, il faut recourir à des subterfuges : les banques privées de la zone (BNP, Deutsche Bank, BBVA, etc) peuvent acheter des titres obligataires grecs ; des mesures « non conventionnelles » peuvent également être envisagées. Autrement, la Grèce devra faire peut-être appel au FMI, qui peut octroyer des prêts à moyen et long terme, mais en soumettant l’emprunteur à une série de contraintes (d’où la notion de crédits « conditionnels »), limitant la politique économique grecque. Affaire à suivre.

La dernière leçon concerne l’euro. La monnaie unique a été largement sanctionnée par la crise grecque, puisqu’elle a perdu 10% en 3 mois. Du point de vue de nos exportateurs, c’est une excellente nouvelle : cela fait de nombreuses années qu’ils se plaignaient du  handicap causé par l’euro « fort » ; sans succès, puisqu’aucun de nos grands partenaires commerciaux  (Etats-Unis, Chine) ne souhaitaient renforcer sa propre monnaie.

Cependant cette « bénédiction » doit être modérée par 2 considérations : la « volatilité » excessive des monnaies n’est jamais favorable aux courants commerciaux (or l’euro pourrait encore baisser lourdement, si d’autres Etats de la zone connaissaient des problèmes) ; la baisse de l’euro peut entrainer une certaine inflation et rendre plus difficile de l’émission de « bonds » souverains (les investisseurs potentiels non- résidents voulant éviter le risque de change).

Enfin, une sixième leçon  à l’usage de la France. La « crise grecque » nous montre les dangers qui nous guettent, si notre politique économique dérape, car après l’Espagne et l’Italie, nous serions rapidement en ligne de mire.

 

 

Bernard MAROIS

Professeur Emérite HEC Paris

Président Club Finance HEC