Pour beaucoup d’observateurs, la non-dégradation de la France par l’agence Moody’s le 24 janvier dernier a été une réelle surprise. Il faut croire en effet que le lobbysme du gouvernement français et l’apparent tournant « social-démocrate » de François Hollande ont porté leur fruit. Mais cette clairvoyance ne pourra cependant pas durer. Car qu’on se le dise, la reprise qui s’amorce dans certains Etats de la périphérie européenne participe clairement à une redistribution des cartes. Et dans ce contexte, il sera difficile pour la France de tirer son épingle du jeu…
L’histoire d’un mauvais élève…
Trouvez-vous cela normal que la France soit perçue par les marchés et autres agences de notation comme un des Etats les plus surs au monde ? A priori, en tant que sixième puissance mondiale, oui. L’année 2013 fut pourtant des plus chaotiques. En effet, après une brève récession au premier trimestre le pays devrait péniblement afficher un taux de croissance annuel de 0,1%. Une atonie qui s’explique notamment par une politique économique totalement décousue qui tend à brouiller la visibilité à moyen/long terme des agents économiques. A titre d’exemple, l’investissement des entreprises hexagonales ne cesse de reculer depuis huit trimestres consécutifs.
La situation sur le marché de l’emploi s’avère également inquiétante. Pendant que le gouvernement tente par tous les moyens de vendre ses emplois d’avenir, il ne se passe en effet pas une semaine sans qu’un plan social ne soit décidé quelque part en France. Le taux de chômage officiel s’élève ainsi à 10,9% de la population active alors que celui des jeunes atteint dangereusement 25,6%. La courbe du chômage ne semble donc définitivement pas vouloir s’infléchir, au grand dam du ministre du travail Michel Sapin, contraint désormais de modifier sa communication en privilégiant le terme de « stabilisation » plutôt que d’« inversion ».
Que dire en outre de la trajectoire budgétaire française en 2013. C’est simple, on en a vu de toutes les couleurs. Dans un premier temps, le gouvernement s’était fixé un objectif de déficit public de 3% du PIB. Puis à la fin du premier semestre, il admit non sans douleur que ce serait plutôt 3,9%. En octobre dernier, lors de la présentation du budget de 2014, il annonça finalement un dérapage de 4,1% pour 2013. Un vrai vaudeville budgétaire qui devrait s’achever par un déficit de 4,3% (en raison d’un manque à gagner des rentrées fiscales) et un endettement souverain proche des 95% du PIB.
Le dernier trimestre a enfin été marqué par une succession de couacs fiscaux. L’amateurisme du gouvernement sur les questions fiscales (taxe sur l’EBE, rétroactivité fiscale sur le PEA et écotaxe) a en effet participé à l‘instauration d’un climat social délétère. De nombreux mouvements contestataires, souvent prêts à en découdre, ont ainsi vu le jour et le non-consentement à l’impôt est quasiment devenu la norme. Une situation qui ne présage rien de bon pour l’avenir d’une démocratie, surtout à quelques mois d’une échéance politique.
… qui jusque-là est parvenu à faire diversion
Alors, trouvez-vous cela vraiment normal que la France soit perçue comme un des Etats les plus sûrs au monde ? L’idée ici n’est pas de faire du « french bashing » mais plutôt de souligner une anomalie qui pourrait être résumée par l’expression de « paradoxe à la française ». En effet, en dépit de fondamentaux économiques et sociaux peu reluisants, le pays demeure, aux yeux de tous, une grande nation et n’a jusque-là pas été sanctionné pour ses excès divers. Comment alors expliquer la clémence des marchés ainsi que celle des autorités européennes à l’égard de la France ?
En effet, aussi surprenant que cela puisse paraître, la France finance aisément sa dette sur les marchés, et ce indépendamment de l’évolution de sa notation souveraine. En 2013 par exemple, les taux de l’OAT à dix ans ont atteint un maximum… de seulement 2,57%. La singularité du couple rendement-risque français s’explique en fait par la notion de « flight to quality ». En période de crise, les investisseurs préfèrent effectivement sécuriser leurs placements en se repliant vers des actifs relativement peu risqués. Moins volatile que les dettes espagnole, italienne et portugaise et offrant plus de rendement que le bund allemand, la dette française a ainsi été particulièrement recherchée.
De la même façon, sur la scène européenne le pays a bénéficié d’une impunité étonnante. Alors que la Commission européenne accordait à la France un délai de deux années supplémentaires pour converger vers la cible budgétaire (intermédiaire) des 3%, le gouvernement et le président de la République affirmèrent en effet qu’ils effectueraient les réformes à leur manière faisant ainsi fi des recommandations de Bruxelles. Un véritable bras d’honneur, à l’heure où la majorité des pays voisins effectuaient de douloureux efforts. On aurait alors pu penser qu’Angela Merkel hausserait le ton. Il n’en fut pourtant rien. Les élections outre-Rhin et les négociations qui s’en suivirent pour trouver un accord de coalition offrit en effet à l’hexagone un grand bol d’air.
Mais au lieu de mettre à profit ce temps précieux, le gouvernement s’est au contraire enlisé dans un exercice de communication des plus périlleux, frisant parfois même l’insolence. Aussi à en croire les différentes déclarations, « la reprise est là », l’objectif d’inversion de la courbe du chômage «est déjà atteint » et les agences de notation ne prennent pas « en compte toutes les réformes en cours d’adoption ». Sauf que la fête est finie. La reprise est en effet bel et bien là, mais pas en France. Et pour sa part, Angela Merkel a formé sa grande coalition et peut désormais observer attentivement l’évolution de la politique économique française.
Au pied du mur, la France joue sa dernière chance
A l’inverse de certains de ses voisins, le pays a en effet raté le train de la reprise économique. Et un mouvement de type « les derniers deviennent les premiers » semble émerger progressivement. A titre d’illustration, au troisième trimestre 2013, la zone euro enregistrait une croissance de son PIB de 0,3% par rapport au trimestre précédent ; dans le détail, l’Irlande affichait un taux de croissance de 0,4%, le Portugal de 0,2 %, l’Espagne de 0,1% et la France de… -0,1%. Ce retard tend malheureusement à traduire le différentiel des réformes menées dans chacun des pays. Pire, à en croire les données d’Eurostat, même la Grèce a fait mieux que la France avec un taux de croissance de 0,4%.
Les pays dits du sud de l’Europe effectuent en outre un retour gagnant sur le marché des dettes souveraines. Certes leurs taux ne sont pas encore au niveau des taux français, mais leurs dernières émissions ont été de véritables succès. L’Irlande a ainsi levé 3,75 milliards d’euros sur le marché obligataire à dix ans à un taux de 3,54% le 7 janvier dernier. De même, l’Espagne a placé 10 milliards d’euros d’emprunt à dix ans le 22 janvier dernier à un taux de 3,84%, alors même que la demande était quatre fois supérieure. Enfin le 21 janvier dernier, pour la première fois depuis août 2010, les taux portugais à dix ans sont passés sous la barre des 5% en séance (4,94%) même s’ils se sont retendus par la suite.
Il y a donc fort à parier que le « flight to quality » dont bénéficiait jusque-là l’hexagone devrait graduellement s’estomper. En effet, des pays comme l’Irlande ou l’Espagne apparaissent de moins en moins risqués et offrent des rendements supérieurs à ceux de la France sur le marché obligataire. Conséquence d’un tel mouvement, la dette française pourrait être moins recherchée qu’auparavant et les taux pourraient se tendre pour converger vers un niveau plus « juste » au regard des risques réels du pays. Et c’est là que se trouve le danger. En effet, si un sentiment de défiance des marchés vis-à-vis de la France s’installe, il pourrait s’auto-entretenir, d’une part, en raison de la relative bonne santé économique des pays voisins, et, d’autre part, de la dégradation économique et sociale du pays.
Si l’agence de notation Moody’s a souhaité laisser une dernière chance à la France, François Hollande et le gouvernement semblent (enfin) avoir compris ce qui se joue actuellement. En témoigne notamment ce pacte de responsabilité et ce virage inédit de politique économique du pays à destination de l’offre. Mieux que Tony Blair ou Gerhard Schröder, il y a du Jean-Baptiste Say dans le discours du président de la République… Mais le rêve laisse place à la triste réalité et déjà le gouvernement retombe dans ses travers ; annonce de la création d’un conseil de simplification, d’un observatoire de contrepartie et d’assises de la fiscalité… Trop compliqué, trop fastidieux, il faut aller plus vite !
Oubliez le dogmatisme, favorisez le pragmatisme. Oubliez la communication, favorisez l’action. Voici les formules miracles qui permettront à la France de conserver sa place parmi les Etats les plus sûrs au monde. Et de renouer avec des taux de croissance positifs pour enfin pouvoir gagner la bataille de l’emploi. Il n’est pas encore trop tard…
Achevé de rédiger le 29 janvier 2014
Anthony Benhamou