Nous n’osions plus y croire, mais cette fois-ci c’est fait : l’écart entre le taux objectif des federal funds et le taux refi de la BCE a été annulé. Immédiatement, l’euro/dollar s’est fortement déprécié et les indices boursiers se sont envolés vers de nouveaux sommets.
A l’évidence, bien loin des frasques de son prédécesseur qui auraient pu finir par mettre un terme à l’UEM, Mario Draghi réalise un travail exceptionnel. Après avoir déjà sauvé la zone euro à deux reprises (fin 2011 et en septembre 2012), il vient de lui permettre d’éviter de replonger dans la récession, voire de sombrer dans la déflation.
En effet, pour prendre sa décision, la BCE a pris conscience des deux principaux dangers qui menacent la zone euro, en l’occurrence la déflation et la crise sociale. Or, si l’on sait plus ou moins sortir d’une crise économique, il n’existe aucune solution efficace et garantie de sortir de ces deux fléaux. A l’exemple du Japon, la déflation peut durer vingt ans. Quant à la crise sociale, elle peut très vite déboucher sur une crise sociétale ou pire encore.
Le seul problème est que l’impact de ce nouvel assouplissement monétaire et de la baisse de l’euro sur l’activité et l’emploi ne se produira que dans six à neuf mois. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui explique l’apparent paradoxe entre la remontée des marchés boursiers et la poursuite des plans de licenciements. Les premiers anticipent effectivement les améliorations à venir, tandis que les seconds sont la conséquence de la faiblesse économique passée.
La question reste donc de savoir si les pays de la zone euro auront les moyens de patienter encore six à neuf mois sans plonger dans la crise sociétale.
Cette période sera d’autant plus difficile que la BCE a désormais utilisé toutes ses cartouches. La seule nouvelle arme serait la « planche à billets », mais ses statuts et le veto allemand ne lui permettent pas de l’utiliser. Or sans cet instrument, le risque est grand d’engager la zone euro dans une « trappe à liquidités » comme cela a été le cas au Japon pendant quinze ans. Celle-ci signifie qu’en dépit de la faiblesse des taux directeurs de la banque centrale, la faiblesse de la confiance est telle que les agents économiques n’en profitent pas pour augmenter massivement leurs dépenses d’investissement et de consommation, mais préfèrent épargner. Pis, ces évolutions monétaires pourraient alimenter une bulle boursière, sans soutenir massivement l’activité et l’emploi.
De plus, n’oublions pas que tant que l’euro ne passe pas sous les 1,20 dollar (le niveau idéal étant même de 1,15 dollar), la zone euro n’a quasiment aucune chance de retrouver le chemin de la croissance forte.
Autrement dit, si la décision de la BCE est positive, elle ne permet malheureusement pas d’annoncer la fin de la crise sociale dans les pays de la zone euro. Elle constitue une condition nécessaire mais pas suffisante. Pour autant, dans un contexte où les mauvaises nouvelles sont pléthores, ne boudons pas notre plaisir et remercier Mario Draghi, d’avoir une nouvelle fois sauvé la zone euro. Du moins, pour l’instant…
Marc Touati