Juppé : un recours à droite ?

Comme beaucoup d’hommes politiques, Alain Juppé rêve de devenir un jour Président de la République. D’ailleurs, dans notre bonne vieille monarchie républicaine, Jacques Chirac avait en son temps adoubé celui qu’il appelait « le meilleur d’entre nous ». Malheureusement, le destin et les événements en ont décidé autrement et l’envol programmé d’Alain Juppé fut stoppé net en 2004 du fait de ses déboires avec la justice dans le cadre des emplois fictifs de la mairie de Paris. En bon soldat de la chiraquie, l’actuel maire de Bordeaux paya le prix fort, à savoir quatorze mois de prison avec sursis et un an d’inéligibilité après appel… Il laissa ainsi le champ libre à Villepin (son ex-directeur de cabinet au Quai d’Orsay) laminé par le CPE, puis à Nicolas Sarkozy. Prêt à décrocher définitivement, Juppé, qui évoquait la « tentation de Venise », réussit à se remettre en selle à la mairie de Bordeaux.

Aujourd’hui, les guerres intestines et le manque de leadership à l’UMP sont une véritable aubaine pour l’ex-Premier ministre. Alors que Fillon et Copé, qui ne sont pas à la hauteur des enjeux, se déchirent et que Sarkozy ne s’est pas encore déclaré, il y a une place à prendre. Mais l’ex-favori de Chirac reste pragmatique et bien sûr ne se découvre pas. Ainsi, lorsque la question d’une candidature à la présidentielle lui est posée, il reste volontairement évasif en affirmant qu’il ne se « positionnera qu’en fonction des circonstances.»

Il est vrai que l’homme ne manque pas d’atouts : il dispose tout d’abord d’une expérience considérable du pouvoir, à savoir plusieurs maroquins dont le ministère du budget et les affaires étrangères, mais il fut surtout Premier ministre. Juppé est également une petite institution à droite, notamment grâce au RPR dont il fut l’un des piliers lors de sa création avec Charles Pasqua et Jérôme Monod. D’une intelligence supérieure, il est également surdiplômé, normalien agrégé de lettres et sorti dans la botte de l’ENA pour devenir inspecteur des finances. Contrairement à Copé ou Fillon qui sont bien souvent dans l’excès et dans la surenchère vis-à-vis du FN, Juppé est beaucoup plus modéré et nuancé. En d’autres termes il rassure. Le statut de « sage » lui a d’ailleurs été décerné quand il fut désigné pour arbitrer le conflit Copé Fillon pour la présidence de l’UMP en novembre 2012.

Parallèlement, Juppé porte aussi quelques étiquettes qui lui collent à la peau. Tout d’abord, il incarne une technocratie psychorigide, déconnectée de la réalité du terrain et des préoccupations du peuple. Conscient de sa valeur, il ne supporte pas la contradiction et peut être extrêmement cassant, ce qui ne le rend pas particulièrement sympathique aux yeux des Français… Sur ce point, il est à l’inverse de Jacques Chirac qui était spontanément apprécié pour son humour et sa proximité, ce qui en faisait une star du salon de l’agriculture, sans parler des meetings et des bains de foule. Il est vrai que cela ne s’apprend pas à l’ENA… L’ancien chef du gouvernement est également resté tristement célèbre pour avoir provoqué la grande grève de l’hiver 1995 liée à la réforme des retraites qui paralysa la France, puis pour avoir reculé. Premier ministre très impopulaire, il apparaît aujourd’hui comme l’homme du passé voire du passif… Alors que la France doit se moderniser et que la parole politique est largement discréditée, avec Juppé, on aurait un peu l’impression de faire du neuf avec du vieux. Les Français aspirent à un vrai changement voire à une vraie rupture et l’ancien chef du gouvernement ne semble pas pour l’instant en mesure de l’incarner.

Cependant, il est vrai que depuis qu’il est maire de Bordeaux, Juppé, à l’instar des vins de sa région, s’est bonifié. Ainsi sa personnalité a évolué dans le bon sens, il s’est adouci et est devenu plus proche des Français, du moins en apparence. Certes, l’actuel maire de Bordeaux reste toujours très bas dans les sondages d’opinion mais il ne faut pas oublier que les élections présidentielles sont souvent source de surprises et de coups de théâtre. Dans le contexte actuel, ce serait donc une erreur de l’évincer de la course à la présidentielle car il pourrait bien créer la surprise. A suivre… 

 

La phrase de la semaine :

«François Hollande avait dit que j’incarnais physiquement l’impôt. Eh bien je crois qu’il fait mieux que moi. » De Alain Juppé au « Grand Jury-RTL- Le Figaro. »

 

                                                                                                                            rôme Boué