Dette publique et chômage en France : toujours plus… (E&S n°266)

Humeur :

Dette publique française : Veni, Vidi, MoscoVici…

Quel scoop ! Le ministre de l’économie Pierre Moscovici vient d’admettre que la dette publique française atteindra 2000 milliards d’euros en 2014. Mais attention, nous-a-t-il déclaré : il s’agira d’un « maximum » avant un repli dès 2015. Ouf ! Sauvé par le gong !

Franchement, il devient vraiment urgent que les membres du gouvernement et en particulier le Ministre de l’Economie arrêtent de prendre les Français pour des candides et cessent de faire des promesses qu’ils ne peuvent pas tenir. Tout d’abord, l’atteinte de la barre des 2000 milliards d’euros par la dette française en 2014 n’est pas une nouveauté. Je l’annonçais déjà dans mon dernier livre « Le dictionnaire terrifiant de la dette » publié en mars dernier.

Pourtant, je ne suis qu’un simple économiste issu des cités HLM d’Orly et qui n’a pas eu la chance d’intégrer les écoles prestigieuses telles que l’ENA ou Polytechnique. C’est d’ailleurs à se demander ce qu’on y enseigne, car, en tant que bon énarque, M. Moscovici devrait tout de même savoir qu’il n’est possible de baisser la dette publique qu’en générant des excédents publics. La dernière fois qu’un grand pays a baissé sa dette publique c’était aux Etats-Unis à la fin des années 1990 et début des années 2000, grâce à la croissance forte des années 1990 et à un excédent primaire (c’est-à-dire hors charge d’intérêt de la dette) de 1995 à 2001.

Or, même en embauchant David Copperfield à Bercy, le solde des comptes publics ne pourra pas passer d’un déficit de plus de 4,1 % en 2013 à un excédent en 2015. Surtout que la croissance est et restera faible. Depuis six ans, son niveau annuel moyen est de 0 % et ne devrait guère dépasser les 0,8 % de 2013 à 2015. Un niveau hautement insuffisant ne serait-ce que pour assurer chaque année le paiement des intérêts de la dette. Autrement dit, pour financer ces derniers, l’Etat doit encore s’endetter. C’est ce que l’on appelle la bulle de la dette, c’est-à-dire que cette dernière s’autoalimente.

Pis, jusqu’à présent, l’Etat français a pu bénéficier de taux d’intérêt artificiellement bas pour financer ses déficits. Depuis quelques mois, ceux-ci se tendent et vont continuer de croître au cours des prochains trimestres. Autrement dit, nous sommes très loin du cycle idyllique annoncé par M. Moscovici. Bien sûr, tout gouvernement a pour habitude d’utiliser la méthode Coué. Seulement voilà, s’il est normal de rester optimiste, il faut avant tout devenir réaliste.

Or, c’est exactement le contraire qui prévaut avec les prévisions du gouvernement selon lesquelles le ratio dette/PIB « diminuera de deux points par an en moyenne », grâce au « retour à un équilibre structurel des finances publiques et une croissance de l’activité de 2% en volume. » Cela fait plus de vingt ans que tous les gouvernements ont bâti leurs prévisions de déficit et de dette sur une croissance d’environ 2 %. Avec les piètres résultats que l’on sait. De 20 % en 1980, le ratio dette publique/PIB est passé à 60 % au début de la décennie 2000 à bientôt 100 %.

Car, ne nous leurrons pas, compte tenu de la persistance d’une croissance faible et d’un déficit structurel élevé, la dette publique continuera de flamber. Encore une fois, nous avons tous envie de croire à une accélération de la croissance et à l’avènement d’une ère d’excédents publics, seulement voilà, nous ne vivons pas dans le monde des Bisounours. Et surtout, pour relancer la croissance, il faut prendre des mesures adéquates. Or, l’augmentation des impôts et des dépenses publiques va exactement dans le sens inverse.

En effet, l’emploi du qualificatif « maximum » pour la dette publique est particulièrement déplacé. Une fois encore, le gouvernement joue avec la faible culture économique des Français, qui est d’ailleurs alimentée à l’envi par l’éducation nationale et par de trop nombreux médias. Il faut être clair : l’idée d’une dette publique maximum, c’est-à-dire qui ne pourrait aller au-delà d’un certain niveau, n’a aucun sens. Avec un ratio dette publique/PIB de 240 %, le Japon en sait quelque chose. Tant que la croissance structurelle n’est pas relancée et que les déficits publics restent la norme, la dette publique va forcément continuer d’augmenter.

Les trous béants « de la sécu » et de la retraite ne vont évidemment pas arranger les choses. D’autant que la réforme a minima de la retraite par répartition est déjà caduque et aura comme principal effet d’accroître la dette publique. De plus, n’oublions pas que, par convention comptable, la dette publique française (comme ses homologues européennes d’ailleurs) n’intègre pas le « hors-bilan », c’est-à-dire le paiement des retraites des fonctionnaires. Si tel était le cas, nous serions déjà autour des 120 % du PIB.

En conclusion, à force de formuler des promesses intenables et de pratiquer de tels effets d’annonce qui tiennent davantage de l’abus de langage que de l’analyse économique, le gouvernement français réduit le peu de crédibilité qui lui reste. Dans ce cadre, il faut se préparer à une sanction qui sera lourde de conséquences : dans les tous prochains mois, la note de la dette publique française sera nettement abaissée.

Même si les agences de notation ne sont plus très crédibles également, cela suscitera une forte remontée des taux d’intérêt des obligations à dix ans de l’Etat français, au moins à 3,5 %. Dès lors, l’investissement et la consommation reculeront de plus belle, avec in fine, le retour fracassant de la récession. Comme celles de ses prédécesseurs, les prévisions de M. Moscovici finiront donc aux oubliettes. Ce ne sera donc pas veni, vidi, vici (« je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu »), mais plutôt veni, vidi, perdidi (…j’ai perdu)…

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

La chute de Lehman Brothers… cinq ans déjà…


« L’Histoire des hommes n’a jamais été que l’histoire de leur faim ». Cette formule de Jean Guéhenno prend un sens tout particulier en cette période. Il y a cinq ans en effet, la banque d’investissement Lehman Brothers disparaissait de l’échiquier financier mondial. Comment cette petite société créée en 1850 à Montgomery en Alabama par les frères Emanuel et Mayer Lehman, puis devenue un des temples de la finance mondiale, a-t-elle pu faire faillite du jour au lendemain ? Retour sur un des évènements les plus marquants de ce début de siècle…

Une petite histoire américaine…

Toute ressemblance avec des personnages existants ou ayant existé ne saurait être que fortuite… mais n’aurait rien de surprenant. Ce 16 mai 2002, Monsieur et Madame Bird se rendent dans leur agence bancaire de Lewisville au Texas afin de contracter un crédit immobilier. L’accès à la propriété, un rêve quasi inaccessible pour ce couple aux trois enfants dont les revenus ne sont que très modestes. Pourtant, les conditions de taux historiquement bas depuis 2001 ont fait naître en eux beaucoup d’espoir. C’est Monsieur Wolf qui les reçoit, jeune conseillé bancaire qui, à en croire les propos de ses supérieurs, est promis à une grande carrière. Poignée de main ferme et formules de politesse échangées, le rendez-vous peut enfin débuter. Et il durera plus d’une heure. Après d’âpres négociations, Wolf consent finalement à octroyer aux époux Bird un crédit sur trente ans avec des modalités à priori avantageuses ; taux d’intérêt proche de 0% pendant les deux premières années puis variable, et constitution d’une hypothèque. Le jeune banquier mise alors clairement sur la poursuite de la hausse des prix de l’immobilier pour se couvrir d’un éventuel défaut de l’emprunteur.

Néanmoins, les arbres ne montent pas jusqu’au ciel et la suite de l’histoire est malheureusement bien connue de tous. En 2004 en effet, pour faire face aux pressions inflationnistes, le président de la Federal Reserve (Fed) Alan Greenspan procéda à une série de remontées de taux. L’endettement du couple Bird devint alors rapidement insupportable en raison d’un contrat à taux variable ; dans le même temps, Wolf assista avec stupeur au retournement du marché immobilier et compris que sa carrière ne serait pas aussi brillante que prévue. Prise isolément, cette histoire, aussi triste soit-elle pour nos protagonistes, ne présente aucun intérêt macroéconomique. En revanche, quand il existe une multitude de messieurs Wolf et de familles Bird au sein d’une économie, les conséquences sont nettement plus graves. Tels sont les prémisses d’une crise dont l’ampleur sera dans un premier temps national, puis s’étendra au-delà des frontières et des océans.

… qui se transforma en une crise mondiale

Les instituts de crédits américains étaient pourtant contraints par la réglementation et ne pouvaient en théorie pas accorder des prêts de manière excessive. En théorie seulement. Issue de l’innovation financière, la titrisation leur a effectivement permis de contourner les règles et de sortir de leurs bilans de nombreuses créances. Dès lors, une large gamme de titres, dont les appellations se résument le plus souvent en trois ou quatre lettres (ABS, CDO, RMBS et autres CMBS), s’est déversée sur les marchés internationaux. Un triste succès qui trouve son origine notamment dans l’anomalie du couple rendements-risques ; en effet, ces créances titrisées offraient de hauts rendements et, à en croire l’appréciation des agences de notation, ne présentaient que peu de risque. Mais en 2007, des premières tensions apparurent sur les marchés et de grandes banques internationales annoncèrent d’importantes provisions à l’instar de HSBC en février et de BNP Paribas contrainte en juillet de geler trois fonds monétaires dynamiques.

Une crise de confiance générale s’installa progressivement dans le système financier et engendra de fait une chute des marchés boursiers au dernier trimestre 2007. Ce n’était pourtant que le début et les choses allaient s’envenimer au cours de l’exercice 2008. Au mois de mars, la banque d’affaire américaine Bear Stearns fut ainsi sauvée in extremis de la faillite par JPMorgan Chase & Co. En grande difficultés, ce sont les sociétés de crédits hypothécaires Fannie Mae et Freddy Mac qui furent ensuite nationalisées. C’est finalement dans la nuit du 14 au 15 septembre que la crise bancaire se muta en une crise financière sans précédent depuis celle de 1929. Deux faillites y furent en effet prononcées ; si la première fut virtuelle (Merrill Lynch put compter sur le soutien de Bank of America) la deuxième fut bien réelle et constitua un véritable séisme financier. La chute de Lehman Brothers, banque d’investissement vieille de plus de 150 ans, surprit l’ensemble des investisseurs internationaux et marqua la fin du too big to fail. La méfiance entre établissements bancaires atteignit alors son paroxysme et le marché interbancaire connu un arrêt total. Entreprises et ménages n’eurent ainsi plus accès au crédit bancaire et de nombreuses économies industrialisées entrèrent en récession au premier trimestre 2009.

Cinq années plus tard, tous les dogmes sont tombés

Si beaucoup de choses ont été racontées quant aux conditions de mise en faillite de Lehman Brothers, force est de constater que cet évènement a marqué tant la sphère financière que la sphère économique réelle. Et de nombreux dogmes ont aussitôt été bottés en touche à l’instar de la fameuse dichotomie classique mise en évidence il y a deux siècles par Adam Smith, David Ricardo ou encore John Stuart Mill. Face à la crise économique et financière, les Etats occidentaux n’eurent par ailleurs pas d’autres choix que d’apporter leur soutien financier non seulement aux systèmes bancaires mais aussi à l’économie réelle. Et quand beaucoup d’économistes et journalistes vantèrent les mérites du keynésianisme, les soldes budgétaires de nombreux pays dérapèrent nettement, plongeant certains d’entre eux dans la crise de la dette souveraine. La chute de Lehman Brothers, ses causes et ses conséquences ne semblent ainsi correspondre à aucune grande théorie économique mais plutôt à un mixte entre la science économique et des sciences comportementales telles que la psychologie et l’anthropologie.

Cinq ans jour pour jour après la faillite de Lehman Brothers, il paraît évident que si cela était à refaire, les actes seraient différents. En témoigne notamment la faillite virtuelle de la Grèce et les centaines de milliards dépensés afin de maintenir le pays en vie. Par ailleurs, malgré la bonne tenue récente des marchés boursiers mondiaux, cette longue crise n’est pas encore finie. De trop nombreuses questions continuent en effet de hanter l’esprit des agents économiques dont notamment le futur de la politique monétaire de la Fed et les conséquences économiques et sociales liées à l’arrêt du quantitative easing. Et si Lehman Brothers est un évènement fondamental de l’Histoire économique, nul doute que les prochains discours du banquier central américain auront une influence majeure sur la suite de l’Histoire…

 

 

Anthony Benhamou

 



Les évènements à suivre du 23 au 27 septembre :


France : toujours plus de chômage et plus de dette.


 

Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :

Nos prévisions économiques et financières pour 2013-2014 :

Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf