France, Allemagne : retrouver l’envie… (E&S n°265)

Humeur :

La France de Hollande : envie de rien, besoin de sous.

Le Président Hollande et le gouvernement Ayrault ont beau multiplier les effets d’annonce et user à l’excès de la méthode Coué, la réalité est malheureusement bien différente. Tout d’abord, de plus en plus de statistiques, bizarrement occultées par le plus grand nombre, ne cessent de confirmer que le tube de l’été « la reprise est là » ne passera pas l’automne. Comme la liste est longue, nous ne citerons que les évolutions les plus marquantes et par là même les plus inquiétantes : baisse annuelle de 10,9 % des immatriculations de voitures neuves en août ; recul de 0,6 % de la production industrielle en juillet, après déjà une baisse de 1,4 % en juin ; cinquième trimestre consécutif de baisse de l’emploi marchand (soit 155 300 destructions d’emplois nettes depuis le deuxième trimestre 2012) ; indices PMI des directeurs d’achat dans l’industrie et les services toujours faibles, avec des niveaux de respectivement 49,7 et 48,9 en août, ce qui indique que l’activité ne redémarre toujours pas significativement ; enfin, annonce par les chefs d’entreprise interrogés par l’INSEE d’une baisse de 6 % des investissements en valeur dans l’industrie manufacturière.

A l’évidence, nous sommes très loin de la reprise forte et très proche d’une rechute dans les tous prochains mois. Et ce, d’autant que les taux d’intérêt des emprunts d’Etat ont repris le chemin de la hausse, passant de 1,6 % en mai dernier à plus de 2,6 % aujourd’hui. Pis, cette tension devrait se poursuivre et accélérer au cours des prochains trimestres. En effet, jusqu’à présent les investisseurs ont été plutôt bienveillants à l’égard des bons du Trésor français. Il faut dire qu’avec la facilité de caisse illimitée donnée par la BCE aux banques, celles-ci achètent massivement des obligations d’Etat et notamment de l’Etat français. De même, davantage inquiétés par les risques militaires en Syrie, les marchés ont quelque peu délaissées les préoccupations de déficits publics. Seulement voilà, il faudra tôt ou tard se réveiller et reconnaître que la situation des finances publiques françaises est bien plus grave qu’anticipé.

Le gouvernement commence d’ailleurs à admettre que les déficits seront bien plus importants que prévu. Ce n’est pas trop tôt. Mais que de retard et de contorsions… Faut-il effectivement rappeler qu’en décembre 2012, Monsieur Ayrault maintenait, coûte que coûte, que le ratio déficit public/PIB serait de 3 % en 2013 (!). A l’époque, nous soutenions que ce dernier serait d’au moins 4 %, et on nous disait : « oh non, vous allez trop loin, vous être trop pessimistes ! » Et pourtant ! Après avoir révisé leur prévision à 3,7 %, le gouvernement et son ministre de l’économie nous parlent désormais d’un niveau de 4,1 %. En fait, il sera plutôt de 4,5 %, soit 1,5 point de plus que la prévision gouvernementale initiale.

Face à ce dérapage insupportable, on aurait pu attendre du gouvernement un virage à 180 degrés de sa politique économique. Mais, non, une fois encore, le dogmatisme l’emporte. Ainsi, bien loin de la pause fiscale tant annoncée, les impôts vont encore augmenter en 2014, sachant qu’ils ont déjà atteint des niveaux historiques et confiscatoires en 2013. Dans le même temps, on nous promet bien sûr une baisse de 15 milliards des dépenses publiques, sans nous dire comment elle s’opérera et surtout en omettant de souligner qu’il ne s’agit en fait que d’une moindre augmentation par rapport à la hausse tendancielle qui était initialement prévue.

Autrement dit, Mesdames, Messieurs, nous avons la tristesse de vous annoncer qu’après avoir déjà atteint des sommets historiques en 2013, les ratios prélèvements obligatoires/PIB et dépenses publiques/PIB vont encore battre des records en 2014. Le premier devrait passer de 46,5 % à 47 % et le second de 57 % à 57,5 %. D’où une question basique mais vitale : jusqu’où allons-nous aller ?

Le gouvernement lui-même commence à admettre l’idée d’un ras-le-bol fiscal. Pourtant, il continue d’augmenter la pression fiscale. A croire qu’il souffre d’une véritable crise de schizophrénie. Et c’est bien là que le bât blesse. Car, à force de ponctionner les entreprises et les ménages, tout en augmentant les dépenses publiques de fonctionnement, le gouvernement est en train de casser la corde qui permettait aux entreprises de continuer à investir et à embaucher malgré une pression fiscale et réglementaire prohibitive.

En d’autres termes, il est en train de casser l’envie d’entreprendre, d’investir, d’embaucher, de consommer. Or, sans envie, pas de croissance, ni d’emploi, donc plus de chômage et de déficit public. De quoi accroître le besoin de financement de l’Etat, tout en réduisant la crédibilité (déjà bien faible) de ce dernier, qui devra alors payer des taux d’intérêt de plus en plus élevés. D’où une nouvelle vague de baisse de l’investissement et de la croissance, donc plus de déficits, plus de dette et le cercle pernicieux continuera et s’envenimera.

Si le Président Hollande et le gouvernement Ayrault veulent sortir la France de la crise, ils doivent donc très vite redonner l’envie aux entreprises et aux ménages français. Non avec des beaux discours, des projets industriels qui sortent d’un chapeau et des belles promesses qui n’engagent que ceux qui y croient, mais avec des mesures concrètes. Voici celles qui nous paraissent indispensables : baisse des impôts pour tous (notamment l’impôt sur les sociétés et la CSG, ce qui permettrait de donner du pouvoir d’achat à tous très rapidement), vraie diminution des dépenses publiques, notamment de fonctionnement, réduction du coût du travail et des rigidités qui pèsent sur le marché de l’emploi. Voilà ce dont l’économie française a besoin pour retrouver l’espoir, le dynamisme et la croissance forte.

En revanche, si les dirigeants français continuent de se voiler la face, de faire de la méthode Coué et de favoriser le dogmatisme, alors la sanction tombera : les taux d’intérêt des obligations à dix ans de l’Etat français se tendront fortement, au moins à 3,5 %, et la récession reviendra. Et oui, en économie, comme en géopolitique, ce qui compte ce ne sont pas les mots, mais les actes…

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

Et si l’avenir économique de la France était entre les mains du peuple allemand ?


Avis à tous ceux qui n’auraient pas suivi l’actualité de ces dernières semaines ; la France reprend très timidement le chemin de la croissance. C’est du moins ce qui ressort des prévisions d’institutions telles que la Banque de France et de l’OCDE. Mais à l’heure où un énième dérapage budgétaire semble inévitable, c’est un élément extérieur qui pourrait bousculer ce début d’euphorie, à savoir les élections allemandes du 22 septembre.

La reprise française unanimement saluée dans un contexte vulnérable ; ce qu’on veut voir et ce qu’on ne veut pas voir.

En son temps, l’économiste français Frédéric Bastiat insistait sur la distinction entre « ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas ». Chaque intervention de l’Etat engendre effectivement un effet immédiat et visible, puis une multitude d’autres effets moins visibles et souvent non désirés. Et quand le mauvais économiste se contente d’analyser « ce qu’on voit », le bon économiste a une vision de plus long terme et peut même s’essayer à anticiper des effets « qu’on ne voit pas » séance tenante. Près de 150 ans plus tard, il est possible d’adapter cette distinction à la situation économique française. Mi-août en effet, l’INSEE a annoncé une croissance du PIB de 0,5% au deuxième trimestre, permettant à l’hexagone de sortir de la récession. Dès lors, les mauvais économistes ont souligné que la reprise s’expliquait par le net rebond de la consommation, synonyme du regain de confiance des ménages… C’est ce qu’on veut voir. Pour être plus précis pourtant, il convient de souligner que la hausse de la consommation des ménages s’explique en grande partie par des dépenses d’énergie inhabituelles, dues à un hiver prolongé et un printemps quasi inexistant… C’est ce qu’on ne veut pas voir, à l’instar du recul de l’investissement privé pour le septième trimestre consécutif.

Si les chiffres publiés par l’INSEE doivent de fait être maniés avec précaution, force est néanmoins de constater qu’un vent d’euphorie souffle depuis sur l’économie française. Le gouvernement ne manque d’ailleurs pas d’insister sur le caractère tenable de la reprise économique et tente de l’entretenir à travers des déclarations rassurantes faisant état, notamment, d’une « pause fiscale ». Prophéties auto-réalisatrices ? Possible, surtout que l’optimisme français est conforté par un relèvement des prévisions de croissance en provenance d’institutions crédibles. C’est ainsi que l’OCDE a récemment annoncé qu’elle tablait sur une hausse du PIB français de 0,3% en 2013, contre une contraction initiale de 0,3%. De même quelques jours plus tard, les économistes de la Banque de France ont annoncé une croissance du PIB français de 0,2% pour le troisième trimestre contre une prévision initiale de 0,1%. Si techniquement la récession appartient au passé, l’économie française demeure cependant vulnérable et la reprise n’est pas si évidente. En effet, la courbe du chômage tarde sérieusement à s’inverser tandis que les taux de l’OAT 10 ans subissent une remontée progressive, mais certaine, atteignant actuellement leur plus haut de l’année. Plus inquiétant encore, la France devrait connaître une sortie de route budgétaire plus violente que prévue ; si le ministre de l’économie, Pierre Moscovici évoque pour le moment un déficit budgétaire de 4,1%, l’exercice 2013 pourrait en fait se solder par un déficit proche des 4,5%… bien loin des 3,7% concédés par la Commission européenne à la fin du mois de mai.

Le contexte économique actuel s’avère ainsi franchement hésitant et l’hexagone tangue entre le bon (reprise balbutiante et hausse des indices de confiance) et le mauvais (fortes tensions sur les marchés obligataires et chômage record). Et, aussi surprenant que cela puisse paraître, c’est probablement un élément extérieur qui devrait faire pencher la France d’un des deux côtés de la balance ; les élections fédérales allemandes.

A la tête de quelle coalition Angela Merkel dirigera-t-elle l’Allemagne durant les quatre prochaines années ?

Outre-Rhin en effet, le peuple allemand se rendra aux urnes le 22 septembre prochain pour élire ses députés fédéraux. Et sans grande surprise, Angela Merkel devrait être reconduite à la tête du pays. Opposée au social-démocrate Peer Steinbrück, l’actuelle chancelière qui brigue un troisième mandat arrive en effet en tête de tous les sondages. Toutefois, l’importance de la primauté de la CDU de Merkel sur le SPD de Steinbrück ne constitue qu’un détail et la véritable énigme de cette élection réside dans le choix des allemands quant à la coalition qui gouvernera le pays. Un élément dont le suspense demeure intact et dont les conséquences sur l’Europe, et en particulier sur la France, pourraient s’avérer désastreuses en termes de politique économique. En effet, si les libéraux du FDP réussissent à franchir la barre des 5% des suffrages exprimés, ils pourront siéger au sein du Bundestag et Merkel pourra ainsi renouveler sa coalition conservatrice. En revanche, si le parti libéral est devancé par des petits partis, Merkel devra changer de coalition et probablement y intégrer des membres du SPD et du parti vert. C’est donc le ton qu’adoptera Berlin au sein de l’Union européenne qui se joue lors de ce rendez-vous électoral, plutôt que le leadership de Merkel.

Historiquement, les allemands ont toujours accordé leur confiance au parti libéral qui, bien que souvent minoritaire, a toujours réussi à jouer un rôle incontournable dans la codirection du pays. L’absence de ce parti au sein du Bundestag constituerait ainsi une véritable surprise qui changerait toute la donne en Europe et couronnerait les tenants de la relance. Un temps envisagé, notamment du fait de la percée de Alternative für Deutschland, le parti anti-Euro, cette hypothèse semble néanmoins de moins en moins crédible. Et si Merkel parvenait à renouveler sa coalition (chrétiens-démocrates et libéraux), il est à peu près certains que tous les membres de l’Union européenne, sans exception, devront continuer de composer avec le « LA » allemand, comprenez celui de la compétitivité des entreprises et de la maîtrise des finances publiques. Tous sans exception ? Ja, France comprise. Car, si jusque-là l’hexagone a été épargné par la Commission européenne, Berlin pourrait bien suggérer à Bruxelles de durcir son discours afin que le gouvernement français entreprenne de réelles réformes structurelles, respecte ses objectifs budgétaires et cesse de célébrer le retour d’une croissance qui pour le moment s’avère bien molle.

François Hollande, qui était apparu comme le leader des tenants de la relance lors du sommet européen pour le budget 2014-2020, devra donc compter sur un bon score des partis de l’opposition allemande pour pouvoir contempler l’émergence d’une « grande coalition », synonyme de redistribution des cartes en Europe. Dans le cas contraire en revanche, Merkel n’accordera aucun cadeau au président français qu’elle n’avait d’ailleurs pas soutenu aux élections de 2012. Au pied du mur, le gouvernement français pourrait alors être contraint par Bruxelles (à travers la voix de Berlin) d’amorcer de douloureuses et véritables réformes. Or, une telle situation pourrait favoriser la croissance d’un sentiment d’euroscepticisme au sein de la population française ainsi que la montée des extrêmes. Une bonne dose de clarté dans les discours, de pédagogie et de courage politique semble aujourd’hui être la seule solution pour éviter une telle déconvenue… sauf à adopter volontairement la stratégie du « c’est pas nous, c’est les allemands ».

 

 

Anthony Benhamou

 



Les évènements à suivre du 16 au 20 septembre :


L’inflation recule encore des deux côtés de l’Atlantique.


 

Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :

Nos prévisions économiques et financières pour 2013-2014 :

Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf.