Retraite, impôt, croissance : une rentrée difficile… (E&S n°264)

Humeur :

Retraites en France : encore une réforme a minima pour une sanction a maxima.

Sans surprise, la nouvelle énième “réforme” des retraites n’a fait que colmater des brèches sans résoudre les questions de fond. Il faut donc se préparer à une nouvelle réforme dans quelques années, mais surtout à une sanction des investisseurs dans les tous prochains mois. Voici six questions et six réponses qui mettent les points sur les « i ».

1. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault a décrit la réforme des retraites présentée mardi 27 août comme « responsable, juste, équilibrée et structurelle. » Peut-on tout d’abord considérer qu’elle est structurelle et suffisante alors que le gouvernement s’en tient à un allongement de la durée de cotisation à 43 annuités à compter de 2035 ?

Il ne s’agit que d’une réformette qui ne résout absolument pas le problème structurel de financement de la retraite par répartition. Lorsque cette dernière a été créée et jusqu’au début des années 1970, on comptait près de 3,5 actifs pour un retraité. Le financement de ce système consistant à faire payer les retraités par les actifs ne posait donc aucun problème. Pourtant, on savait déjà que ce « système Ponzi » finirait forcément par exploser à partir du moment où les effets du baby-boom de l’après-guerre s’inverseraient. « Dans les années 2010 », disait-on à l’époque, et cela paraissait bien loin. Aujourd’hui, on ne recense plus que 1,51 actif pour un retraité. À l’instar du système Madoff qui s’est effondré lorsque les nouveaux cotisants n’étaient plus suffisamment nombreux par rapport aux anciens, le système de retraite par répartition à la française est voué à l’explosion. Souligner une telle réalité ne relève pas de la politique, ni même de l’économie, mais tout simplement de la mathématique. Pourtant, en dépit d’une telle évidence, les dirigeants français continuent de vouloir maintenir le statu quo, à quelques artifices près.

2. La réforme des retraites de Jean-Marc Ayrault ne table pas sur une convergence des régimes spéciaux et du régime général. Les disparités de calcul des pensions des régimes du privé et du public sont également maintenues. Peut-on dans ces conditions parler de réforme juste ? Ou une réforme juste impliquerait-elle de supprimer les régimes spéciaux ?

Effectivement, nous sommes très loin d’une véritable justice. Chaque individu est capable de comprendre que s’il vit plus longtemps (et c’est tant mieux), il doit forcément cotiser plus pour garder le même niveau de prestations retraites qu’avant. En revanche, il doit aussi avoir la certitude que ces cotisations supplémentaires ne serviront pas simplement à entretenir le « mammouth » ou à payer des personnes qui ont beaucoup moins cotisé que lui. La suppression des régimes spéciaux est inévitable si l’on veut sauver le système de retraite par répartition, mais le gouvernement actuel, comme d’ailleurs ses prédécesseurs depuis vingt ans, a eu peur de s’attaquer à ce dogme.

3. La réduction du déficit du système de retraite passera par une augmentation des cotisations sociales (salariales et patronales) et donc un alourdissement du coût du travail. Où en est la recommandation émise dans le rapport Moreau de rendre le système des retraites « moins sensible aux variations de la croissance » ?

Tout alourdissement du coût du travail est une erreur stratégique et ne fera qu’aggraver la mollesse de l’économie française, avec faible croissance et chômage élevé à la clé. Plus globalement, la réformette Ayrault se contente d’établir des prévisions de croissance et de chômage irréalistes, avec des colmatages de brèches en tous genres, des saupoudrages de mesurettes et une augmentation des impôts qui pèsera principalement sur les entreprises. Autrement dit, beaucoup de bruit et de marketing pour pas grand-chose et surtout pour beaucoup d’inefficacités.

4. Si le gouvernement souhaite effectivement réduire le coût du travail doit-on s’attendre à une hausse de la CSG en 2014 en compensation du manque à gagner d’une réduction des charges patronales ?

Surtout pas. Nous avons déjà l’une des pressions fiscales les plus élevées du monde. L’aggraver encore serait suicidaire pour notre croissance et nos emplois. Ne l’oublions pas, pour résoudre définitivement le problème du financement de ces retraites, il faut d’abord restaurer durablement la croissance. Or, pour y arriver, il est indispensable de réduire la pression fiscale qui pèse sur les entreprises et les ménages, tout en diminuant les dépenses publiques de fonctionnement.

5. Les mesures proposées peuvent-elles s’avérer non seulement inefficaces mais aussi nocives économiquement ?

Malheureusement oui, puisqu’elles vont casser le peu de croissance qui nous reste et aggraver le chômage. Compte tenu de la faible crédibilité de cette réforme, il faut également se préparer à une nouvelle dégradation de la note de la dette publique française dans les prochains mois. D’où une augmentation des taux d’intérêt, impliquant moins de croissance, plus de déficits, plus de trous des retraites et de la sécu…

6. En quoi consisterait une réforme des retraites véritablement juste et structurelle ?

Parallèlement à la restauration de la croissance (évoquée plus haut), la solution devra passer par une plus grande responsabilisation des Français face à leur retraite et par une harmonisation de l’ensemble des systèmes. Ensuite, chacun pourra choisir : partir tard ou tôt à la retraite et, en fonction de son choix, recevoir plus ou moins de pensions. Dans le même temps, il faudra forcément soutenir le système par répartition avec une retraite par capitalisation qui permettra aux retraités de toucher l’ensemble des sommes collectées pendant leur vie active, soit d’un seul coup, soit sous forme de rente. Les deux mots clés du sauvetage de la retraite française sont donc « responsabilité » et « liberté ». Il n’est plus possible de continuer à entretenir la déresponsabilisation des Français à l’égard de l’économie en général et des systèmes sociaux en particulier, en trouvant constamment des boucs émissaires à nos problèmes, et en défendant qu’il suffit d’augmenter les impôts pour résoudre les questions difficiles.

Marc Touati



Quid de l’économie et des marchés cette semaine :

Trop d’impôt tue l’impôt… et la croissance.


Comme chaque année, l’apparition des avis d’impositions dans les boites aux lettres marque la fin des vacances et le retour à la réalité. Et en cette fin d’été, la réalité s’avère bien compliquée tant la facture a augmenté. Pire, l’accroissement de la fiscalité devrait se poursuivre l’année prochaine. Si vous avez râlé en 2013, alors vous allez détester 2014…

La pression fiscale atteindra en 2014 un pic historique.

Le temps des promesses semble si loin… et pourtant c’était il y a seulement un peu plus d’un an. Le candidat François Hollande garantissait alors qu’il reviendrait sur le gel du barème de l’impôt sur le revenu, « cette ponction injuste » instaurée par le gouvernement Fillon. Arrivé au pouvoir, le président normal oublia finalement son engagement de campagne, mais le chef du gouvernement, Jean-Marc Ayrault, s’empressa de rassurer la population. C’est ainsi qu’il déclara en septembre 2012 que « neuf français sur dix ne seront pas touchés par de nouvelles hausses d’impôts et de taxes ». Mieux encore, le ministre de l’économie, Pierre Moscovici, ajouta que « neuf français sur dix verront leur impôt soit baisser, soit rester stable ». Mais les promesses n’engagent que ceux qui y croient et, à l’heure de la rentrée, l’addition s’avère salée pour beaucoup de français. Environ 55% des foyers fiscaux ont effectivement vu leur impôt sur les revenus perçus en 2012 augmenter par rapport à l’impôt portant sur les revenus de 2011… bien loin du « neuf français sur dix ».

L’augmentation de la pression fiscale ne constitue toutefois pas une réelle surprise au regard du dérapage budgétaire de l’exercice 2012. De nombreux ménages avaient d’ailleurs intégré cette hausse dans leur budget tout en sachant « qu’aucun effort supplémentaire » ne leurs serait demandé, comme l’avait promis le président de la République en mars 2013. Mais, à nouveau, en raison de la fragilité des équilibres budgétaires, la fiscalité va continuer de s’alourdir en 2014. Et les ménages, dont le pouvoir d’achat est sans cesse grignoté, seront encore mis à contribution. En effet, outre les probables reconductions des mesures portant sur l’impôt sur le revenu (à l’exception du gel du barème), ils subiront dès le 1er janvier 2014 l’accroissement des prix à la consommation du fait du relèvement de la TVA dont le taux normal passera de 19,6% à 20% et le taux intermédiaire de 7% à 10%. Par ailleurs, dans le cadre des négociations sur les retraites, les actifs, à l’instar des entreprises, endureront une hausse de leurs cotisations sociales de 0,15%, élément qui participera à creuser l’écart entre salaire brut et salaire net. Enfin, comme une cerise sur le gâteau fiscal, le gouvernement a récemment annoncé la création d’une contribution climat énergie, une sorte de taxe carbone déguisée, censée « verdir » le comportement des français.

A travers cette action, quel est donc l’objectif du gouvernement qui, à en croire les propos du ministre de l’économie Pierre Moscovici, est « sensible au ras-le-bol fiscal » des ménages et des entreprises ? Une overdose généralisée qui se traduit notamment par le poids de la fiscalité dans le PIB hexagonal qui atteindra 46,5% en 2014 contre 44,9% en 2012 et 42,5% en 2010. Cette situation confère à la France une place sur le podium des Etats dont la fiscalité est la plus lourde en Europe (derrière le Danemark et la Suède). C’est dans ce cadre que le FMI suggère à la France de s’attaquer à la dépense publique, mettant notamment en avant que les hausses d’impôts pourraient brider la consommation et l’investissement des agents économiques, faisant ainsi peser un véritable risque sur la croissance économique (déjà bien molle) et surtout sur l’emploi. Le vice-président de la Commission européenne, Olli Rehn, ajoute pour sa part que la fiscalité en France a atteint un « seuil fatidique ». Ces réactions ont ainsi incité le gouvernement à annoncer une modification de la clé de répartition des efforts. Le ministre de l’économie indiquait ainsi il y a quelques jours que la réduction des déficits passerait pour un tiers par la hausse des impôts et pour deux tiers par la baisse de la dépense publique. Pour le moment néanmoins, aucune précision n’a encore été apportée quant aux postes qui pourraient, éventuellement, être rabotés… 

Les conséquences économiques et sociales d’une nouvelle hausse de la fiscalité.

Cependant, au regard des nombreuses promesses vaines faites en 2012 et au premier trimestre 2013 par le gouvernement (ce qui ne constitue pas un élément propre à la gauche française), il est actuellement difficile d’accorder du crédit à une hypothétique modification de la répartition des efforts entre contribuables et Etat. Tout au plus, il convient d’espérer que la dépense publique se stabilise à défaut de diminuer. D’un point de vue macroéconomique, la hausse des impôts devrait donc provoquer un choc négatif sur le PIB français via l’effet du multiplicateur. Pour rappel, ce mécanisme mis en évidence par l’économiste John Maynard Keynes implique qu’un Euro dépensé/économisé par l’Etat génère une hausse/perte de revenu pour l’économie nationale, supérieure, inférieure ou égale à la dépense/économie initiale, en fonction de la valeur dudit multiplicateur. Selon les dernières estimations du FMI, la valeur du multiplicateur serait de 1,7, ce qui implique qu’un Euro supplémentaire taxé aurait pour effet de diminuer le revenu national d’un Euro et 70 cents. Or, en attendant la présentation officielle du budget qui aura lieu fin septembre et d’éventuelles bonnes surprises, le chiffre de 12 milliards d’euros d’impôts supplémentaires semble déjà acté…

D’un point de vue microéconomique, un Etat ne peut toutefois lever l’impôt ad vitae aeternam, spécifiquement en période de vaches maigres. En effet, la combinaison chômage et peu ou pas de croissance a pour conséquence de diminuer progressivement l’assiette fiscale des agents économiques. Ce principe ancien a notamment été mis en évidence par l’économiste anglais Adam Smith puis résumé par l’économiste français Jean-Baptiste Say par sa célèbre formule « qu’un impôt exagéré détruit la base sur laquelle il porte ». Une « allergie fiscale » finalement théorisée dans les années 1970 par l’économiste américain Arthur Laffer et sa célèbre courbe concave. Aussi, au regard du niveau de la pression fiscale française, il semble qu’un pic ait été atteint et que la mise en place de nouveaux impôts (ou plus précisément l’élargissement des assiettes) aurait pour conséquence de tuer l’impôt… et la croissance.

Dans un article de 2009 intitulé Large changes in fiscal policy : taxes vs spending, les économistes Alberto Alesina et Silvia Ardagna ont montré, qu’historiquement, les ajustements budgétaires axés sur une augmentation des impôts s’accompagnent de longues récessions ; à l’inverse, quand l’ajustement porte sur la diminution de la dépense, les périodes de récessions sont limitées. Forte de son titre de championne d’Europe de la dépense publique, la France dispose donc de nombreuses marges de manœuvre pour épouser la trajectoire budgétaire dictée par Bruxelles. Mais agir sur la dépense plutôt que sur les impôts suppose une bonne dose de courage politique et fait courir le risque de l’impopularité et de défaite aux prochaines élections. Face à la grogne générale des français, liée notamment à un vingt-septième mois de hausse consécutive du chômage, ce courage paraît aujourd’hui indispensable pour relancer l’économie française et éviter une récession susceptible de s’auto-entretenir. Mesdames, Messieurs les politiques, il est l’heure des choix.

 

 

Anthony Benhamou

 



Les évènements à suivre du 2 au 6 septembre :


BCE : sheriff fais-moi peur…


Calendrier complet des statistiques et évènements de la semaine :

Nos prévisions économiques et financières pour 2013-2014 :


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