Humeur :
Le Cac 40 aime-t-il François Hollande ?
En dépit d’une baisse corrective et donc logique après la flambée des semaines précédentes, les bourses occidentales restent particulièrement dynamiques depuis un an. Et ce, y compris pour le Cac 40 qui a dépassé la barre symbolique des 4 000 points. De quoi encore exciter les partis d’extrême gauche et autres altermondialistes qui ne cessent de dénoncer le décalage entre la crise sociale hexagonale et la bonne santé du Cac 40.
C’est d’ailleurs certainement là que réside l’un des principaux paradoxes de la première année de la Présidence Hollande. En effet, alors que ce dernier n’a cessé de répéter que son grand ennemi était le « monde de la finance », la bourse de Paris ne s’est jamais aussi bien comportée depuis 2011. Et ce, en dépit du retour de la récession dans notre douce France. On se croirait presque revenu vingt-cinq ans en arrière lorsque le marché boursier hexagonal applaudissait le Président Mitterrand après en avoir eu tant peur.
Seulement voilà comme vient de le montrer la baisse de 2 % du Cac 40 du jeudi 23 mai, la réalité est trompeuse et les variations boursières françaises et a fortiori internationales sont très peu liées à l’évolution de l’économie hexagonale et encore moins aux discours de François Hollande.
Bien entendu, si un jour le Président français devait sombrer du côté extrême des forces de gauche et engager un clash avec l’Allemagne, donc avec la zone euro, la bourse de Paris en prendrait forcément ombrage. D’ores et déjà il faut d’ailleurs savoir qu’au contraire du Dow Jones ou du Dax qui ont dernièrement atteint de nouveaux sommets historiques, le Cac 40 est encore très loin de ses plus hauts de septembre 2000 (6 950 points) ou de ceux de 2007 (6 100) points. Autrement dit, compte tenu de la piètre crédibilité de la politique économique française, le Cac 40 reste le parent pauvre des grandes bourses internationales et demeure largement sous-pondéré dans les stratégies d’allocations d’actifs des grands investisseurs internationaux.
Néanmoins, tant que la France respecte ou plutôt fait semblant de respecter ses engagements budgétaires et ne se met pas au ban des Nations européennes, la bourse de Paris ne décroche pas complètement et suit bon an mal an les évolutions économiques et financières internationales.
Autrement dit, si le Cac 40 flambe ou plonge, ce n’est pas tant à grâce ou à cause de la stratégie du gouvernement français, mais surtout parce que la croissance mondiale reste forte ou fait preuve de faiblesse. Ainsi, même si elle a été un peu trop rapide, la remontée boursière des derniers mois s’explique principalement par le fait que la progression du PIB mondial se stabilise autour des 3,5 % depuis deux ans. Mieux, en dépit du ralentissement (voulu) de l’économie chinoise, la croissance planétaire pourrait avoisiner les 4,1 % en 2014. De quoi confirmer que le socle économique des évolutions boursières reste solide.
Parallèlement, le caractère excessivement accommodant des politiques monétaires aux Etats-Unis, au Japon et, dans une moindre mesure, en Europe permet d’inonder le monde de liquidités. Or, face à des taux d’intérêt extrêmement faibles tant sur le court que sur le long terme, les investisseurs sont incités à favoriser d’autres types de placements, et en particulier boursiers.
Seulement voilà, chat échaudé craint l’eau froide. Aussi, en dépit d’une croissance mondiale appréciable et d’une « sur-liquidité » internationale, les marchés demeurent très nerveux. Dès lors, à la moindre crainte macro-économique ou à la moindre déclaration maladroite des dirigeants monétaires, ces derniers paniquent et prennent immédiatement leurs bénéfices. D’où une très forte volatilité des cours boursiers, tant à la baisse qu’à la hausse. C’est exactement ce que nous venons de vivre : il a suffi d’un discours mi-figue mi-raisin du Président de la Fed et d’un mauvais indicateur de l’activité manufacturière en Chine pour que les boursiers brûlent ce qu’ils avaient adoré quelques heures plus tôt.
Dans la mesure où les incertitudes économiques, monétaires et aussi géopolitiques vont demeurer fortes dans les trimestres à venir, les mouvements de va-et-vient vont continuer, voire s’intensifier. En d’autres termes, les bourses internationales vont rester abonnées aux montagnes russes au moins jusqu’au début 2014.
Pour la suite, si l’euro baisse, si le couple franco-allemand se ressoude et si la croissance revient dans la zone euro, alors les marchés boursiers pourront s’installer durablement sur de nouveaux sommets historiques. A l’inverse, si la crise de la zone euro perdure, si les taux d’intérêt des obligations d’Etat se tendent et si, par conséquent, la crise de la dette eurolandaise s’aggrave encore, les marchés boursiers retrouveront le chemin de la baisse.
Plus que jamais, il faut donc rester prudent sur ses investissements boursiers. L’histoire ne se répète pas toujours. Et si les années Mitterrand ont été favorables à la bourse de Paris, il n’en sera pas forcément de même avec les années Hollande. En effet, au début des années 1980, la dette publique française ne représentait que 20 % du PIB hexagonal. Dans un an, elle atteindra aisément les 100 %. Dans ce cadre, à la moindre erreur politique, le Cac 40 flanchera et, cette fois-ci, pourra entraîner ses homologues internationaux dans le marasme boursier. De quoi rassurer le « camarade » Mélenchon…
Marc Touati
Quid de l’économie et des marchés cette semaine :
Le renouveau de la croissance japonaise : entre miracle et mirage…
A l’heure où la France entre officiellement en récession, d’autres pays étonnent. C’est notamment le cas du Japon. Au premier trimestre 2013, l’archipel nippon affiche en effet un taux de croissance de 0,9% par rapport au quatrième trimestre 2012 et, surtout, de 3,5% en rythme annuel (quand les spécialistes anticipaient 2,7%). Après une vingtaine d’années d’électroencéphalogramme plat, comment expliquer le redémarrage de l’économie japonaise et quelles en seront les conséquences ?
De la décennie perdue aux abenomics
Dérèglementation financière, excès de liquidités et euphorie générale, un cocktail (explosif) souvent synonyme de bulles spéculatives. Et c’est au début des années 1990 que le Japon a trinqué. L’éclatement de la baburu keiki (comprenez, littéralement la bulle économique) sur les actifs financiers et immobiliers a effectivement plongé le pays dans une crise économique durable. Ainsi, depuis près d’un quart de siècle, l’économie japonaise se caractérise par une croissance atone, de la déflation, et une accumulation de déficits publics importants. Ce dernier élément a favorisé une véritable flambée de la dette publique permettant au Japon d’occuper une place sur le podium des pays les plus endettés au monde (240% du PIB en 2012).
C’est dans ce contexte de crise latente que le parti libéral-démocrate a retrouvé le pouvoir en décembre 2012 avec la nomination officielle de Shinzo Abe. Et le nouvel homme fort a décidé de sortir la grande artillerie pour remettre le Japon sur les bons rails. Au menu, un mélange politique budgétaire expansionniste et politique monétaire ultra accommodante, conjugué à un ensemble de réformes structurelles. C’est ainsi que dès le mois de janvier, le gouvernement nippon a annoncé un plan de relance d’environ 20 000 milliards de Yens (175 milliards d’euros). Puis dès le mois de mars, Shinzo Abe a participé à la nomination de Haruhiko Kuroda au poste de gouverneur de la Bank of Japan (BoJ) pour mener à bien les missions de lutte contre la déflation et contre l’appréciation continue du Yen. Pour cela, La BoJ a fixé un objectif de doublement de la monnaie en circulation (à travers notamment le rachat massif d’actifs risqués aux banques et le rachat d’obligations publiques) afin d’atteindre une cible d’inflation de 2%. Un choc psychologique sensé relancer la consommation intérieure de même que la demande extérieure.
Au premier trimestre 2013, les abenomics ont largement porté leurs fruits. Le PIB japonais s’est ainsi inscrit en hausse de 0,9% par rapport au trimestre précédent, et de 3,5% par rapport à l’année dernière. La consommation des ménages a notamment progressé de 0,9% par rapport au quatrième trimestre 2012, signe d’un regain de confiance et de retournement des anticipations quant à l’avenir. Les exportations ont quant à elles bondi de 3,8% par rapport au trimestre précédent, tirées notamment par le marché automobile et les livraisons de produits chimiques… et surtout la dépréciation finement orchestrée du Yen, conférant aux biens japonais une forte compétitivité prix. En témoigne notamment la baisse du Yen de plus de 27% face au Dollar américain et d’environ 30% face à l’Euro depuis le début de l’année. Le 10 mai dernier d’ailleurs, le seuil symbolique des 100 Yens pour 1 Dollar a même été franchi ; un plus bas depuis plus de quatre ans alors que dans le même temps, le Nikkei, indice phare de la bourse japonaise, atteignait son plus haut depuis plus de cinq ans.
Le grand retour de la guerre des monnaies
La dépréciation continue du Yen a néanmoins engendré un certain nombre d’externalités négatives. Le commerce international repose en effet sur un jeu à somme nulle : quand le Japon voit ses exportations augmenter, celles de ses partenaires diminuent. C’est donc d’un véritable déficit de compétitivité prix dont souffrent les pays d’Asie-Pacifique relativement au pays du soleil levant. Et si la Chine a longtemps été montrée du doigt en raison de la manipulation de son taux de change, tous les regards sont à présent braqués sur le caractère offensif des actions de la BoJ. Le G20 qui s’est tenu à Moscou en février a pourtant conclu sa réunion en affirmant que les pays ne souhaitaient pas se livrer à des dévaluations compétitives ; mieux encore, Christine Lagarde, directrice générale du FMI, s’est félicitée de voir le G20 répondre à la situation en empruntant la voie « de la coopération et non celle du conflit ».
Seulement, derrière les beaux discours, il y a la réalité… Et il semble bien que le Japon ait déclenché une véritable guerre des monnaies comme en témoignent les actions récentes des banques centrales des pays de la région Asie-Pacifique. Ainsi, le 7 mai dernier, la banque centrale d’Australie annonçait une baisse de son taux directeur à 2,75%, un plus bas historique. Le lendemain, la Nouvelle-Zélande indiquait qu’elle réfléchissait à des mesures pour faire baisser sa monnaie. Le 9 mai, c’était au tour de la banque centrale sud-coréenne d’abaisser son taux directeur à 2,5% pour soutenir la relance économique et surtout favoriser ses exportations, récemment pénalisées par l’appréciation du Won face au Yen. Enfin, le 10 mai, la banque centrale du Vietnam procédait à une réduction de ses principaux taux directeurs, désormais au plus bas depuis trois ans.
Le renouveau de la politique japonaise et les réactions en chaîne de ses voisins pourraient en outre avoir des conséquences inattendues au-delà du continent asiatique, et plus précisément en Europe. En première ligne, l’économie allemande dont le modèle de croissance repose notamment sur le commerce extérieur. Avec son solde commercial excédentaire de 188 milliards d’euros en 2012, la structure des exportations allemandes a nettement évolué durant les dix dernières années. Si l’Europe demeure le premier partenaire commercial de l’Allemagne, la part des exportations vers le Vieux Continent s’établissait en 2012 à 59% contre 65% en 2003. A l’inverse, les exportations vers les pays d’Asie sont passées de 11,5% en 2003 à 16% en 2012. Les dévaluations compétitives asiatiques de même que la récession durable qui s’installe en Europe pourraient ainsi avoir des conséquences sur la croissance allemande en 2013.
Avec la publication de l’ensemble de ces chiffres, force est de constater que le Japon a envoyé un message clair au monde ; son grand retour parmi les puissances économiques mondiales. Et à l’heure où beaucoup de spécialistes soulignent les réussites de Shinzo Abe, il convient de bien se souvenir que celui-ci dispose d’un bras armé de taille, la BoJ.…Or, on le sait, l’indépendance d’une banque centrale est une condition fondamentale pour garantir la crédibilité à long terme de cette institution et, par la suite, la réussite de la politique monétaire. Après le miracle japonais, place au mirage japonais ?
Anthony Benhamou
Nos prévisions économiques et financières pour 2013-2014 :
Pour visualiser les tableaux et graphiques, merci de consulter le fichier pdf.