Fabius, l’homme qui voulait être Président.

 

Alors que l’annonce d’une révision de la prévision de croissance pour 2013 par François Hollande et celle du non-respect de l’objectif des 3 % du PIB pour le déficit budgétaire par Jean Marc Ayrault ont déjà fortement discrédité le pouvoir en place, le nouveau couac survenu cette semaine dans le domaine économique est plus que jamais malvenu.  Ainsi, prenant de court le gouvernement, Laurent Fabius a déclaré le 19 février sur RTL, qu’après 1,2 %, puis 0,8 %, la nouvelle prévision de croissance de l’économie française serait de 0,2% à 0,3 % pour 2013. Dérapage qui a obligé Bercy à procéder à un démenti car la nouvelle prévision de croissance n’était pas officiellement arrêtée. Il s’agit d’une vraie bourde pour le membre du gouvernement le plus expérimenté.

 

Tout d’abord, un vieux routier de la politique – ancien Premier ministre – et rompu à l’exercice des interviews, devrait savoir qu’il a non seulement un devoir de réserve mais également un devoir de non-ingérence sur des questions aussi sensibles qui de surcroît ne relèvent pas de son ministère. Ensuite, et cela Laurent Fabius ne pouvait pas l’ignorer, l’annonce de la nouvelle prévision de croissance de l’économie française pour 2013 doit respecter comme tous les ans une procédure bien précise. En effet, le Président doit tout d’abord attendre les prévisions de croissance de la Commission européenne (ce qu’elle a fait le vendredi 22 février) puis le gouvernement donne ses prévisions lorsqu’il transmet son programme de stabilité mi-avril au Parlement. Enfin, il faut savoir que cette annonce est précédée d’échanges avec le Haut Conseil des finances publiques à partir de la fin du mois de mars.

 

En d’autres termes, en annonçant une nouvelle prévision de croissance pour 2013 sur les ondes d’une des radios les plus écoutées de France, Laurent Fabius a fait « très fort ». Mais quelle mouche a bien pu piquer le chef de la diplomatie française ? En réalité, ce dernier ne semble pas à sa place au Quai D’Orsay. Compte tenu de son expérience, celui qui fut à 38 ans le plus jeune Premier ministre de la République et plusieurs fois ministres, notamment de l’économie, pouvait sur le papier largement prétendre à Matignon. Lui, dont le monarque François Mitterrand avait fait son successeur ou plutôt son héritier, rêve depuis 30 ans de l’Élysée. Mitterrand qui avait pour lui un mélange d’admiration et d’affection disait d’ailleurs : « ce que j’apprécie chez Fabius, c’est que c’est quelqu’un qui a 30 ans et dont j’ai l’impression que je le connais depuis quarante ans ». Fabius était à Mitterrand ce que Juppé était à Chirac, son favori. D’ailleurs, leurs profils d’ex poulains sont très similaires puisqu’ils sont tous les deux considérés comme des surdoués surdiplômés (ENA, École Normale Supérieure), et sont largement convaincus de leur supériorité intellectuelle. Malheureusement, une carrière politique est pleine d’aléas et Laurent Fabius, comme Alain Juppé d’ailleurs, en a fait les frais. Tout d’abord avec l’affaire Greenpeace puis en étant injustement mis en cause dans le scandale du sang contaminé. Il réussit pourtant à se « remettre en selle » pour occuper le perchoir puis pour prendre la tête du ministère des Finances dans le gouvernement de son ex-meilleur ennemi Lionel Jospin. Cependant, il ne se remit jamais d’avoir pris la tête du camp du non au referendum de 2005 sur la constitution européenne ….

 

La suite ne fut qu’une accumulation de frustrations et de désillusions avec, en point d’orgue, une défaite aux primaires de 2007 face à Ségolène Royal pour laquelle il n’a jamais eu beaucoup d’estime. Par conséquent, même si beaucoup se glorifieraient d’être à la tête de la diplomatie française en qualité de numéro deux du gouvernement, tel n’est pas le cas de Laurent Fabius qui ne peut s’empêcher de penser qu’il devrait être à la place de Jean-Marc Ayrault ou de  François Hollande. Dans ce contexte, on comprend peut-être un peu mieux le dérapage d’un homme aigri dont on pourrait dire qu’il est passé à côté de son destin…

 

La phrase de la semaine :

«Nous sommes dans un des pays qui, aujourd’hui sur le plan de la croissance et de l’activité, sont dans la moins mauvaise situation.»  François Hollande.

 

rôme Boué