Croissance aux US, récession en zone euro : Skyfall… (E&S n°229)

 

Humeur :

Allemagne-France-Royaume-Uni : la guerre est déclarée…

Alors que l’Union Européenne vient de recevoir le prix Nobel de la paix, force est de constater que c’est plutôt la guerre qui règne entre ses pays membres. En effet, bien loin des consensus de façade habituels et des sourires forcés, les dirigeants politiques allemands, français et britanniques affichent clairement leurs divergences et ne mâchent plus leurs mots. Echec de la fusion EADS-BAE, tensions au sein de la direction d’Airbus autour du financement de l’A350, mésententes et remontrances sur la stratégie de la BCE ou encore sur le budget européen… Les exemples du désamour franco-anglo-allemand ne manquent pas.

Pis, Angela Merkel n’hésite plus à tancer François Hollande et David Cameron pour leur manque de discernement et d’efficacité économique. Jusqu’alors très réservés et très europhiles, les Allemands ne cachent désormais plus leurs rancœurs et leurs inquiétudes quant à l’avenir de l’Union Européenne et de la zone euro. Selon certaines de nos informations, le gouvernement allemand a même demandé à certains instituts germaniques indépendants de chiffrer le coût pour l’Allemagne d’une sortie de la zone euro, mais aussi d’un maintien dans cette dernière. Et a priori, la différence ne serait pas si évidente que certains veulent le laisser croire.

Le coût de cet « opting out » allemand se résume principalement à l’appréciation de la future devise germanique, que certains appellent déjà l’euro-deutschemark ou, pour les plus virulents, le nouveau deutschemark. Face à ce renchérissement vis-à-vis de l’ensemble des devises européennes, il pourrait être tentant d’en déduire un effondrement de la compétitivité des produits fabriqués en Allemagne et donc des exportations allemandes. Après avoir soutenu à bout de bras la croissance du pays, ces dernières perdraient donc leur rôle de locomotives.

En apparence imparable, ce raisonnement est pourtant erroné. En effet, si les exportations allemandes sont si dynamiques ce n’est pas tant grâce à leur prix, mais surtout grâce à la qualité, au savoir-faire et la technologie développés outre-Rhin. Ainsi, si l’on importe des voitures ou des machines-outils allemandes, ce n’est pas parce qu’elles ne sont pas chères, mais justement parce qu’elles le sont et que leur cherté reflète une excellence confirmée.

En outre, il ne faut pas oublier que la part de la zone euro dans les exportations allemandes régresse continuellement. En plus de faire les bons choix sectoriels et technologiques, les entreprises d’outre-Rhin ont effectivement très vite compris qu’elles devaient gagner des parts de marché bien au-delà de l’Europe. A cet égard, soulignons qu’en dépit d’une croissance eurolandaise nulle depuis cinq ans, les exportations allemandes ont progressé de plus de 20 %. En d’autres termes, même si demain l’Allemagne sort de la zone euro et se retrouve avec une devise chère, elle continuera d’exporter massivement.

En fait, le vrai coût d’une sortie de l’Allemagne de la zone euro résiderait dans le risque de « vengeance » de ses anciens partenaires. En effet, en réponse à ce divorce forcé, certains pays eurolandais pourraient tout simplement refuser de rembourser tout ou partie de leurs bons du Trésor détenus par l’Etat allemand. La facture pourrait atteindre plus de 500 milliards d’euros. Mais s’engager dans une telle stratégie pourrait se retourner contre les pays « frondeurs » qui se mettraient ainsi de facto au ban des Nations et verraient leurs taux d’intérêt flamber, avec récession et crise sociale à la clé. Autrement dit, les Allemands pourraient être tentés de prendre ce risque, qui finalement s’avérerait bien moins coûteux qu’escompté.

En conclusion sur les coûts d’une sortie de l’Allemagne de la zone euro, il faut donc bien convenir que ces derniers devraient rester limités pour nos voisins allemands, mais plutôt élevés pour les pays restants. Ne bénéficiant plus de la crédibilité allemande, ces derniers subiraient notamment une forte augmentation des taux d’intérêt de leur dette publique, aggravant la crise actuelle.

A l’inverse, l’Allemagne paie la poursuite de la zone euro au prix fort. Au-delà des transferts financiers qu’elle consent depuis des décennies (rappelons notamment que l’Allemagne est l’un des rares pays de l’Union Européenne qui finance plus de subventions européennes qu’il n’en reçoit), l’économie germanique commence à être entraînée vers le bas par ses partenaires européens. Ainsi, en dépit des réformes douloureuses qu’elle a menées depuis plus de dix ans, l’Allemagne commence, elle aussi, à être menacée par la récession. C’est ce que l’on pourrait appeler « l’effet Siphon », les cancres entraînant également les bons élèves dans leur « descente aux enfers ».

Face à ce dilemme « sortir de la zone euro sans trop de fracas » versus « y rester mais en récession », les Allemands sont aujourd’hui de plus en plus virulents à l’égard de leurs partenaires. Le pire est que plutôt que d’essayer d’arrondir les angles et de moderniser leur économie, notamment en réduisant leurs dépenses publiques, les autres pays de l’Union, et en particulier la France, s’obstinent dans leurs erreurs et demandent à l’Allemagne de se taire. C’est un peu comme si, la cigale faisait des remontrances à la fourmi. Certes, comme nous le soulignons régulièrement, il ne sert à rien de mourir guéri et la rigueur pour la rigueur ne sert à rien.

Pour autant, il est clair que sans un minimum de réformes, la France ne pourra jamais retrouver le chemin de la croissance forte et durable et, par là même, ne pourra pas obtenir des concessions de la part de l’Allemagne. Or, l’Histoire nous a montré que, sans un couple franco-allemand fort et soudé, la construction européenne ne peut avancer, a fortiori si les Anglais mettent régulièrement de l’huile sur le feu.

Malheureusement, c’est exactement ce spectacle désastreux qu’offre aujourd’hui l’Union Européenne. Et si, comme l’a confirmé le Comité Nobel, cette dernière est bien une protection contre les conflits, elle ne constitue malheureusement pas un rempart contre la récession. Dès lors, face à l’adversité et à la crise sociale, les risques de comportements non-coopératifs augmentent dangereusement. Autrement dit, la guerre est déjà déclarée. Espérons simplement que l’Armistice et, ce faisant, le retour de la croissance ne tarderont pas…

Marc Touati



Quid de l’économie cette semaine :

2 % de croissance aux Etats-Unis : c’est un peu juste, mais bien mieux que dans la zone euro…


Comme aimait le rappeler Albert Einstein : tout est relatif. Cette célèbre phrase sied parfaitement à la croissance américaine du troisième trimestre 2012.

En effet, comme nous l’annoncions la semaine dernière et d’ailleurs depuis déjà plusieurs mois, la croissance du PIB américain du troisième trimestre a bien été supérieure à celle du deuxième. En l’occurrence 2 % en rythme annualisé, contre 1,3 % au cours du précédent trimestre.

De la sorte, elle retrouve exactement son niveau du premier trimestre 2012, mais s’avère bien inférieure à celle du quatrième trimestre 2011, à savoir 4,1 %.

Autrement dit, si la progression du PIB est satisfaisante, elle est loin d’être flamboyante.

Les mobiles explicatifs de cette petite reprise confirment d’ailleurs qu’il n’y a pas de quoi s’emballer.

Certes, une fois encore, la consommation des ménages a répondu présente. Ainsi, après avoir augmenté de « seulement » 1,1 % au deuxième trimestre 2012, ce moteur traditionnel de l’activité américaine a progressé de 1,4 % au troisième trimestre. Là aussi, c’est plutôt correct, mais très loin de l’habituel dynamisme des dépenses des particuliers outre-Atlantique. A titre de comparaison, l’augmentation annuelle moyenne de la consommation des ménages a été de 3,8 % de 1992 à 2000 et de 3,1 % de 2004 à 2006. Autrement dit, peut mieux faire…

La croissance et la consommation restent appréciables outre-Atlantique.

Sources : BEA, ACDEFI

En fait, le rebond de l’activité au troisième trimestre s’explique principalement par deux moteurs. D’une part, la forte augmentation de l’investissement logement. Après avoir déjà atteint 20,5 % au premier trimestre 2012, puis ralenti à 8,5 % au deuxième, celle-ci a rebondi à 14,4 % au troisième.

Si la crise immobilière est encore présente dans tous les esprits, force est donc de constater qu’elle est en train d’être circonscrite. Et là, contrairement aux annonces faites en France et en Europe sur la fin supposée de la crise, il s’agit vraiment d’une réalité.

D’autre part, la deuxième grande explication de la reprise de la croissance du PIB américain au troisième trimestre réside dans l’augmentation de 3,7 % des dépenses publiques. Après huit trimestres consécutifs de baisse (qui venaient certes corriger deux ans de forte progression), les dépenses publiques ont donc repris le chemin de la hausse, corrélativement aux traditionnelles dépenses pré-électorales.

A l’inverse, les deux moteurs économiques que sont l’investissement des entreprises et les exportations, sont repartis à la baisse. – 1,3 % et – 1,6 %. De quoi rappeler que la croissance américaine reste fragile et que le cercle vertueux investissement-emploi-consommation tourne au ralenti.

Pour autant, comparativement à la récession qui revient dans la zone euro, la croissance américaine a de quoi donner envie. En effet, avec un niveau d’environ 2 %, celle-ci est suffisante pour créer des emplois et pour assurer le paiement des intérêts de la dette publique sans difficulté.

A l’inverse, pour la cinquième année consécutive, tous les pays de la zone euro (à l’exception de l’Allemagne, de la Finlande et du Luxembourg) sont incapables de générer une croissance économique suffisamment forte ni pour créer des emplois et encore moins pour rembourser les intérêts de la dette publique.

2 % de croissance pour les Etats-Unis, la récession pour la zone euro…

Sources : BEA, Eurostat, ACDEFI

Autrement dit, si les Etats-Unis sont sortis de la crise, certes sans gloire et avec une dette pléthorique, la zone euro reste engoncée dans la récession, mais aussi dans une double bulle : celle de la dette publique et du chômage.

 

 

Marc Touati



 


 

Les évènements à suivre du 29 octobre au 2 novembre :


Pas de nouvelle baisse du chômage avant les élections américaines.

 


Cette semaine économico-statistique sera principalement marquée par la publication des principaux indicateurs avancés de l’activité économique des deux côtés de l’Atlantique (Conference Board, Commission Européenne et directeurs d’achat, respectivement le 30 et le 1er), ainsi que par l’évolution du chômage et de l’inflation dans la zone euro (le 31) et bien sûr par le rapport sur l’emploi aux Etats-Unis en octobre (le 2), le dernier avant les élections présidentielles. Attention, compte tenu du passage à l’heure d’hiver opéré en Europe et non encore effectué aux Etats-Unis, les publications américaines auront lieu avec une heure d’avance.

 

Lundi 29 octobre, 14h (heure de Paris) : l’inflation allemande recule.

Dans le sillage de l’accalmie des prix des matières premières, mais aussi du ralentissement économique, les prix à la consommation devraient reculer de 0,1 % en Allemagne en octobre. Cela se traduirait également par un repli de leur glissement annuel à 1,9 %. De quoi rassurer nos amis germaniques sur les risques inflationnistes.

 

Mardi 30 octobre, 11h : l’indice de sentiment économique recule encore dans la zone euro.

N’en déplaise à ceux qui annoncent ou veulent faire croire que la crise de la zone euro est terminée, les enquêtes de conjoncture de la Commission Européenne menées en octobre devraient s’avérer bien déprimantes. Ainsi, l’indice de sentiment économique, le meilleur indicateur avancé de la croissance eurolandaise, reculerait encore d’un point à 84. Une évolution qui confirmerait le retour d’une grave récession dans l’UEM.

 

Mardi 30 octobre, 15h : l’indice de confiance des ménages du Conference Board remonte encore.

Réconfortés par l’embellie observée sur le marché du travail depuis quelques mois, les ménages américains retrouvent progressivement le moral. L’indicateur de leur confiance calculé par le Conference Board devrait ainsi gagner presque 2 points en octobre. Avec un niveau de 72, il resterait néanmoins toujours faible, confirmant que la « fièvre acheteuse » des consommateurs américains n’est toujours pas de retour.

 

Mercredi 31 octobre, 11h : Nouvelle augmentation du chômage dans la zone euro.

Conséquence logique de la baisse de l’activité dans La zone euro, le chômage devrait continuer de croître en septembre. Nous tablons sur une augmentation mensuelle de 0,1 point, soit un taux de chômage de 11,5 %, un nouveau record historique.

 

Mercredi 31 octobre, 11h : L’inflation de la zone euro à 2,5 %.

A l’instar de ce qui devrait s’observer outre-Rhin (cf.